Editorial du président
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Publié le 12 Février 2013

Démission de Benoit XVI

 

On ne peut qu’éprouver du respect devant la décision du Pape Benoit XVI de démissionner dans une quinzaine de jours en raison de la perception qu’il a de son affaiblissement physique. L’annonce effectuée au cours d’un consistoire de cardinaux destiné à la canonisation de trois martyrs d’Otrante (à la suite de la prise de la ville par les troupes ottomanes) a stupéfait le monde. Les réactions étaient uniformément positives et le communiqué du Crif a souligné le rôle considérable que Benoit XVI avait joué dans la pérennisation du dialogue judéo-catholique. Seul, le cardinal Dziwisz de Cracovie, le plus proche collaborateur de Jean Paul II, a émis une forte réserve : « On ne descend pas de la croix ». Benoit XVI, qui a aussi accompagné Jean Paul II au long de son pontificat a réfléchi sur les dernières années de celui-ci marquées par une très grave maladie de Parkinson et en a tiré des conclusions différentes de celles de son prestigieux prédécesseur.

 

Cette décision n’est pas tout à fait sans antécédent, mais il faut remonter à sept siècles pour en trouver l’équivalent. L’exemple de Grégoire XII n’est pas pertinent, car celui-ci fut obligé de démissionner par le Concile de Constance en 1415 pour résoudre le problème du « Grand schisme de l’Occident » où trois Papes (dont deux antipapes suivant les conclusions rétroactives) se disputaient le siège de Saint Pierre.

 

En revanche la décision de Célestin V de démissionner en décembre en 1294 a certainement fait méditer Benoit XVI, qui lui avait d’ailleurs rendu hommage en visitant l’Aquila, détruite par le tremblement de terre de 2009 , où se trouvent les souvenirs de ce Pape très improbable. Pieux ermite, recherché comme thaumaturge et fondateur d’un ordre qui après sa mort prit le nom de Célestins, il était connu de cette douzaine de cardinaux, presque tous d’origine romaine et rattachés aux familles rivales des Colonna et des Orsini, qui n’étaient pas parvenus depuis près de deux ans à choisir un Pape et qui, faute de consensus, avaient, contre son gré, choisi hors de la curie, ce vieillard peu instruit, plus habitué aux mortifications physiques et aux exercices spirituels qu’aux subtilités du droit canon ou de la politique européenne. Après cinq mois de pontificat, convaincu d’être une “erreur de casting” Célestin démissionna après avoir demandé à un cardinal érudit s’il avait droit de le faire. Celui-ci le lui confirma, puis une fois élu lui-même sous le nom de Boniface VIII, il s’empressa d’emprisonner Célestin de crainte que celui-ci revienne sur sa décision. La suite, la volonté anachronique de Boniface VIII d’établir une papocratie en Europe, d’où ses conflits avec Philippe le Bel de France, appartient à la grande histoire. Par contraste, l’hostilité contre Boniface VIII a fait pendant des siècles des Célestins un ordre protégé et prospère dans notre pays.

 

Bien différent de Célestin V apparaît donc Benoit XVI, grand théologien et grand intellectuel, professeur plus que mobilisateur des foules. Mais les aptitudes extérieures différentes ne préjugent pas d’une vie spirituelle qui est peut-être similaire.

 

J’ai rencontré Benoit XVI à plusieurs reprises, notamment à Birkenau, six semaines après son élection, à Paris au cours de son voyage de 2008 où j’ai eu l’honneur de m’adresser à lui en tant que représentant la communauté juive de France, au Vatican et à Jérusalem au cours de son voyage historique. Il m’est arrivé d’être déçu par ses représentations de la Shoah, parce qu’elles me paraissaient réservées, pas assez empathiques, parce qu’elles faisaient la part trop belle aux considérations métaphysiques et limitaient apparemment trop les responsabilités humaines à un petit groupe de criminels nazis.

 

J’ai été profondément gêné quand s’est développé le mouvement en faveur de la béatification de Pie XII dont je ne peux pas oublier les silences pendant la guerre, mais aussi après la guerre, alors que les menaces de représailles contre les chrétiens avaient disparu.

 

J’ai été choqué que l’on n’ait pas su, ou pas voulu savoir, quelles étaient les opinions de Mgr Williamson, l’évêque lefévriste publiquement antisémite et négationniste, quand le Vatican a cherché à établir des liens avec la Fraternité Saint Pie X.

 

Comme d’autres, je me suis alors exprimé. Mais à aucun moment, je n’ai mis en doute la volonté de Benoit XVI d’approfondir le dialogue entre Juifs et chrétiens, son désir, exprimé à de nombreuses reprises et au cours de nombreuses visites, de pérenniser avec les Juifs des relations fraternelles, ses conclusions tirées de sa compétence théologique exceptionnelle, de la judéité de Jésus et des premiers disciples et ses efforts de ne rien céder sur les acquis de Vatican II.

 

Benoit XVI a été, avant même d’être Pape et pendant qu’il a été Pape, un grand artisan du rapprochement des chrétiens envers les Juifs. Qu’il en soit remercié. Ceux qui le traitent d’ancien nazi parce qu’il avait été dans les Jeunesses hitlériennes (où depuis 1938 les jeunes « aryens » allemands, tels le futur grand  philosophe Jurgen Habermas, étaient obligés de s’inscrire),  calomnient honteusement sans connaître les complexités de l’histoire. Il ne faut pas confondre la trajectoire d’un jeune Ratzinger, de famille antinazie parce que profondément catholique et un Günter Grass qui s’était engagé dans les Waffen SS.

 

Je souhaite à Benoit XVI une retraite paisible et studieuse et j’espère que son successeur continuera envers les Juifs l’exceptionnel travail effectué jusqu’à maintenant au sein de l’Eglise catholique et singulièrement au sein de l’Eglise de France.

 

Richard Prasquier

Président du CRIF