Lu dans la presse
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Publié le 24 Février 2020

Europe/Antisémitisme - Nouvelles caricatures antijuives au carnaval d’Alost

Des chars utilisant des stéréotypes antisémites avaient valu aux festivités d’être rayées de la liste du Patrimoine immatériel de l’Unesco en 2019.

Publié le 24 février dans Le Monde

« Capitale de la moquerie et de la satire » : c’est ainsi que se présente la ville flamande d’Alost (Belgique), à l’occasion de son carnaval annuel. Mais, depuis deux ans, la satire multiplie les stéréotypes antisémites. En 2019 déjà, la communauté juive s’était indignée devant un char caricaturant des personnages au nez crochu, entourés de rats et juchés sur des sacs d’argent. Le scandale avait été tel que l’Unesco avait exclu le carnaval d’Alost de la liste de son Patrimoine culturel immatériel. Six ans plus tôt, en 2013, le carnaval avait mis en scène un « char de déportation » censé expulser les Belges francophones.

Cette année, le carnaval a persisté. Les marionnettes au nez crochu ont été réemployées dans un autre décor, un stand de foire, aux côtés d’autres religions. Plus loin, des carnavaliers affublés de deux papillotes tombant d’un grand chapeau de fourrure noire, de chaque côté de leur visage, et déguisés en fourmi devant un mur des Lamentations en or, a également suscité une vive controverse. Certains, y compris dans la foule, arboraient aussi fièrement un nez crochu en papier moulé. Le cortège comptait également des uniformes nazis et des costumes hassidiques. De quoi susciter une polémique encore plus violente que l’année dernière.

Les organisations représentatives de la communauté juive ont réagi avec consternation au cortège. Qu’il s’agisse du Forum des organisations juives, de la Ligue belge contre l’antisémitisme (LBCA) ou encore du Comité de coordination des organisations juives de Belgique (CCOJB), toutes affirment que l’affront est encore pire que celui de 2019. Les différentes organisations n’excluent pas de porter plainte auprès de l’UNIA (l’organisme public chargé de la lutte contre les discriminations), comme certaines l’ont fait l’année passée. A l’époque, toutefois, l’UNIA avait fini par juger que les chars problématiques ne tombaient pas sous le coup de la loi contre le racisme et la xénophobie, en raison du contexte particulier, celui du carnaval, dans lequel se déroulaient les attaques. Il avait toutefois initié un dialogue entre les parties.

Caricatures « irrespectueuses »

Pour Ludo Abicht, professeur de philosophie qui enseigne le Moyen-Orient et la culture juive à l’université d’Anvers, le jusqu’au-boutisme des habitants d’Alost était prévisible. « Les Alostois se sont sentis accusés d’être racistes et antisémites après le carnaval de 2019, alors qu’ils ne pensaient pas à mal. Je ne suis pas étonné qu’ils aient choisi de réagir », note le professeur, bon connaisseur de la ville d’Alost. Dimitri, un spectateur qui exhibe fièrement un nez crochu, renchérit : « On nous décrit comme des antisémites. Mais ce n’est pas vrai, alors on fait pire. Nous ne sommes pas racistes ou antisémites, mais nous rigolons avec tout le monde. En premier lieu, on rigole avec nous-mêmes. » Un sentiment généralement partagé par la foule, arguant qu’il faut pouvoir « rire de tout ».

Plus que tout, les Alostois n’ont pas apprécié l’attitude de l’Unesco, que certains carnavaliers ont d’ailleurs rebaptisée pour l’occasion « Unestapo ». Le bourgmestre (maire) de la ville, le nationaliste flamand Christoph D’Haese, avait pris les devants après que l’organisation onusienne avait commencé le réexamen de l’inscription du carnaval à sa liste du Patrimoine immatériel, et avait procédé lui-même à ce retrait en décembre 2019. Une décision confirmée quelques jours pour tard par l’Unesco. Et ce, alors que le président de son parti, l’Alliance néoflamande (N-VA, nationaliste), s’était distancié des caricatures de 2019 en les qualifiant d’« irrespectueuses ».

Des carnavaliers déguisés en fourmis et arborant des papillotes, le 23 février à Alost.

Des carnavaliers déguisés en fourmis et arborant des papillotes, le 23 février à Alost. JAMES ARTHUR GEKIERE / AFP

Selon Philippe Markiewicz, président du Consistoire central israélite de Belgique, l’Unesco aurait dû attendre l’édition 2020 avant d’agir, pour laisser place au dialogue. L’homme dénonce par ailleurs l’immixtion de la diplomatie israélienne qui n’a, selon lui, rien arrangé. Quelques jours avant les festivités, le ministre israélien des affaires étrangères, Israel Katz, a en effet appelé dans un Tweet la Belgique « à condamner et à interdire » le carnaval d’Alost, soulignant que « la Belgique en tant que démocratie occidentale devrait avoir honte de permettre une telle manifestation antisémite ». Un appel balayé d’un revers de la main par le bourgmestre d’Alost, qui avait refusé « toute censure ». Fidèle à ses positions, il s’était limité à appeler les carnavaliers à « ne pas rechercher spécifiquement un thème juif si cela n’est pas nécessaire ».

« Préjudice à nos valeurs »

L’affaire a provoqué de vives réactions, y compris en France, avec un Tweet cinglant de l’eurodéputé socialiste français Raphaël Glucksmann particulièrement commenté. « Les juifs sont de la vermine (…) et les nazis sont des gars sympas que les enfants applaudissent et avec qui on a bien envie de boire une bière. Bienvenue au carnaval d’Alost en 2020, en Belgique, cœur de l’UE. Dégénérés ».

Côté belge, les réactions de la classe politique, inquiète du score réalisé par l’extrême droite dans cette ville aux dernières élections fédérales, régionales et européennes (25 % en moyenne), n’ont pas non plus manqué.  « Si ces faits ne résument pas le carnaval d’Alost, ils portent toutefois préjudice à nos valeurs ainsi qu’à la réputation de notre pays », a déclaré dans un communiqué la première ministre, la libérale Sophie Wilmès, invitant la justice à se pencher sur la controverse.