Le CRIF en action
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Publié le 5 Avril 2012

Richard Prasquier : « Voici pourquoi nous militons »

Un entretien avec Richard Prasquier

 

Après le dernier dîner du CRIF auquel ont assisté de très nombreuses personnalités au premier rang desquelles le président de la République et le Premier ministre, Information Juive a interrogé Richard Prasquier sur les objectifs du CRIF aujourd’hui ainsi que sur l’image qu’il donne de lui au sein de la société.

nous aurons désormais à lutter contre des adversaires de mieux en mieux organisés, de mieux en mieux financés, de plus en plus virulents et disposant de relais très importants

Information Juive : Quelle signification donnez-vous à ce dîner annuel du CRIF, devenu une institution ?

 

Richard Prasquier : Certains, notamment  dans le monde politique, nous disent effectivement que ce diner est devenu incontournable. Je m’en réjouis et en même temps, je sais que rien n’est immuable dans le monde des hommes. Cette tradition a été instituée par Theo Klein, il y a 27 ans, alors que Laurent Fabius était Premier ministre. Il a pris de plus en plus d’ampleur, tout en conservant son format extrêmement simple : discours du président du CRIF suivi habituellement de celui du Premier ministre. Pendant son quinquennat, Nicolas Sarkozy est venu à trois reprises prendre lui-même la parole, ce qui n’avait pas été le cas de ses prédécesseurs. Qu’il soit amené à prendre la parole ou pas, François Fillon a toujours été présent, accompagné d’un grand nombre de ses ministres. Les membres de ont toujours été présents et ce fut le cas au cours du diner de cette année  qui fut de l’avis de tous une grande réussite. C’est un moment privilégié de rencontre entre la classe politique, tendances diverses confondues, les représentants de grandes institutions de l’Etat et de la société, les représentants des religions, les ambassadeurs, les militants institutionnels juifs ou non, quelques personnalités emblématiques et, évidemment les personnes privées présentes. Ce diner n’a pas d’équivalent dans la vie politique. Il génère beaucoup de fantasmes et de jalousies. Il occulte parfois malheureusement le travail, souvent en dehors des projecteurs, fait par le CRIF tout au long de l’année. Ce diner est aujourd’hui reproduit par des diners régionaux du CRIF qui rassemblent, suivant les mêmes principes, les responsables politiques ou non : Marseille, Nice, Lyon, Toulouse, Grenoble, Lille, Strasbourg ont organisé de tels dîners au cours de l’année dernière. Il  faut absolument conserver à ce dîner son caractère laïc et républicain. C’est ainsi seulement que la communauté juive peut exprimer en même temps sa très grande diversité et sa réelle et rassurante unité (je n’ai pas dit unanimité). Le poids de l’histoire donne une légitimité à notre prétention à être des vigies, à notre revendication de lucidité et à notre volonté d’exprimer les espoirs et les craintes de l’ensemble, ou plutôt du plus grand ensemble possible, des Juifs de France, quelles que soient leurs façons de se sentir juifs.

 

On a pu dire que ce dîner suscite un malaise chez une partie des juifs de France. Partagez-vous ce sentiment ?

 

Si on met de côté les jalousies et les critiques systématiques et inévitables, il y a plusieurs causes de récriminations. Il y a d’abord ceux qui ne supportent pas les prises de position du CRIF, et notamment les décisions de ne pas inviter les partis politiques de l’extrême gauche et des écologistes. Je reçois chaque année des commentaires irrités à ce sujet, et je leur réponds toujours la même chose : dès que ces partis arrêteront d’attaquer Israël de façon répétitive, outrageante, absurde et illégale j’aurai plaisir à les inviter de nouveau.. Nous n’avons pas vocation, dans cet événement privé, à inviter des gens qui prônent le boycott d’Israël et font de Marwan Barghouti un citoyen d’honneur de leurs villes. J’ai par ailleurs longuement expliqué pourquoi nous n’inviterons pas non plus le Front national, même après ses récents ravaudages de façade. Il y a ceux qui pensent que le dîner du CRIF, par sa médiatisation, peut susciter des réactions négatives et qu’il vaut mieux garder un profil plus bas, ou qu’il ne faut pas donner d’image  » communautaire  » du judaïsme. C’est un choix que je ne partage pas.

