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Publié le 27 Octobre 2020

Europe - Face à Erdogan, l'Europe doit soutenir Macron et montrer les dents

Défiés par le président Erdogan, les Vingt-Sept doivent montrer une unité sans faille. Il y va de leur crédibilité.

Photo : Emmanuel Macron, qui se retrouve en première ligne devant l'inquiétant dirigeant d'Ankara. Yasin AKGUL / AFP

Publié le 27 octobre 2020 dans L'Express

Il était temps ! Lundi 26 octobre, Angela Merkel a - au bout de deux jours et via son porte-parole - enfin condamné les propos "diffamatoires" de Recep Tayyip Erdogan envers Emmanuel Macron. Lors d'un discours télévisé, le président turc avait conseillé à son homologue français "d'aller se faire soigner". En cause : sa volonté de lutter contre le "séparatisme islamiste" et de "structurer l'islam".  

Voir la chancelière allemande hausser le ton contre le dirigeant turc, même du bout des lèvres, a sans doute mis un peu de baume au coeur d'Emmanuel Macron, qui se retrouve en première ligne devant l'inquiétant reis (chef) d'Ankara. Ce n'est pas la première fois que les deux hommes s'affrontent. En octobre 2019, le dirigeant français avait vertement critiqué l'intervention turque en Syrie contre les Kurdes puis, quelques mois plus tard, celle qui a eu lieu en Libye. Il avait également dénoncé les projets de forage off-shore d'Erdogan en Méditerranée orientale, au mépris du droit international. Et, plus récemment, l'envoi de mercenaires syriens dans le Caucase pour épauler les forces azerbaïdjanaises.  

Pour faire oublier ses mauvais résultats économiques, Erdogan, dont l'étoile ne cesse de pâlir en Turquie, a besoin d'un bouc émissaire. Emmanuel Macron, le seul, ou presque, à se dresser sur son chemin, est la cible idéale. Fustiger cette France laïque qui aurait un "problème avec l'islam" ? L'occasion est parfaite pour celui qui se rêve en nouveau sultan et veut s'ériger en chef du monde musulman.  

S'attaquer à Macron est d'autant plus facile qu'Erdogan sait qu'il n'aura pas de soutien unanime en Europe. Les conclusions du dernier Conseil européen, les 1er et 2 octobre, en sont la navrante illustration. Réunis à Bruxelles, les 27 chefs d'Etat et de gouvernement y ont débattu sur la Turquie durant huit heures... sans qu'émerge le moindre consensus. Pis, on a reporté au mois de décembre la décision de sanctionner - ou pas - Ankara, tout en faisant miroiter au régime de nouvelles aides financières pour gérer les camps de réfugiés. Dans les jours suivants, Erdogan a envoyé ses navires forer au large de l'île grecque de Kastellorizo, au nez et à la barbe des Grecs, ce qui donne une idée de l'estime qu'il porte aux Européens. 

L'Europe admoneste sans sanctionner

Depuis un an et demi, les conclusions des différents conclaves bruxellois sont sans appel : les provocations à répétition d'Ankara n'ont, jusqu'à présent, pas réussi à susciter de réactions de l'Union européenne, qui s'aplatit à chaque nouvelle rodomontade. L'Europe admoneste, mais refuse de puiser dans son carquois de sanctions, repoussant systématiquement au sommet suivant la mise en oeuvre des éventuelles punitions... "Elle risque de se discréditer à montrer les crocs sans jamais mordre", résume Sébastien Maillard, directeur de l'Institut Jacques-Delors. Une position qui rappelle celle, pas très glorieuse, d'un Barack Obama il y a quelques années avec, à l'égard du régime syrien, ses fameuses lignes rouges, allègrement franchies sans riposte de la Maison-Blanche. Pourquoi autant de prudence de la part de l'Europe ? A cause, une fois encore, de ses divisions.  

Face au (petit) camp des prosanctions, emmené par Emmanuel Macron, et dans lequel on trouve la Grèce, Chypre et, sans doute, l'Autriche, la majorité de nos partenaires trouillotent à l'idée de provoquer le sultan d'Ankara. A commencer par Angela Merkel, qui renoue avec sa prudence légendaire, et prônant une relation "constructive" alors même que la Turquie s'emploie chaque jour ou presque à torpiller les codes de la diplomatie. Mais la chancelière craint qu'Erdogan rouvre les vannes migratoires, provoquant un nouvel afflux de réfugiés dans l'Union. Elle n'oublie pas non plus qu'au moins 3 millions d'Allemands ont des origines turques, et elle entend ménager cette communauté. Cette circonspection s'observe également dans les pays d'Europe orientale, qui ne souhaitent pas faire imploser le pacte migratoire signé en 2016 entre Bruxelles et Ankara. 

Enfin, plusieurs de nos voisins craignent également de provoquer le pays à la tête de la deuxième armée de l'Otan, derrière les Etats-Unis. Autant de bonnes raisons pour ne rien faire, en dehors de condamner les propos de Recep Tayyip Erdogan. Ceux qui avaient cru au réveil de l'Union européenne seront déçus. Son silence assourdissant face à la Turquie n'a que trop duré. Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Çavusoglu, le dit lui-même : "L'usage continu d'un discours de sanctions n'est pas constructif [...]. L'Union européenne doit comprendre qu'elle ne peut rien obtenir de cette manière." Exact, et c'est précisément pour cette raison que, si l'Europe veut se faire entendre, elle doit passer des mots aux actes. 

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