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Publié le 8 Mars 2023

L'entretien du Crif - Pascal Perrineau : "Il est urgent de démocratiser la démocratie"

Le politologue et essayiste Pascal Perrineau, Professeur émérite des Universités à Sciences Po et auteur notamment de « Le populisme » (Que sais je ?, PUF, 2021), répond à nos questions. Jugeant « délétère » « la continuation du discrédit de la politique », il estime qu’une réforme des pratiques et des institutions politiques est devenue indispensable pour, à ses yeux, organiser un rééquilibrage des pouvoirs, des formes de démocratie participative et un usage renouvelé du référendum.

Le Crif : L’Assemblée nationale apprend, parfois difficilement, à vivre avec une majorité relative. On l’a bien constaté lors des débats sur la réforme des retraites, les tensions sont fortes, les postures sont parfois théâtralisées, jusqu’à la caricature. La politique est-elle condamnée en France au manichéisme ? Pourquoi la culture du compromis, que l’on voit plus répandue chez nos voisins, a du mal à se développer chez nous ?

Pascal Perrineau : Depuis juin 2022, le pouvoir ne dispose plus d’une majorité absolue de sièges à l’Assemblée nationale pour mettre en œuvre sa politique. Il redécouvre que la Constitution de 1958 est aussi parlementaire et que le pouvoir exécutif doit négocier avec le pouvoir législatif pour mettre en œuvre ses réformes comme cela est le cas dans nombre de démocraties parlementaires. On aurait ainsi pu rêver, depuis quelques mois, de négociations approfondies entre les députés des oppositions et ceux de la majorité… Au lieu de cela, on découvre une véritable « guerre de tranchées », l’usage éhonté de postures et de déclarations emphatiques ainsi que le recours à l’insulte, la menace ou le blocage.

Le débat parlementaire sur la réforme des retraites a été l’occasion de faire la preuve de l’incapacité française de construire intelligemment des compromis. Comme d’habitude, la France préfère la stratégie de l’affrontement à celle de la négociation.  L’adversaire politique est transformé en ennemi avec lequel il n’est pas question de transiger. Cette manière de faire est l’héritage d’une « culture révolutionnaire » de l’alternative radicale qui est en France plus importante qu’ailleurs. La France insoumise en est la manifestation quotidienne. La « rupture révolutionnaire » est beaucoup plus valorisée que le changement pacifique et négocié.

Face à cela, le pouvoir est souvent incarné par des élites d’Etat très marquées par une culture de l’autorité verticale et d’un intérêt général toujours défini d’en haut. Enfin, nos institutions, par l’entretien d’une bipolarité systématique, ont invalidé une démarche de compromis avec l’opposition. Tant que l’opposition était dans les mains de « partis de gouvernement » il s’agissait d’attendre les prochaines élections de l’alternance. Maintenant que l’opposition est aux mains de partis protestataires, la turbulence et la démagogie règnent en maître.

« Le populisme national du RN rencontre davantage d’écho que le populisme social des Insoumis »

 

Le Crif : Dans les oppositions, on a vu en effet les forces radicales, LFI d’un côté, RN de l’autre, dominer, aux dernières législatives également, les ex-partis de gouvernement, le PS et LR, tous deux mis en grande difficulté. Cette situation vous paraît-elle durable ? Faut-il être nécessairement populiste pour être entendu dans l’opposition ? Et le parti d’extrême droite ne risque-t-il pas de prendre le dessus sur LFI ?

Depuis maintenant deux décennies, les partis de gouvernement sont entrés en crise. L’alternance entre une gauche rassemblée autour du PS et une droite agrégée derrière l’UMP devenue LR s’est grippée. Le premier coup de semonce fut 2002, où la gauche disparut de la scène présidentielle. 2017 fut le second coup de semonce, où le PS et LR furent éliminés du second tour. 2022 a été un troisième coup de semonce tout en marquant la marginalisation électorale des deux anciens grands partis de gouvernement ramenés au statut de forces marginales oscillant entre 1 et 5% des suffrages.

Cette situation semble durable et l’impression d’instabilité est due au fait que les vieux partis disparaissent alors que les nouvelles forces semblent avoir du mal à s’imposer (cf. les écologistes et Renaissance). Reste alors la force des populismes qui se nourrit du déclin des traditionnels corps intermédiaires et remplit l’espace laissé vacant entre des citoyens déboussolés et un pouvoir politique de plus en plus discrédité. Le populisme national du RN rencontre davantage d’écho que le populisme social des Insoumis car il est plus adapté à un monde globalisé, où le repère national fournit un cap que la réactivation de la lutte des classes ne semble pas fournir.

« On peut envisager l’utilisation de la démocratie participative sans que cette dernière ne se substitue à la démocratie représentative. »

 

Le Crif : Pour moderniser notre démocratie et renforcer la confiance envers les politiques, ne faudrait-il pas une réforme des pratiques et des institutions ? Quelles mesures, à cette fin, vous paraît-il opportun de mettre à l’agenda du débat public ?

-La continuation du discrédit de la politique est délétère et risque d’ouvrir des perspectives à ceux qui rêvent de « démocraties illibérales » ou de régimes autoritaires. Il est donc urgent de « démocratiser la démocratie ». Dans ce cadre, une reparlementarisation du régime est nécessaire afin que les majorités se construisent de manière endogène et non exogène. Ce serait à partir des projets des différentes parties au compromis que se construirait la majorité et non plus à partir de la seule majorité présidentielle.

A côté de ce rééquilibrage de nos institutions représentatives, on peut envisager l’utilisation des forces de la démocratie participative sans que cette dernière ne se substitue à la démocratie représentative qui, seule, a la légitimité pour décider. Enfin, l’heure est venue sur de grands sujets d’utiliser à nouveau les énergies de la démocratie référendaire. Le général de Gaulle y a eu recours à de nombreuses reprises et a ainsi débloqué de nombreux nœuds politiques. Si les hommes et les femmes politiques n’ont pas l’audace de l’homme qui, en 1958, a porté un nouveau régime politique sur les fonts baptismaux, c’est la rue ou les populismes autoritaires qui l’emporteront.

Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet

 

- Les opinions exprimées dans les entretiens n'engagent que leurs auteurs -

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