Francis Kalifat

Ancien président

Mon discours à la 11ème Convention nationale du Crif

19 Novembre 2021 | 105 vue(s)
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France

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Chronique de Bruno Halioua, diffusée sur Radio J, lundi 12 février à 9h20.

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Antisémitisme

Dimanche 14 janvier 2024, quelques mois avant les Jeux Olympiques Paris 2024, une délégation de sportifs et de dirigeants du monde du sport q"es, avec le Crif, pour un voyage de la mémoire dans le camp d’Auschwitz-Birkenau, en partenariat avec le Mémorial de la Shoah.

 

Le 10 janvier 2023, Yonathan Arfi, Président du Crif, s'est rendu à la cérémonie en hommage aux victimes de la rafle de Libourne du 10 janvier 1944. Il a prononcé un discours dans la cour de l'école Myriam Errera, arrêtée à Libourne et déportée sans retour à Auschwitz-Birkeneau, en présence notamment de Josette Mélinon, rescapée et cousine de Myriam Errera.  
 
À l'occasion de la fête juive de Hanoucca, découvrez les vœux du Président du Crif, Yonathan Arfi.
 

La 12ème Convention nationale du Crif a eu lieu hier, dimanche 4 décembre, à la Maison de la Chimie. Les nombreux ateliers, tables-rondes et conférences de la journée se sont articulés autour du thème "La France dans tous ses états". Aujourd'hui, découvrez un des temps forts de la plénière de clôture : le discours de Yonathan Arfi, Président du Crif.

 

"For the union makes us strong" : car l'union nous rend forts, Solidarity forever, Peter Seegers

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Opinion

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Découvrez mon discours prononcé lors de la plénière de clôture de la 11ème Convention nationale du Crif, le 14 novembre 2021, en présence du Premier ministre Jean Castex.

Discours du Président du Crif Francis Kalifat - Convention nationale du Crif, 14 novembre 2021

"Monsieur le Premier Ministre, cher Jean Castex, qui nous fait l’honneur et l’amitié d’être à nos côtés ce soir,

Chers Haïm Korsia et Bernard-Henri Lévy, dont le dialogue auquel nous venons d’assister illustre si bien la circulation des idées entre judaïsme et philosophie,

Chère Anne Hidalgo qui sait parfaitement exprimer la manière dont le judaïsme à Paris et ailleurs s’est toujours tissé dans la Cité.

Nous voilà donc à la clôture de cette 11ème Convention Nationale du CRIF. Cette édition a, vous en conviendrez, une saveur particulière, celle des retrouvailles. Après de longs mois où le temps et nos existences sociales furent suspendus, nous pouvons enfin gouter à nouveau au plaisir de la rencontre et de la convivialité.

Profitons ensemble sans modération de ce moment.

Mais si le Covid a suspendu nos vies, les menaces qui nous font face n’ont de leur côté connu aucun confinement.

La société française est aujourd’hui en crise profonde : confrontée à la menace islamiste elle doute de son modèle et au fond de son propre destin.

Partout dans le débat public monte une musique identitaire. Celle du eux et nous, celle du eux contre nous. Celle des identitaires contre les républicains. Dans ce combat le camp des identitaires qui agrège autant l’extrême droite que les islamistes se nourrit de la faiblesse du camp républicain en doute permanent sur sa légitimité et sa force.

Deux courants politiques se sont souvent opposés en France :

l’un décliniste qui considère que la France est condamnée à un lent déclin social, économique, culturel, et l’autre, qui même dans les moments de crise, croit dans la capacité du pays à trouver les ressources du sursaut.

Si l’histoire juive, par le biais des Français juifs, peut apporter quelque chose à la France, je crois que c’est fondamentalement cette idée que notre destin collectif est toujours entre nos mains.

Cette journée de rencontres et de débats autour de « l’Universel à l’épreuve de l’identité » a précisément eu pour vocation en rassemblant plus de 50 intervenants de nous réarmer intellectuellement.

A quelques mois de l’élection présidentielle alors que la menace terroriste ne faiblit pas, que l'antisémitisme loin d'être relégué aux livres d'histoire est d'une brûlante actualité, alors que le communautarisme menace les valeurs qui font la France, que les fondements de la République sont attaqués, alors que le populisme et le complotisme guettent, et que l’islamisme étend sa toile, nous avons réfléchi ensemble à l'indispensable unité qu'il nous faut construire pour combattre cette haine qui gangrène notre société.

Alors, c’est en conscience que chacun d’entre nous doit faire en 2022 le bon choix pour notre pays, pour que ces fondements demeurent intacts et solides, pour que la démocratie, ce grand principe universaliste, l’emporte sur les clivages, la médiocrité, la haine et la bêtise.

