Jean Pierre Allali

Membre du Bureau Exécutif du CRIF, Jean-Pierre Allali préside la Commission des Relations avec les Syndicats, les ONG et le Monde Associatif.

Blog du Crif - Falashas, Falashmuras, Beta Israël… Les Juifs d’Ethiopie

23 Décembre 2020 | 329 vue(s)
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Israël

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Jeunes Juifs ethiopiens engagés dans la Gadna

Il y a peu, au tout début du mois de novembre 2020, laissant de côté leurs divergences, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, accompagné de son épouse, Sarah et le ministre de la Défense, Benny Gantz, en présence du ministre des Affaires étrangères, Gabi Ashkénazi et du président de l’Agence Juive, Itshak Herzog, ont accueilli à l’aéroport Ben Gourion, 500 Juifs éthiopiens dont une majorité de Falashmuras dans le cadre d’une alyah collective. Une opération baptisée « Tsur Israël » (Créer Israël)

C’est un appareil de la compagnie Ethiopian Airlines qui a conduit ces nouveaux immigrants qui rêvaient depuis longtemps de retrouver leurs familles déjà installées en Eretz. Plusieurs milliers d’autres Juifs éthiopiens sont attendus prochainement en terre d’Israël.

Pendant longtemps, le monde avait oublié cette branche du judaïsme. C'est grâce à un savant juif français d'origine polonaise, Jacques Faitlowitz, que, dans les années 1930, on a redécouvert les Falashas. Voyageant alors en Abyssinie, dans la région de Gondar, ancienne capitale de l'Éthiopie, au nord du lac Tana, Faitlowitz tombe littéralement sur des Juifs noirs, les Falashas, « Exilés » ou « Étrangers » en amharique, qui pratiquent un judaïsme tout à la fois incomplet et d'une pureté incontestable. Les recherches entreprises alors ont permis de mieux connaître cet ensemble humain original qui, depuis, a souvent fait l'actualité de la presse israélienne et internationale.

La théorie la plus communément avancée sur l'origine de cette population est celle qui consiste à penser que les Falashas ou plutôt les « Béta Israël », dénomination qu'ils préfèrent, sont les descendants des notables de Jérusalem qui accompagnèrent Ménélik 1er, fils du roi Salomon et de la reine de Saba, lors de son retour dans ses terres après un séjour de plusieurs années au royaume d'Israël où il fut oint au Temple de Jérusalem et adopta le second prénom de David en mémoire de son illustre aïeul.

Lorsque, au IVème siècle, la capitale éthiopienne, Axoum, devint chrétienne, les « Beta Israël », hostiles à la conversion, se replièrent dans leur royaume indépendant du Semien, dans la région du Tigré. C'est là que va naître, vers 950, Yéhoudit, fille du roi Gédéon IV.

La jeunesse de cette princesse juive demeure obscure malgré les textes légendaires et les récits des grands voyageurs. Pour les uns, dès son plus jeune âge, elle fut envoyée en Syrie dans une famille juive. C'est là qu'elle rencontra celui qui allait devenir son compagnon, Zénobis. Pour d'autres, elle fut donnée pour épouse au seigneur de Begwana, près de Lasta, au sud du lac Tana. Ce qui est sûr, c'est qu'elle décida, très jeune, de mener un combat farouche contre la chrétienté symbolisée par Axoum, sa cathédrale et ses palais. Elle va lever des troupes et faire parvenir à ses coreligionnaires ce message : « Mes frères, le moment de la délivrance est proche. Nous allons nous débarrasser de ces Chrétiens impies qui nous harcèlent depuis des siècles pour nous faire adopter un dieu dont nous ne voulons pas. Venez me rejoindre. Tous unis, nous serons une armée invincible et nous écraseront nos ennemis d'Axoum ».

Emmenés par Yéhoudit, les « Beta Israël » quittent la Syrie, passent par la Palestine et le Sinaï, longent la mer Rouge, atteignent Massaoua. Sur leur chemin, des villageois, juifs et non-juifs se joignent à la troupe. Ils sont des milliers à attaquer Axoum qui va tenir douze ans. On peut lire dans de vieux textes éthiopiens : « D'abord, elle détruisit le palais, puis la cathédrale qui avait été construite par Abreha et Asbeha avec de l'or, de l'argent et des diamants. Les stèles dues à des artisans grecs furent mises à bas et cassées avec des marteaux. Les puits furent bouchés et le pays devint désert... »

Yéhoudit prit le pouvoir à Axoum où elle régna pendant quarante ans. Elle fut renversée par une alliance des Chrétiens avec des tribus musulmanes d'Érythrée. La dynastie des Zagoués, des Agaous chrétiens lui succéda. Ils rebâtirent la cathédrale mais furent relativement tolérants à l'égard des « Béta Israël » vaincus.

Au XIIIème siècle, le roi Yekuno Amlak se montra beaucoup plus dur avec les Juifs et, quelques siècles plus tard, l'empereur Susneyos ordonna l'extermination des Falashas qui connurent dès lors des heures difficiles. On peut comprendre des lors que nombreux furent ceux qui répondirent favorablement aux sirènes de la conversion.

Complètement isolés du monde extérieur, les Falashas, pendant des siècles, s'en sont tenus à un judaïsme qui s'était figé à l'époque de la destruction du premier Temple. Ils connaissaient donc la Thora, observaient le chabbat et le jeûne du Yom Kippour et pratiquaient la circoncision. Avant l'arrivée du docteur Faitlowitz, qui passa dix-huit mois parmi eux, les Juifs d'Éthiopie ignoraient la construction du second Temple de Jérusalem puis de sa destruction par les Romains en 70. Ils ne savaient rien du Talmud ou de certaines fêtes juives comme Hanoukah et Pourim.

