Lu dans la presse
|
Publié le 20 Septembre 2021

Procès des attentats du 13-Novembre - "On n’avait jamais vu ça, on n’avait jamais vu ça" : l’horreur du Bataclan racontée par un enquêteur

Devant la Cour d’assises spéciale, le policier Patrick Bourbotte, venu avec son équipe pour réaliser les premières constatations après l’assaut de la BRI et l’évacuation des blessés de l’attaque terroriste, a fait vendredi le récit de son entrée dans la salle de spectacle parisienne devenue une gigantesque scène de crime.

Les secours et forces de l'ordre à proximité du Bataclan, où l'attaque d'un commando terroriste en plein concert, lors des attentats du 13 novembre 2015, a fait 90 morts. LP/Olivier Corsan Brigade de recherche et d intervention

Publié le 17 septembre dans Le Parisien

L’assaut du Bataclan, lancé à 0h18, le 14 novembre 2015, par la Brigade de recherche et d’intervention (BRI), vient de s’achever. Patrick Bourbotte, policier expérimenté à la Brigade criminelle, croise un de ses collègues de la BRI, le visage marqué. « Il me dit : bonne chance, vous allez être dans l’horreur pendant des heures. J’avais envie de le féliciter pour leur travail, mais il ajoute : Ce que vous allez endurer, je ne le ferais pas. »

Cette tâche si effrayante, ce sont les constatations à mener sur cette gigantesque scène de crime où 90 personnes sont mortes. Une plongée méthodique et clinique dans le sang et les balles que l’enquêteur a longuement détaillé ce vendredi 17 septembre devant la Cour d’assises spécialement composée, qui juge à Paris vingt accusés (dont six par défaut) pour les attentats du 13 Novembre.

En arrivant sur le secteur avec son groupe le soir des attaques terroristes à Paris et Saint-Denis, ce commandant de 51 ans prend d’emblée la mesure de la tragédie en cours. « On ressent de la sidération, relate-t-il. Nous sommes au milieu des victimes qui courent, qui hurlent, qui sont ensanglantées. C’est terrible. » Plusieurs corps gisent déjà aux abords de la salle de spectacle parisienne.

À 5 heures du matin, une fois les derniers blessés évacués, le cortège officiel reparti et les lieux passés au crible des démineurs, cet homme au crâne dégarni et au bouc poivre et sel pousse la porte de l’enfer.

« Des corps, des corps, des corps »

« C’est assez indescriptible. L’ambiance est saisissante, lugubre, froide. Une grande lumière blanche rend l’endroit blafard. Les plafonds sont très hauts, cela donne un aspect de cathédrale. Les corps sont enchevêtrés. Ils sont si nombreux qu’on ne peut pas en saisir la portée. On n’avait jamais vu ça, on n’avait jamais vu ça », ressasse-t-il avant de poursuivre son effroyable cheminement.

« Nous marchons dans du sang coagulé, au milieu des morceaux de chair, des morceaux de dents. Les téléphones vibrent et sonnent. » Patrick Bourbotte reprend son souffle. La salle, garnie de nombreuses parties civiles, aussi. « Des corps, des corps, des corps », glisse-t-il d’une voix sourde.

Confronté au chaos, l’enquêteur parle méthode. Celle qui s’applique traditionnellement aux crashes aériens, quand la zone frappée est trop large et les victimes trop disséminées. Pour ne rater aucun indice de cette scène de crime hors du commun, le Bataclan est divisé en onze zones, désignées de A à K.

La « hantise » de passer à côté de blessés qui se seraient cachés

Avec pédagogie et minutie, Patrick Bourbotte détaille à la cour d’assises ce sinistre abécédaire. A : la cage d’escalier, où le corps d’un des assaillants sera retrouvé coupé en deux après l’actionnement de sa ceinture d’explosifs. I : les loges d’où certains rescapés se sont enfuis en regagnant les combles après avoir défoncé le plafond. « J’avais une hantise, souligne l’enquêteur. Qu’on passe à côté d’une victime blessée qui se serait mise dans un trou de souris. Nous avons fouillé tout ce que nous avons pu ».

Puis le témoin s’attelle au rez-de-chaussée. Zone C : la coursive droite et ses quinze corps dont huit entremêlés — « Ils ont été saisis par la mort en même temps ». Zone B : le bar, sept corps, quatre hommes, trois femmes. « On a l’impression d’exécutions individuelles, que les victimes ont été tuées l’une après l’autre », analyse-t-il.

Zones E, F et G : la fosse et ses quarante-quatre dépouilles. Le secteur droit, dans l’axe de l’entrée, a été particulièrement visé. « C’est là que l’on retrouve les corps les plus gravement impactés avec des plaies très délabrantes, précise-t-il. Ils ont été atteints par les premières rafales, là où la distance avec les terroristes était la plus courte ».

Le son des premières rafales

Les mots de Patrick Bourbotte suffisent à décrire le carnage. Le policier n’a pas jugé bon d’agrémenter son propos de photos de la salle, même si des clichés apparaissent subrepticement lorsqu’il fait défiler les documents sur son ordinateur. À la place, il propose une visite virtuelle du Bataclan après sa rénovation en énumérant le nom de chacune des victimes à l’endroit de leur découverte.

À l’image, le commandant de la « Crim » a préféré le son. Le dictaphone d’un spectateur du concert a enregistré l’intégralité de l’assaut. Les enquêteurs ont pu donc retracer à la seconde près le déroulement de l’attaque. Ainsi sait-on qu’il s’écoule 32 minutes entre le premier et le dernier coup de feu (au moins 309 ont été tirés). Le policier a choisi de faire écouter les vingt-deux premières secondes de l’enregistrement de cette séquence. « On a l’impression qu’il dure une éternité. Mais c’est nécessaire de l’entendre », justifie-t-il en employant le terme de barbarie.

Dûment prévenues, certaines parties civiles s’éclipsent. Après plusieurs tentatives infructueuses, le logiciel s’enclenche enfin dans un profond silence. Le son des guitares saturées du groupe des Eagles of Death Metal envahit la salle, le concert bat son plein, puis ce sont les premiers tirs. En rafales. Effrayants. Les amplis ne crachent plus que du larsen mais sans parvenir à recouvrir le bruit des balles qui claquent et qui tuent. Inutile d’en entendre davantage pour s’imaginer l’effroi qui a saisi tous les spectateurs.

Patrick Bourbotte et son équipe sont revenus chaque jour pendant deux mois au Bataclan pour parachever leur mission de constatations. Et ce n’est que le 27 novembre, quatorze jours après l’attentat, qu’ils retrouveront une jambe de Samy Amimour, le premier terroriste mort, pulvérisé par le déclenchement de sa ceinture explosive. Ces longues heures passées au plus près du crime ont laissé des traces. « Je m’associe de tout cœur aux parties civiles, conclut l’officier la gorge nouée. Je leur souhaite énormément de courage pour ce procès. »

 

Maintenance

Le site du Crif est actuellement en maintenance