Le CRIF en action
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Publié le 7 Janvier 2010

L’«héroïsme» de Pie XII ?

La signature par le Pape du décret reconnaissant les vertus héroïques de Pie XII confirme, avec un an de retard, le vote positif de la « Congrégation pour les causes des saints ». C’est la première étape pour la béatification ; il restera à l’Eglise à se prononcer sur un miracle et la cause de Pie XII paraît moins avancée que celle, plus récente pourtant, de Jean Paul II. Les Juifs n’auront évidemment pas à s’en mêler. Certains leur reprochent des réactions démesurées à l’égard d’une affaire interne à l’Eglise. Mais puisque nous sommes les « frères aînés », pourquoi ne pas nous exprimer sur des affaires de famille ?




Le terme « vertus héroïques » aurait un sens purement spirituel et n’impliquerait pas un avis sur les positions temporelles. Je doute qu’il soit perçu ainsi: nous sommes ce que nous faisons et le héros, vénérable aujourd’hui, peut-être bienheureux demain, est une boussole éclairant les fidèles dans les aléas de leur existence, quand la foi doit orienter leurs actions. A fortiori s’il a vécu en des temps dramatiques. Or les choix de Pie XII devant l’extermination des Juifs (dont le nonce de Slovaquie, au moins, l’avait informé dès mars 42) sont-ils exemplaires ?



Assez nombreux furent les Juifs dans l’immédiate après guerre à remercier Pie XII pour son action : on cite toujours une délégation de survivants au Vatican en 1946, un chèque de soutien du Congrès Juif Mondial, les déclarations de Golda Meir en 1958, le livre de Pinchas Lapide, consul d’Israël à Milan, celui, récent, du Rabbin Dalin de New York. On cite aussi la conversion du Rabbin de Rome, Israël (devenu Eugenio) Zelli, liée en fait à son rejet, pour cause de lâcheté, par sa communauté après la guerre.



Ces louanges assument souvent que l’aide, inoubliable, apportée aux Juifs par des membres de l’Eglise catholique dans l’Europe était liée à des instructions secrètes du Pape. Ce ne fut pas le cas en général, même si certains prêtres et religieuses en avaient la perception ; de fait, l’implication directe de Pie XII dans des réseaux de sauvetage, comme celui des monastères romains, organisé par l’admirable père Marie Benoit, reste discutée. Pour le cardinal Palazzini, Juste des Nations, vice-recteur du séminaire pontifical de Rome à l’époque, elle fut fondamentale, pour d’autres elle fut seulement vraisemblable et « implicite ». D’où entre autres la nécessité, répétée à foison, d’ouvrir les archives du Vatican…..



Il ne fait pas de doute, contrairement à une légende noire, que Pie XII s’est opposé à la doctrine nazie de l’inégalité des races, si contraire aux fondements mêmes du christianisme ; il l’a exprimé en particulier dans l’encyclique « Mit brennende Sorge » écrite par lui, publiée pendant le pontificat de Pie XI et lue dans les églises allemandes.



Mais, dans cette encyclique comme dans tous ses discours publics, le mot même de « Juifs » n’apparaît pas. Il y a un terrible parallélisme entre l’effacement de ce nom et l’anéantissement des êtres humains qui en étaient les porteurs. Ne pas dire, c’était dire. Et pour un Pape dont la seule force est la parole, dire c’est faire, ne pas dire, c’était décider de ne pas faire. Comment engager les fidèles à désobéir et à risquer leur vie sur la seule base d’allusions subtiles ? Le nom de Juif restait maudit. Le prononcer aurait peut-être accentué la fureur nazie, mis en danger supplémentaire des Juifs convertis (comme Edith Stein aux Pays Bas après la déclaration des évêques) et peut-être l’Eglise catholique elle-même. Certes. Mais Pie XII avait l’exemple de son ami von Galen, évêque de Munster, dont la seule voix avait obligé le régime à suspendre (même si on sait aujourd’hui que ce ne fut que transitoire) son programme d’euthanasie ?



La vérité est, me semble-t-il, que l’extermination des Juifs n’était dans l’univers mental du Pape qu’un événement déplorable, mais secondaire. Il fallait avant tout ne pas insulter l’avenir, penser à la survie de l’Eglise dans un monde qui serait dominé par le nazisme ou sinon menacé par le communisme. Il ne fallait pas relever de ses fonctions à Berlin le nonce Orsenigo, si complaisant envers Hitler; le Pape se devait de rester un diplomate « impartial » (impartial entre les Juifs et les nazis ?).



Et une fois la guerre gagnée par les Alliés, il fallait retrouver l’Eglise glorieuse d’antan, allergique à l’introspection. La Shoah n’a pas conduit Pie XII à modifier l’enseignement du mépris, ni à publier sur les Juifs le moindre texte à usage moral ou doctrinal. Il fallut attendre ses successeurs.



Une journaliste m’a demandé pourquoi je m’étonnais que le Pape n’ait pas avant tout privilégié la sécurité des siens, les catholiques, au cours de la guerre. Je lui ai répondu que je pensais naïvement qu’à crime universel, il fallait une réponse universelle, la parole d’un prophète. Le courage du témoignage et la force et la lucidité spirituelle ne sont-ils pas des vertus plus « héroïques » que celles des rapports des forces?



Richard Prasquier (article paru dans Actualité Juive du 7 janvier 2010)



Photo : D.R.