En 1864, un rabbin allemand, Israël Hidesheimer, chiffrait à 250 000, le nombre des Juifs d'Éthiopie.

Petits artisans ou paysans sans terre, les Falashas furent très tôt une proie facile pour les nombreuses missions chrétiennes de toutes obédiences qui parcouraient l'Abyssinie à la recherche de familles et surtout d'enfants à évangéliser.

Enthousiasmé et ému par sa découverte, Jacques Faitlowitz entreprit une véritable croisade aux États-Unis, obtenant de l'Agence Juive un bureau où il installa un Comité de Soutien aux Falashas. Des fonds furent collectés qui permirent de créer des écoles juives pour les enfants falashas. Hélas, l'existence de ce comité fut éphémère. Il ne dura que quelques années. Le lien entre les Juifs éthiopiens et le monde extérieur était rompu.

La création de l'État d'Israël, en 1948 permit d'une certaine façon de renouer le contact. De jeunes Falashas réalisèrent leur alyah et nombre d'entre eux participèrent à la création de kibboutzim. Parallèlement, des associations juives de bienfaisance bâtissaient de nouvelles écoles et fournissaient des professeurs. Un millier d'enfants purent être ainsi scolarisés. L'OSE, œuvre de Secours aux Enfants, créa sur place des dispensaires.

Le rapprochement du souverain éthiopien, le Négus, avec le monde arabo-musulman, va avoir pour conséquence, un ralentissement voire un arrêt total de l'émigration des Falashas vers Israël

Malgré ces circonstances défavorables quant au lien avec l'État juif, les Falashas auraient pu continuer à vivre dans leur pays avec, occasionnellement, des aides extérieures. C'était sans compter sur les caprices de l'Histoire.

Le 12 septembre 1974, le Négus, le « Roi des Rois » Haïlé Sélassié est renversé. À la tête des rebelles, le colonel Mengistu Haïlé Maryam. C'est la Révolution. Les Juifs éthiopiens vont faire les frais d'une guerre intérieure dont ils ne sont pas partie prenante. D'un côté, les troupes soudanaises, alliées de Mengistu, considérant les Falashas comme pro-Négus, les ont combattus sans pitié. De l'autre, les soldats gouvernementaux, poursuivant les rebelles jusque dans les villages falashas où il leur arrivait de s'abriter, n'hésitaient pas à sacrifier la population civile. Plusieurs années de guerre civile suivie du régime dictatorial de Mengistu vont être épouvantables pour les Juifs d'Éthiopie.

En mars 1979, le président de l'association des Falashas d'Israël, Zimnah Berhane lance un cri d'alarme. Selon lui, des milliers de Juifs éthiopiens ont été massacrés, des femmes et des enfants ont été vendus comme esclaves, certaines femmes ont eu les seins coupés. (1)

Il reste alors en Éthiopie 28 000 Juifs. Le problème de leur évacuation vers Israël se pose de manière urgente pour les dirigeants du pays. D'autant plus que depuis 1975, les deux Grands rabbins d'Israël, l'Ashkénaze Chlomo Goren et le Sépharade Ovadia Yossef , ont reconnu le caractère juif des « Beta Israël ». Les années qui vont suivre se dérouleront au rythme des transferts de Falashas vers l'État juif et des discussions sur leur judéité et des difficultés d'intégration d'une population peu préparée à la modernité.

Deux opérations aéroportées, en 1984 puis en 1991, l'opération « Moïse » puis l'opération « Salomon », vont permettre le transfert en Israël de 8 000 puis de 15 000 Falashas. En mai 1991, ce sont 41 vols directs en Hercules C 130 et en Boeing, entre Addis-Abeba et Tel Aviv, qui, en 35 heures, auront permis cette incroyable épopée. À l'arrivée à Lod, 263 autobus attendaient les nouveaux citoyens pour les diriger vers des centres d'absorption.

En France et en Europe, les campagnes en faveur des Juifs éthiopiens se sont multipliées, notamment sous l’impulsion de l’Organisation Sioniste Mondiale. Le peintre Raymond Moretti a créé un tableau qui a permis l’édition d’un timbre par le B’naï B’rith Européen.

Lorsque la quasi-totalité des Juifs d'Éthiopie se retrouva en terre d'Israël, le problème se posa pour les Juifs qui avaient choisi la conversion au christianisme, les Falashmuras, lesquels, à leur tour, demandaient, souvent au motif de la réunification des familles, à rejoindre l'État juif. En 2015, le gouvernement d'Israël a décidé d'autoriser la venue de 9 000 Falashmuras 

Entre ceux qui étaient venus dès la création d'Israël, ceux qui sont arrivés, au fil des ans, ceux qui ont été acheminés lors des opérations « Moïse » et « Salomon », ceux qui sont arrivée lors d’opérations plus modeste comme celle de novembre 2020 et ceux, enfin, qui sont nés en Israël, on dénombre, en 2020, 150 000 Israéliens d'origine éthiopienne. Si les difficultés d'intégration des Juifs éthiopiens en Israël ont été certaines, les réussites individuelles, notamment à l'armée, sont remarquables. En 2002, un premier Juif éthiopien, Yefet Alemo a été consacré rabbin israélien. Première femme juive éthiopienne à être élue députée, Pnina Tamano-Shata, a été nommée en mai 2020, ministre de l’Immigration et de l’Intégration. Peu à peu, les Juifs du Gondar s'insèrent avec bonheur dans la société israélienne.

Il n'y aura probablement bientôt plus aucun Juif en Éthiopie.

 

Jean-Pierre Allali

(1) Voir, dans « Le Monde » daté du 18 mars 1979, mon article : « Sauvez les Falashas ! ».

 

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