Lu dans la presse
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Publié le 15 Janvier 2021

France - 2020, l’année où les footballeurs se sont élevés contre racisme

Le 8 décembre 2020, les joueurs du PSG et d’Istanbul Basaksehir ont quitté collectivement le Parc des Princes pour dénoncer une expression jugée raciste du quatrième arbitre roumain à l’encontre de l’entraîneur camerounais de l’équipe turque.

Publié le 14 janvier dans Le Monde

« Say no to racism ». Jusque-là, le slogan s’affichait en lettres capitales sur les bords des pelouses, et dans des spots télévisés : « Dites non au racisme ». Mais dans les stades de foot, longtemps, la formule est restée lettre morte. En décidant collectivement de quitter la pelouse, mardi 8 décembre 2020, après que le quatrième arbitre roumain, Sebastian Coletscu, eut désigné l’entraîneur adjoint camerounais d’Istanbul Basaksehir, Pierre Achille Webo, par le mot « negru » (noir, en roumain), les joueurs du Paris-Saint-Germain et de l’équipe turque en Ligue des champions, ont choisi de prendre la formule au pied de la lettre.

« Je me suis vraiment senti protégé », a salué fin décembre Pierre Achille Webo, revenant pour France 24 sur cet événement et saluant « la solidarité » des deux équipes. Une situation inédite à ce niveau de la compétition, qui a forcé la main à l’Union des associations européennes de football (UEFA), obligeant l’instance du football européen à reporter la rencontre au lendemain. En temps normal, seul l’arbitre et le délégué du match ont le pouvoir d’interrompre une rencontre.


Si les injures racistes dans le monde du football sont un phénomène d’ampleur – 54 % des fans de football ont été témoins d’injures racistes en regardant un match professionnel, selon une enquête de l’association antiraciste Kick It Out en 2018 auprès de 27 000 supporteurs –, les réactions officielles ont tardé à en prendre la mesure.


Le silence du huis clos du Parc des Princes

« Il faut que je fasse quelque chose, il faut que je marque pour les faire vraiment ch… », s’est dit l’actuel attaquant du Paris-Saint-Germain, Moise Kean, victime de cris de singes lors d’une rencontre opposant, en 2019, sa Juventus Turin à Cagliari. Se taire et attendre que la tempête passe, en y puisant un supplément d’âme pour jouer, a longtemps été le seul schéma présenté aux joueurs noirs insultés sur le terrain.

En 2006, le « No mas ! » (« Plus jamais ») lancé par la star camerounaise, Samuel Eto’o après des insultes racistes à son encontre n’a pas été suivi d’effets : le buteur du Barça avait été convaincu de rester sur la pelouse par son entraîneur. Désormais, les sportifs revendiquent leur droit à la parole, et « ne s’excusent pas de leur identité », observait Piara Powar, directeur de l’ONG Football Against Racism in Europe (FARE), en 2019.

Si le président de l’UEFA, Aleksander Ceferin, a rappelé quelques jours avant Noël dans un documentaire « l’importance que les joueurs prennent la parole, car ce sont eux qui souffrent des discriminations », le football peine à évoluer.

Le 18 décembre 2020, la Fédération anglaise a annoncé qu’elle ne prendrait « aucune mesure disciplinaire » à l’encontre de Millwall et Colchester United, deux clubs de deuxième division dont des supporteurs – de retour au stade au début du mois – avaient hué les joueurs mettant genou à terre avant la rencontre. Un geste importé des Etats-Unis, popularisé par l’ancien quarterback Colin Kaepernick, dans le sillage du mouvement Black Lives Matter.

« La discrimination, le racisme, c’est le plus gros problème dans le football d’aujourd’hui. Nous devons y mettre un terme ! », a insisté le champion du monde français, Paul Pogba, fin décembre 2020. A l’image de Kylian Mbappé ou d’Antoine Griezmann, le milieu de terrain de Manchester United a été sensibilisé par le mode d’action des sportifs américains pour s’en prendre au problème systémique qu’est le racisme dans le sport.

A l’image du reste de la société – le sport n’est qu’un microcosme, où enjeux et oppositions restent les mêmes qu’en dehors –, l’intolérance au racisme s’est davantage développée l’année passée sur les terrains. En quittant la pelouse le 8 décembre 2020, les équipes du PSG et de Basaksehir ont manifesté le sentiment de désillusions des joueurs quant à la façon dont leurs instances gèrent la question du racisme.

« Ça a toujours été comme ça, personne ne dit trop rien, on laisse passer, et la vie continue jusqu’au cas suivant », a déploré Pierre Webo. Et de réclamer « des décisions fortes » de la part des instances, FIFA et UEFA en tête, sous peine de voir d’autres rencontres interrompues par leurs acteurs, lassés de voir les autorités du football ne pas prendre de décisions radicales. « Si tu ne fais rien à ce sujet, je pense que tu participes du problème », a résumé le défenseur anglais d’Aston Villa, Tyrone Mings, victime d’injures racistes lors d’une rencontre internationale en Bulgarie en 2019.

Au terme d’une année frappée par une crise sanitaire sans précédent, les joueurs de football ont porté un tacle au racisme. Reste à savoir si les années à venir verront les autorités sportives transformer cet essai.

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