Le CRIF en action
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Publié le 15 Février 2012

L’interview de Richard Prasquier par Gideon Kutz

Maariv 12 février 2012 p.27

Traduit par le service de presse de l’ambassade de France en Israël

Je ne comprends pas pourquoi la famille de Lee Zeitouni ne porte pas plainte contre les auteurs de l’accident. Je ne comprends pas la campagne qu’ils mènent. La France a fait exactement ce qu’elle avait à faire

Si les esprits se sont échauffés la semaine dernière autour du dîner du CRIF, ce n’est pas parce c’est le seul endroit où se sont rencontrés, et se sont même serré la main, l’invité d’honneur de la soirée, le président Nicolas Sarkozy, et son rival aux prochaines élections, qui le devance dans les sondages, le socialiste François Hollande. Ce n’est pas non plus à cause de la présence du gratin de la politique française, de diplomates, de dignitaires chrétiens et musulmans, aux côtés des membres de la communauté juive qui, ne serait-ce qu’une fois par an, relève la tête avec fierté ; ni à cause de la présence émouvante de Noam et Aviva Shalit, mais sans Gilad. Cette fois-ci, la raison du scandale était la tentative des proches de Lee Zeitouni de participer au dîner. C’est mal à l’aise que les organisateurs du dîner se sont préparés à la tentative de s’introduire sur les lieux de l’événement d’Itzik Zeitouni, le père de Lee, et de Roï Péled, son compagnon, ceux-ci ayant annoncé avoir l’intention de venir et de s’adresser directement au président Sarkozy pour réclamer l’extradition des auteurs de l’accident de Lee qui se cachent en France. En fin de compte, les deux hommes se sont contentés d’une photo avec le cordon de police autour du pavillon du bois de Boulogne où se déroulait le dîner.

 

Docteur Richard Prasquier – 66 ans, président du CRIF depuis 2007, né dans un camp de réfugiés en Pologne à la fin de la Seconde Guerre mondiale, cardiologue et militant de longue date pour Israël et la communauté juive – a dû lire et entendre jour après jour les vexations que militants, blogueurs et internautes infligent, à lui, aux Juifs de France et à la France en général, car ils le considèrent, lui et sa communauté, comme complices des deux délinquants, voire même comme des ennemis du fait de leur appartenance à une communauté que de nombreux Israéliens accusent dernièrement de tous les maux : du coût de la vie et du logement et, à présent, de collaboration avec des assassins. Pasquier a donc décidé de venir en Israël, où vit sa fille et où il se rend plusieurs fois par an, pour expliquer la position de la communauté française et tenter d’empêcher une détérioration supplémentaire des relations entre les deux communautés et les deux pays à cause de cette affaire.

 

Docteur Prasquier, pourquoi les membres de la famille Zeitouni n’ont-ils pas été invités au dîner du CRIF ?

 

La première raison est qu’il faut demander pour participer au dîner du CRIF. La famille Zeitouni et les gens qui l’accompagnaient ont annoncé qu’ils "participeraient au dîner du CRIF" et ont ajouté : "Nous nous adresserons au président de la République au cours du dîner". Donc premièrement, la moindre des choses aurait été de demander aux organisateurs s’ils sont d’accord pour qu’ils viennent. L’organisation d’une telle soirée est quelque chose de complexe. Les gens sont invités longtemps à l’avance. Nous devons être très précis. Personne ne s’invite sans demander aux organisateurs. Ce sont des règles de politesse élémentaire. « Moi-même, je n’ai eu connaissance de la venue de la famille Zeitouni que peu avant leur arrivée. Lorsque j’ai appris qu’ils viendraient – et ce bien qu’ils n’aient pas pris la peine de me l’annoncer, alors qu’ils connaissent mon numéro de téléphone – j’ai demandé à les rencontrer. Parallèlement, j’ai demandé au ministre de la Justice du gouvernement français de les recevoir, et il a accepté. J’ai fait savoir à leur avocat, Me Goldnadel, que le ministre est prêt à rencontrer la famille Zeitouni, mais ils n’ont pas voulu le rencontrer. Je ne comprends pas comment ils ont pu organiser cette visite en se disant : "Nous allons faire pression et nous adresser au président de la République".

 

Vous avez craint des incidents violents durant le dîner ?