 

Comment réagissez-vous à la présentation qui est désormais faite du CRIF sur la Toile ?

 

Il y a ceux qui pensent que le diner est trop marqué « establishment ». J’entends bien cette remarque, je regrette que ce diner ne soit pas accessible à tous, mais le diner du CRIF n’a pas vocation à être un meeting. Il y a ceux qui pensent que ce diner est inutile, car il n’entraîne pas les modifications qu’ils souhaiteraient dans la politique française. C’est le contraire qui eût été surprenant. Nous n’avons pas à imposer, nous avons à parler, à témoigner et à expliquer. Le diner est une occasion exceptionnelle d’exprimer les doléances de la communauté juive dans le domaine politique et de souligner notamment notre attachement à Israël. Comme mes prédécesseurs, je n’ai jamais hésité à le faire. Certains trouvent que nous parlons trop d’Israël Je ne parle pas de ceux qui exècrent Israël et exècrent en même temps le CRIF et son diner annuel. Mais il y a d’authentiques amis d’Israël : ceux-là ne comprennent pas le niveau de la détestation auquel ce pays est confronté aujourd’hui.

 

Qu’avez-vous retenu du discours prononcé par le président de la République cette année ?

 

Ce que j'ai retenu des paroles souvent très émouvantes du Président c'est la réitération de son engagement profond envers Israël (" Israël est un miracle "), ainsi que la confirmation de ses efforts pour empêcher l'Iran de fabriquer un arsenal nucléaire. J'ai en revanche du mal à envisager le conflit israélo-palestinien comme  lié aux efforts que les Israéliens devraient faire " pour se faire aimer ".  Le blocage de fond provient du refus de l'existence d'un Etat d'Israël quelles qu'en soient les limites. Un discours comme celui du mufti de Jérusalem il y a deux mois, ceux de la conférence de Doha sur Jérusalem, il y a quelques semaines, sont malheureusement éclairants. Ce n'est pas un déficit d'amour qui explique les discours de meurtre ou de négationnisme historique.

 

On sait que le vote juif n'existe pas mais la communauté juive a-t-elle un message à la veille de l'élection présidentielle ?

 

Il n'y a pas de " vote juif ". Il y a eu de rares enquêtes sur la façon dont votent les Juifs (définis par auto affirmation) et je ne sais pas si leurs quelques conclusions sont fiables car ce domaine demeure légalement très sensible. Les Juifs votent peu pour les extrêmes. Le Front national n'a pas cette année fait la percée qu'il proclamait. Les Juifs vont se déterminer en fonction de leurs préférences économiques, ce qui est sain, mais pour certains d'entre eux, la solidarité avec l'Etat d'Israël est un élément de leur vie  suffisamment important pour que ce facteur intervienne. Il n'y a là rien de surprenant, ni de répréhensible. Mais cela nécessite une réflexion toute particulière pour ne pas réagir sur des émotions contre-productives ou des rumeurs non documentées. Le message à faire passer est " arrêter de diaboliser et rechercher un meilleur équilibre dans la présentation des faits ". Nous ne voulons pas de boucs émissaires parmi les individus, parmi les groupes  ou parmi les nations.

 

Quels sont selon vous les principaux défis que la communauté juive française dopit relever au sein de la société française au cours des années à venir ?

