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Publié le 11 Mars 2020

Culture - "Yiddish" ou l’itinéraire d’un idiome aux semelles de vent, sur grand écran

La réalisatrice Nurith Aviv interroge sept jeunes spécialistes qui disent leur passion pour la langue du judaïsme diasporique.

Publié le 11 mars dans Le Monde

Quel chemin que celui de Nurith Aviv ! Née en 1945 en Palestine mandataire dans une ville nouvelle nommée Tel-Aviv, on la retrouve en France quelques années plus tard à faire l’image chez René Allio, René Féret ou Agnès Varda. Depuis vingt ans, elle réalise pour son propre compte des documentaires d’où émerge une passion impérieuse pour les langues. Le yiddish – langue du judaïsme diasporique d’Europe orientale – est à l’honneur dans son nouveau film.

Rien d’anodin pour cette sabra (nom désignant les populations juives nées avant 1948 dans le territoire de la Palestine sous mandat britannique et leurs descendants dans la population israélienne) venue au monde dans l’Israël naissant des années 1950 où, précisément, le yiddish était en butte à une quasi-interdiction, en tant que langue vernaculaire de la faiblesse diasporique. Un « jargon » indigne d’intérêt à rebours de l’hébreu, auréolé de son prestige antique et du miracle conquérant de sa renaissance moderne. Langue hybride et coagulante – fabriquée d’hébreu, d’allemand et de slavismes au gré des pérégrinations de l’histoire juive –, le yiddish a donc longtemps été un idiome méprisé, tant de l’intérieur que de l’extérieur des communautés qui le pratiquaient.

Immense et fertile continent

Cette langue aux semelles de vent – conspuée, galvaudée, oubliée, avant que d’être quasiment liquidée par les nazis avec ses locuteurs naturels – n’en fut pas moins un immense et fertile continent. Ancrée dans le Talmud qu’elle servait à enseigner, elle fut aussi celle de l’explosion moderne, de la sortie du ghetto, des espoirs socialistes révolutionnaires, d’une culture théâtrale, littéraire et même cinématographique méconnue, et pourtant conduite au début du XXe siècle à l’unisson des avant-gardes européennes.

Nurith Aviv leur a demandé choisir, parmi la riche production poétique qu’offre le yiddish, leur pièce favorite pour en lire un extrait choisi

C’est à ce dernier aspect que s’intéresse plus particulièrement ce documentaire, par une méthode assez originale. Nurith Aviv a en effet été chercher sept jeunes spécialistes de cette langue (enseignants, chercheurs, philologues, linguistes, parfois poètes eux-mêmes…) de par le monde et leur a demandé tout à la fois de dire les raisons de cet itinéraire personnel et de choisir, parmi la riche production poétique qu’offre le yiddish, leur pièce favorite pour en lire un extrait choisi. Depuis Paris, Berlin, Vilnius ou Varsovie, leurs voix font ainsi résonner aujourd’hui des mots écrits voilà cent ans en ces mêmes lieux par de jeunes et impétueux représentants d’une culture vive bientôt frappée à mort par la tragédie de l’histoire.

Il en résulte un troublant télescopage, une déconcertante opiniâtreté. Les poètes se nomment Moyshe-Leyb Halpern, Peretz Markish, Anna Margolin, Avrom Sutzkever. Leur style, érotique ou expressionniste, lyrique ou intimiste, flambe. Leurs noms et leurs mots, énoncés dans cette langue de l’utopie syncrétique et cosmopolite, reforment pour nous le territoire englouti d’un rêve écourté, et pour cette raison même, éternellement jeune.

Documentaire français et israélien de Nurith Aviv (1 heure). nurithaviv.free.fr/Yiddish/yiddish.html et www.editionsmontparnasse.fr/p1940/Yiddish-Au-cinema-le-11-mars-DVD

 

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