Lu dans la presse
|
Publié le 29 Avril 2019

Europe/Extrême droite - Vox : l’extrême droite espagnole fait son entrée au parlement

Avec 10 % des voix et 24 élus lors des législatives de dimanche, ce parti fondé en 2013 va siéger au congrès des députés, une première depuis la mort de Franco.

Publié le 28 avril dans Le Nouvel Obs

Et voilà, c’est au tour de l’Espagne. Un parti d’extrême droite entre au Parlement espagnol à l’issue des élections législatives du dimanche 28 avril, marquées par une importante participation (près de 76 %). Dans la soirée, des centaines de sympathisants de Vox ont célébré une « révolution des gens normaux », malgré un résultat qu’ils jugent décevant, avec 10 % des voix et 24 élus sur 350.

Sur la place Margaret Thatcher dans le centre de Madrid, des « Viva España » ont fusé à l’annonce de l’entrée au Congrès des députés de ce parti fondé en 2013.

C’est une première depuis la mort du dictateur Francisco Franco en 1975. Comment ça, l’Espagne n’était donc pas immunisée ?, se demande-t-on. On avait eu la même réaction au moment de l’entrée au parlement allemand du parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) en 2017.L’Allemagne n’était donc pas devenue à jamais imperméable aux fachos ?

Contre la « petite droite lâche »

En réalité, l’extrême droite espagnole n’a jamais cessé d’exister. Mais elle avait été absorbée par le Parti populaire (PP), tout comme les partisans de la ligne dure avaient été maintenus dans le giron de la CDU et surtout de la CSU en Allemagne. La nouveauté, c’est donc que l’extrême droite espagnole a décidé de faire désormais bande à part. Ses électeurs comme ses cadres sont des déçus du parti conservateur, jugé trop mou sur toute une panoplie de sujets, cette « petite droite lâche », comme le président de Vox, Santiago Abascal, surnomme le Parti populaire dont il est lui-même issu. Voilà pour la première particularité de cette extrême droite espagnole qui semblait surgie de nulle part.

Mais d’où vient sa soudaine popularité ? Faut-il y voir comme en Allemagne une réaction aux arrivées de migrants qui ont désormais fait de l’Espagne leur premier pays d’entrée en Europe depuis que l’Italie de Matteo Salvini a fermé ses portes ? Entre le 1er janvier et le 14 avril, 7 588 migrants sont entrés en Espagne selon Madrid, soit 41 % de plus qu’en 2018.

Antimigrants, certes, mais aussi anti-islamistes, anti-avortement, antimariage homo, antiféministes, anticosmopolites, bref, xénophobe, ultraconservateur et nationaliste, Vox ressemble sur de nombreux aspects à ses homologues européens d’extrême droite. Mais il a une spécificité propre au contexte espagnol : il est avant tout antiséparatiste.

Porté par la crise catalane

Vox doit sa forte progression à la crise catalane. Nostalgique de la conception franquiste de l’Espagne une et indivisible, l’« España Una, Grande, y Libre », il prône une recentralisation totale du pays, et donc la fin de l’autonomie des régions espagnoles, qui sont « le cancer du pays », dit Santiago Abascal, et l’interdiction des partis indépendantistes catalans, basques, et autres, « qui veulent casser ce que nous avons de plus précieux : la patrie ». Il entend ainsi en finir avec le modèle qui a fait le succès de la transition démocratique espagnole, un système territorial fortement décentralisé qui a instauré dix-sept gouvernements et Parlements régionaux bénéficiant de degrés plus ou moins avancés d’autonomie.

Alors, depuis la tentative ratée de sécession menée en Catalogne en octobre 2017, il se sent pousser des ailes. Il est porté par la colère et l’incompréhension du reste de l’Espagne face à la fièvre indépendantiste qui a gagné une partie des Catalans. Avec la crise catalane, Vox est passé de 3 000 à 18 000 membres, note Astrid Barrio, professeure de sciences politiques à l’Université de Valence. Il en compterait aujourd’hui 40 000.

C’est d’ailleurs Vox qui représente « l’accusation populaire » au procès pour rébellion qui se tient à Madrid contre plusieurs leaders du séparatisme catalan, accusés d’avoir organisé le référendum d’autodétermination du 1eroctobre 2017. Le parti d’extrême droite est en effet à l’origine des premières plaintes contre ces derniers. Ce qui lui a offert une tribune politique de choix à l’approche des élections.

Pas de cordon sanitaire

Son anti-catalanisme est l’une des clés d’un succès déjà enregistré en décembre 2018 lors des élections régionales en Andalousie. Vox avait recueilli 11 % des voix, devenant le premier parti d’extrême droite à entrer dans un parlement régional espagnol depuis la mort de Franco. Le Parti populaire et Ciudadanos (centriste) ont alors fait alliance avec lui pour faire basculer à droite cette région, la plus peuplée d’Espagne, tenue par la gauche. Car ce qui rassemble ces trois partis, c’est justement la question catalane : tous partagent fondamentalement une ligne intransigeante vis-à-vis des séparatistes. Pas de cordon sanitaire autour de Vox, donc.

Cette fois, lors des législatives de dimanche, les conservateurs du Parti populaire (PP) ont perdu la moitié de leurs sièges, et retombent à 66 députés, contre 137 en 2016. Les libéraux de Ciudadanos ont réussi une belle percée, passant de 32 à 57 députés.

Même en s’alliant à Vox, le PP et Ciudadanos ne pourront donc pas rééditer au niveau national le succès de décembre en Andalousie. Mais, au-delà, c’est toute l’extrême-droite européenne qui va se réjouir du résultat de Vox. Les autres partis se moquent bien des spécificités locales et du sort des Catalans, mais ils voient là de nouveaux alliés potentiels pour peser dans le prochain parlement européen. Car Vox est crédité de 10 % des voix aux élections européennes de la fin du mois de mai.