 

Les défis à venir de la communauté juive, nous les connaissons. La démographie est une science fiable et l'évolution de la société est assez claire. Nous sommes trop peu nombreux pour abandonner du monde sur le chemin. Nous sommes porteurs d'une tradition trop précieuse pour la laisser en déshérence. Nous sommes les vecteurs d'un message trop universel pour nous réfugier dans des citadelles fermées. Nous sommes promoteurs d'un développement scientifique et artistique dont nous devons donner le goût à nos enfants plutôt que celui des non-valeurs de l'avoir et du paraître. Nous sommes les fils des témoins d'un crime inouï qui a failli nous empêcher de naître et ceux d'une renaissance nationale extraordinaire qui empêchera ce crime de se perpétrer de nouveau. Nous devons enfin apprendre à travailler ensemble dans le respect de la diversité des points de vue et dans le désir d'apporter une pierre à l'édifice commun.

 

A quel type de problèmes et de difficultés le CRIF est-il confronté aujourd'hui ?

 

Je ne vais pas glisser dans l'autosatisfaction. Le CRIF est soudé, les décisions sont partagées et l'ambiance  est excellente. Nous pensons travailler de façon proactive et réactive en développant  nos liens avec les pouvoirs publics, avec la classe politique en général, avec la société civile, avec les institutions étrangères  et avec les diverses organisations représentatives de la diversité de notre pays. Nous sommes à l'écoute de la communauté juive et de la communauté nationale. Dans nos relations, profondes et anciennes, avec les chrétiens et les musulmans nous savons distinguer ce qui revient au politique, la vie dans la cité, et ce qui revient au théologique, qui n'est pas de notre ressort. Nous pouvons nous améliorer, les critiques sont bienvenues et on peut les exprimer sur notre site qui vient de se transformer.

 

Depuis votre arrivée à sa présidence, le CRIF a-t-il changé ?

 

Est-ce que le CRIF a changé ? Le monde a changé, la France a changé, les enjeux ont changé. Ils sont plus aigus qu'ils ne l'ont été dans le passé. Je ne vais pas m'étendre ici sur l'abattage rituel, ce n'est pas mon rôle, mais je vois avec attention et inquiétude cette question évoluer vers un risque de stigmatisation communautaire et des difficultés économiques réelles. Les progrès du populisme en Europe et en France sont réels et nous en connaissons les risques. La banalisation du discours au sujet de la Shoah, alors que les survivants nous quittent, la difficulté de son enseignement nous préoccupent plus que dans le passé. Enfin l'intégrisme islamique sur lequel je ne vais pas m'étendre, à l'égard duquel trop de complaisance et d'incompréhensions circulent (les Frères Musulmans, des islamistes " modérés "?). L'antisionisme enfin, s'est imposé comme vecteur essentiel, parfois inconscient, de la critique obsessionnelle contre les Juifs, qui est l'avatar hypocrite de l'antisémitisme d'aujourd'hui. Nous ne sommes pas du tout, comme certains ignorants le prétendent, dans les années 30 en Allemagne. Mais nous aurons désormais à lutter contre des adversaires de mieux en mieux organisés, de mieux en mieux financés, de plus en plus virulents et disposant de relais très importants dans une société où la doxa anti-israélienne prospère. La défense d'Israël est notre défense à nous, en tant que Juifs de France, car la pérennité d'Israël n'est pas négociable. Notre succès se mesurera au degré de remise en cause par l'opinion publique des stéréotypes véhiculés. Il ne peut provenir que d'initiatives réfléchies et coordonnées. Le paraître, la légèreté et évidemment l'injure sont des garanties d'échec, et l'échec nous sera imputé à tous. Il est du devoir du CRIF de défendre une route de fermeté responsable. Nous devons le faire dans une atmosphère d'unité et je remercie le Consistoire et son président, Joël Mergui, d'en montrer l'exemple par cet entretien qui m'est accordé dans votre journal.

 

Cette interview est issue du numéro 320 de Mars 2012 d’Information Juive :

http://www.informationjuive.fr/2012/03/%E2%80%9Cvoici-pourquoi-nous-militons%E2%80%9D/

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