Le CRIF en action
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Publié le 23 Janvier 2013

Menaces contre les pratiques religieuses: la laïcité comme rempart?

 

Intervention de Dov Maimon, chercheur au JPPPI, lors de la Convention du CRIF, dimanche 13 janvier 2013.

 

Directeur de recherche au Jewish People Policy Institute (Jérusalem), Dov Maïmon est notamment l’auteur d’une étude portant sur « le judaïsme européen en 2030 », où s’esquissent divers scénarios possibles pour le devenir communautaire. Ingénieur formé au Technion (Haïfa), diplômé de l’Inséad (Fontainebleau) en management, professeur aux Universités de Ben Gourion (Beer-Shéva) et du Mont Scopus (Jérusalem), Dov Maïmon travaille sur les rapports entre histoire, religions et politique. Son doctorat, consacré aux convergences entre mystiques juive et musulmane, a été récompensé du prix du Chancelier des Universités 2005, attribué chaque année au meilleur doctorat français en sciences humaines. Le Jewish People Policy Institute (JPPI) est un centre d’étude stratégique, basé à Jérusalem, qui se consacre aux problématiques liées à l’avenir du peuple juif.

Veiller à ce que les juifs qui le désirent puissent pratiquer leur culte. Cela passe par des mesures fortes au titre desquels il y aurait à protéger légalement les pratiques de la circoncision, de l'abattage rituel...

 

Le constat sans complaisance que je souhaite partager avec vous aujourd'hui, reprend dans ses grandes lignes le compte rendu que j'ai présenté au gouvernement israélien, puis à la Knesset, au congrès des ambassadeurs israéliens, à l'Agence Juive et, enfin, aux dirigeants juifs américains, rencontrés au cours de l’automne dernier.

 

Je m’en tiendrai donc à établir un état des lieux, qui résulte d’une étude de terrain menée par une équipe de chercheurs du JPPI sur l'ensemble des diasporas juives, et prioritairement destinée aux « décideurs du peuple juif » – pour lesquelles une telle étude pourrait servir de point de départ à une réflexion sur l’avenir de nos communautés.

 

D’emblée, j’aimerais souligner qu’en dépit de l’évidente bonne volonté des pouvoirs publics, et malgré leurs efforts visant à assurer la continuité de la vie juive – l'espace français n'est pas propice au développement d'un judaïsme "à l'aise dans ses baskets".

 

À défaut d'une décision politique courageuse, le scénario pour les juifs de France sera probablement le suivant : 10% se relocaliseront vers Israël et l'Amérique du Nord; 10-20%, du moins ceux qui en ont les moyens, se replieront dans des quartiers « à eux » - comme cela se passe d’ores et déjà au Mexique, au Venezuela ou encore au Brésil.

 

Partant, l'expression de leur identité juive dans l'espace public d'abord, puis dans l'espace privé, risque de s’en trouver fort amoindrie, et à moyen terme, nous pourrions même voir éclore des formes diverses « d’amnésie volontaire », pour reprendre la formule de Franz Kafka.

 

Fondamentalement, nous sommes confrontés à un lent processus d'exclusion du fait juif en tant qu'identité collective et nationale. Contrairement aux États-Unis, au Canada, au Québec, à l'Australie, voire même à la toute proche Angleterre, où la ténacité juive à conserver sa spécificité ethno-religieuse n'est pas perçue comme un atavisme réactionnaire, mais au contraire comme un signe de noblesse – les Juifs de France vivent à l’heure de la suspicion, et n’affichent pas aisément leur identité, ni leurs sentiments par rapport à Israël, afin, disent-ils de ne pas « susciter le malaise autour d’eux ».

 

La laïcité, qui a été pensée pour faire émerger le vivre ensemble,  favorise aujourd'hui le repli identitaire des juifs pratiquants et leur désaffection de la vie de la Cité. Les juifs aux signes ostentatoires d'engagement religieux se replient dans des immeubles à eux parce qu'ils ont des problèmes avec les interphones le samedi, se mettent dans des écoles à eux et sentent comme si leur présence dans l'espace publique dérangeait. Cette radicalisation entraîne par ricochet la désaffectation des juifs moins engagés des institutions communautaires.