Dans ce contexte, le rejet des extrêmes, que ce soit l’extrême-gauche ou l’extrême-droite, est pour nous Français Juifs un impératif moral et politique. Moral par ce que les propositions des extrêmes vont à l’encontre des valeurs à la fois du judaïsme et de la République. Politique car le CRIF dont la mission est la défense des intérêts des Juifs de France, ne peut rester silencieux face aux propos d’un polémiste candidat potentiel, sur Pétain qu’il cherche au fond à réhabiliter sur Dreyfus dont il interroge l’innocence, sur les lois mémorielles qu’il veut abroger, sur la loi Pleven qu’il veut supprimer refaisant de l’antisémitisme une opinion et non plus un délit, sur les victimes de Toulouse mises en équivalence avec leur bourreau et contestées dans leur appartenance à la communauté nationale parce qu’elles sont enterrées en Israël, ou sur la douleur de Samuel Sandler qu’il qualifie d’obsessionnelle et manipulée par ces avocats.

Celui-là, qui qu’il soit, trouvera le CRIF en travers de son chemin.

Ces deux dernières années n’ont pas épargné les Français juifs.

La pandémie a laissé libre cours à des formes d’expression d’antisémitisme extrêmement violentes, faisant ressurgir le mythe médiéval du Juif empoisonneur de puits et celui du Juif complotiste.
Comble de l’horreur nous avons assisté au détournement du symbole du martyr juif, l’étoile jaune, dans les manifestations par les anti passe sanitaire.  Ces raccourcis et confusions historiques nous inspirent encore et toujours, colère et dégoût.
Ils sont un outrage à la mémoire des victimes de la barbarie nazie.

Cette année 2021 a également été marquée par la décision de la justice de notre pays de priver la famille de Sarah Halimi et tous les Français du procès dont ils ont besoin. Si nous avons confiance dans la justice de notre pays nous considérons que, sur ce dossier, une erreur grave de jugement conduit à un déni de justice.

Où est donc la justice lorsque la consommation volontaire de stupéfiants permet, à un assassin, islamiste de surcroit, d’échapper ensuite à son procès ?

L’assassinat de Sarah Halimi, véritable cas d’école de l’antisémitisme islamiste reste un traumatisme profond pour l’ensemble des Français Juifs. Il donne une dimension supplémentaire à l’antisémitisme signifiant aux Juifs que chez eux, même dans leur intimité familiale, ils ne sont pas en sécurité.

Si la condamnation il y a quelques jours de l’assassin de Mireille Knoll à la prison à perpétuité a rassuré les Français sur la capacité de la justice à retrouver ses esprits, elle n’enlève rien à la plaie de l’assassinat de Sarah Halimi.

C’est avec gravité que nous attendons les conclusions de la Commission d’enquête de l’Assemblée Nationale que l’on doit à l’engagement et la volonté farouche du député Meyer Habib à qui je veux rendre hommage ce soir.

Toute la lumière doit être faite et toutes les responsabilités mises à jour. Qu’il s’agisse des forces de l’ordre, des magistrats instructeurs ou des experts psychiatres.

Monsieur le Premier Ministre, l’antisémitisme n’est jamais une vue de l’esprit. Il s’insinue sur nos murs, défigure nos bâtiments et nos rues, il se glisse, serpente et se vautre dans le silence de la nuit. L’insulte est facile, elle est lâche et presque toujours anonyme.

Certains détestent tant les Juifs et Israël qu’ils s’attaquent même aux morts, avec lâcheté ils profanent des cimetières, saccagent des tombes, et peignent des croix gammées sur les stèles de nos défunts. D’autres s’attaquent aussi aux vivants.

Je veux rappeler ce soir encore la mémoire des douze Français hommes, femmes et enfants assassinés depuis le début des années 2000 au seul motif qu’ils étaient Juifs. Leurs noms et leurs visages habitent mon esprit chaque jour.
Comme je veux rappeler aujourd’hui la douleur de tous ces Français Juifs, victimes de cet antisémitisme du quotidien qui les pousse à quitter ces « territoires perdus de la République » leur faisant subir un véritable exil intérieur.
Dans la bataille contre l’antisémitisme, nous n’en sommes plus, heureusement, à la question du déni, qui a marqué le début des années 2000.

A tous les échelons les pouvoirs publics ont une réelle conscience de la réalité de l’antisémitisme et de la nécessité de le combattre.

Pourtant nous avons en revanche plusieurs défis à relever : le premier est l’indifférence d’une grande partie de nos concitoyens. Car l’acte antisémite est un mal sournois qui prospère souvent du silence coupable et d’une autre lâcheté qui a pour nom l’indifférence. Il faut dénoncer l’inconscience de ceux qui ne le commettraient pas mais qui ne s’insurgent pas contre ceux qui le commettent.