 

Je n’ai pas craint d’incident violent, mais ce n’est pas un sujet qu’il faut évoquer à ce dîner. C’est un dîner politique. Personne n’a parlé plus que moi de l’affaire Zeitouni aux autorités françaises. Je n’ai cessé de m’adresser à elles. Il faut comprendre qu’en France, le président est le président. Il est le chef du pouvoir exécutif, mais il ne contrôle pas le système législatif et judiciaire et il ne peut décider de ne pas agir conformément à la loi.

 

Mais en fin de compte, le président a évoqué l’affaire Lee Zeitouni lors du dîner.

 

Le président a effectivement dit quelques mots à propos de cette affaire pour souligner ce que nous n’avons cessé de dire, que la France n’extrade pas ses ressortissants. Quel intérêt y a-t-il donc à venir et à faire pression pour qu’elle change d’avis ? Ce n’est pas un avis, c’est une loi, et on ne peut modifier une loi rétroactivement. C’est une absurdité. Ceux qui critiquent la France disent que les auteurs de cet acte abominable – qui se sont conduits de manière absolument inacceptable, nous l’avons dit à plusieurs reprises – sont toujours libres. Mais il suffirait que le ministère israélien de la Justice ou la famille porte plainte pour que, le lendemain, ces deux personnes soient en prison.

 

Est-ce que vous comprenez pourquoi une telle demande n’a pas été faite ?

 

Non. Je ne comprends pas pourquoi ils ne le font pas. C’est une décision qu’ils ont prise. Je ne comprends pas pourquoi ils ne font pas quelque chose de tellement simple qui résoudra le problème et empêchera tant d’amertume. La France est un Etat de droit. Elle jugera ces deux hommes et les punira. Je peux vous dire que, de notre côté, nous ferons tout pour qu’on n’oublie pas la manière dont ils se sont comportés. J’ai été le premier à dire qu’il faut les bannir de la communauté, s’ils sont membres d’une quelconque communauté. Il n’y a pas de mots pour décrire ce qu’ils ont fait. Ils ont écrasé Lee, ne se sont pas arrêtés pour vérifier si elle est vivante ou morte. Ils ont fui les lieux puis se sont enfuis en France. C’est tout simplement indescriptible.

 

Etes-vous inquiet de l’atmosphère qui règne, depuis cette affaire, entre les Israéliens et la communauté juive de France, voire la France en général ?

 

Je pense que le peuple israélien, la communauté francophone en Israël et la communauté juive de France sont trop intelligents pour que cela prenne le dessus. Je pense qu’ils comprendront sans mal qu’il y a des lois et que l’incitation à la haine ne peut mener nulle part. La communauté juive n’est pas coupable des actes abjects de deux individus. La France a fait dans ce cas exactement ce qu’elle avait à faire. On ne peut l’accuser de rien. Je ne comprends absolument pas ce que cette campagne signifie et je dois dire que, lorsque je lis sur des blogs ou dans les réactions des internautes, que nous sommes inhumains, cela me choque. Et ceux qui me connaissent savent de quelle manière je réagis. Quand nous sommes venus en Israël, nous avons été les premiers à exprimer à la famille Zeitouni tout ce que nous ressentions face à cette tragédie terrible qu’est la mort de cette jeune femme qui était, comme nous l’avons compris, une femme formidable, joyeuse, pleine de vie et d’énergie, qu’attendait un brillant avenir. Je comprends la tragédie de ses parents et de son compagnon. Comment ne pas comprendre ? Comment ne pas vouloir que justice soit faite ? Pour que justice soit faite, je le dis et le redis sans relâche, il faut porter plainte. Les seules personnes qui peuvent porter plainte sont les proches de Lee Zetouni ou le ministère israélien de la Justice. Si ni les uns ni les autres ne portent plainte, les meurtriers de Lee Zeitouni continueront à vivre tranquillement en France, car le crime n’a pas été commis en France, et la France n’a pas les moyens juridiques de les poursuivre.

 

Votre visite en Israël a pour but d’expliquer cette position ?

 

Dans une large mesure, oui. Car, à mon avis, il est très important que la manière dont les choses ont été présentées n’ait pas de répercussions sur les relations franco-israéliennes et, bien sûr, sur les relations entre les Israéliens et les Juifs de France ».

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