 

Si le scénario dont je viens de tracer les contours devait se réaliser pleinement, il entraînerait une perte silencieuse, quoique tragique, d’au moins 300 000 filles et fils de notre peuple, ce qui constituerait une phase supplémentaire dans le lent processus d’étiolement du judaïsme européen, tout comme une négation de l’idéal républicain, fondé sur un impératif de liberté et un strict respect des droits de l’homme.

 

Les juifs de France, mal structurés et souvent déstabilisés, peinent à définir un projet fédérateur, et à s'atteler à l’élaboration d’un plan d'action. Comme je le disais l'an dernier en ces mêmes lieux, intervention qui avait été reprise par le journal Lacroix , « Si aujourd’hui presque rien n’est fait pour les jeunes juifs de 18 à 35 ans, si l’on n’encourage pas ni ne finance les initiatives les plus audacieuses d’engagement juif nous avons toutes les chances de perdre les forces d’influence du judaïsme français »

 

L'État français, pour sa part, doit décider s'il souhaite avoir une communauté juive florissante sur son territoire, ou s'il est prêt à s'accommoder de sa disparition progressive. L'option zéro, l'option du laisser-faire, est aussi une option. Elle est porteuse de signification. Pour des raisons qui sont propres à l’histoire du XXe siècle, Angela Merkel a ainsi déclaré récemment qu’elle souhaite voir le judaïsme s’épanouir dignement en Allemagne. Le 10 décembre 2012, elle s’en est d’ailleurs donné les moyens, en faisant notamment voter une loi visant à protéger le rite de la circoncision (malgré l'opposition de 70% des Allemands à la légalisation de cette pratique). Elle a par ailleurs accordé de nouveaux crédits à la communauté juive allemande, afin de soutenir ses activités culturelles, et d’inscrire encore davantage sa présence dans le cadre de la société globale.

 

Face au premier ministre israélien qu’il a rencontré à Toulouse, en novembre dernier, le Président François Hollande a eu des déclarations analogues.

 

J’ajoute que pour les juifs de France, la laïcité, dans son application actuelle, est une porte ouverte à l'assimilation, donc un challenge à l’avenir communautaire.

 

Seule une démarche méthodique, fondée sur un rigoureux travail de réflexion, est susceptible de laisser émerger des options possibles, et des directions nouvelles.

 

Et naturellement, ce sont vous les hommes et femmes politiques français, vous les dirigeants communautaires, vous les juifs et tout le peuple de France qui, en dernière analyse, décideront de l’avenir du judaïsme français.

 

Si nous aspirons à l’avènement d’un judaïsme florissant, alors un dialogue fécond doit se nouer entre les politiciens français et les dirigeants communautaires. Dans cette perspective, le JPPI sera à vos côtés, si vous le souhaitez.

Concrètement, les pouvoirs publics peuvent intervenir sur plusieurs plans essentiels. Pour illustrer mon propos, j'en citerai aujourd'hui deux :

 

1.         Veiller à ce que les juifs qui le désirent puissent pratiquer leur culte. Cela passe par des mesures fortes au titre desquels il y aurait à protéger légalement les pratiques de la circoncision, de l'abattage rituel, mais aussi trouver des solutions pour que les juifs pratiquants puissent sortir de leurs immeubles le samedi, et adapter le calendrier des examens publics pour leur permettre d'étudier librement dans les universités françaises, comme cela se fait déjà en Italie.

 

2.         Soutenir les efforts de la communauté. Avant même de parler de discrimination positive, il s'agit d'aligner les conditions des différentes minorités culturelles. Le seul grand bailleur de fonds juif en France est la FMS, dont l'argent provient des biens juifs spoliés par les nazis. Sur son budget annuel, qui est de €21m, dix millions sont consacrés au Mémorial de la Shoah. Si à l'instar de la Maison du Monde Arabe et de l’Institut des Cultures d’Islam, ce mémorial, qui fait partie du patrimoine historique de l'ensemble des Français, comme d'ailleurs le Mémorial de Drancy qui va couter 15 millions d'euros à la communauté, était pris en charge par l'État, la communauté aurait les fonds nécessaires pour lancer des programmes efficaces dans ses écoles, dynamiser sa jeunesse, former ses cadres et assurer sa pérennité.

 

Le judaïsme français oscille aujourd’hui entre renaissance et déclin. Si rien n'est entrepris d’ici peu, je crains cependant que le renouveau ne soit pas au rendez-vous.

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