Leur silence le cautionne, leur indifférence le nourrit.

Méditons les mots d’Elie Wiesel « le plus douloureux pour la victime n’est pas la cruauté de l’oppresseur mais le silence du témoin passif ». Et travaillons à mieux faire comprendre à nos compatriotes que l’antisémitisme les concerne car comme je le rappelle souvent, si l’antisémitisme commence avec les Juifs, il ne s’arrête jamais aux Juifs.

Il est souvent le signe avant-coureur d’autres maux qui frappent toute la société : le racisme, l’homophobie, le sexisme et même la haine de la France !

Le second défi est aujourd’hui la faiblesse de la réponse judiciaire.

Les magistrats n’ont pas conscience qu’une réponse pénale laxiste face à l’antisémitisme réduit à néant la force dissuasive de l’arsenal législatif français contre l’antisémitisme, pourtant l’un des complets au monde.
C’est cette faiblesse de la réponse judiciaire face aux petits passages à l’acte antisémite – des graffitis aux insultes, en passant par le harcèlement scolaire qui nourrit l’antisémitisme du quotidien.

Face à cet antisémitisme qui pollue la vie de nombreux Juifs de France, nous devons convaincre qu’il faut davantage de fermeté car les actes antisémites de petite gravité sont souvent les premiers pas vers des passages à l’acte plus grave, contre les Juifs mais aussi contre la société dans son ensemble, comme le démontre le parcours de nombreux islamistes.
Quel message veulent nous envoyer les magistrats lorsqu’ils prononcent la relaxe de l’imam Mohamed Tataï auteur d’un prêche violemment antisémite dans sa mosquée de Toulouse ?
Sinon un message d’impunité !

Enfin, nous sommes aujourd’hui engagés dans une bataille majeure, celle de faire comprendre que l’antisionisme relève bien de l’antisémitisme.
C’est un combat fondamental si l’on veut s’attaquer à la vague d’antisémitisme actuel.

Je cite souvent Vladimir Jankélévitch qui avait eu ces mots : « L'antisionisme est l'antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est la permission d'être démocratiquement antisémite. »

Dans cette bataille de longue haleine, des avancées réelles sont à souligner.
Je pense notamment, après le discours du Président de la République au diner du Crif en 2019, à l’adoption par l’Assemblée Nationale, le Sénat et de nombreuses municipalités et collectivités de la définition de l’antisémitisme de l’IHRA qui intègre explicitement la dimension de la haine d’Israël.

Je pense également au fait que la France est l’un des seuls pays à disposer d’une législation permettant de faire condamner le mouvement BDS devant les tribunaux.

Monsieur le Premier Ministre, j’aimerais avant de conclure vous livrer une part d’intimité ou plutôt une conviction profondément ancrée en moi : au fond de moi, en tant que Juif, je ne crains pas l’antisémitisme. Bien-sûr, l’antisémitisme, aujourd’hui comme hier, arrache les vies et corrompt les esprits.

Mais je n’ai pas peur de l’antisémitisme ni des antisémites car le peuple juif, en France comme ailleurs, a toujours su surmonter avec abnégation les menaces, les épreuves et les agressions dans l’Histoire antique comme dans les sociétés contemporaines.

Non, malgré les âmes blessées par les insultes ou les préjugés, malgré les corps martyrisés de Toulouse ou de l’Hypercacher, de Sarah Halimi et de Mireille Knoll je sais que jamais, les antisémites ne viendront à bout du souffle de vie qui anime les Français juifs.

Les grands hommes et femmes qui ont marqué de leur empreinte cette histoire si singulière du judaïsme français, n’ont jamais abandonné le combat, y compris lorsque celui-ci pouvait paraître perdu d’avance.

Leurs héritiers, réunis ce soir dans cette salle, poursuivront ce combat car il n’y a pas de résignation possible face à l’antisémitisme.

Monsieur le Premier Ministre, si je crains l’antisémitisme, c’est avant tout en tant que citoyen français.

Les mots du Président de la République lors de son voyage à Jérusalem en janvier 2019 résonnent toujours  en moi, l'antisémitisme n'est pas seulement le problème des Juifs. Non, c'est d'abord le problème des autres car à chaque fois, dans nos histoires, il a précédé l'effondrement, il a dit notre faiblesse, la faiblesse des démocraties ».

Comme citoyen français, je crains que cette haine, signe précurseur de celles qui suivent, n’ébrèche notre démocratie. Que sa violence finisse par affaiblir l’adhésion à nos valeurs.

Puisse le cri des Français juifs en 2021 être entendu comme un signal pour tous les Français."

 

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