Lu dans la presse
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Publié le 22 Septembre 2020

L'article de presse que vous avez le plus lu cette semaine

L'attentat de l'Hyper Cacher va être examiné par la cour d'assises spéciale de Paris. L'occasion de se demander pourquoi malgré les vagues d'émotion sincères qui suivent les crimes antisémites, ces derniers "n'impriment pas" dans la société.

Cet article avait été publié dans le newsletter du 22 septembre 2020. Il est l'article de presse que vous avez le plus lu cette semaine. 

Procès - Anne Rosencher : Un antisémitisme Hyper Caché

Publié le 21 septembre dans L'Express

Au début du mois de septembre 2017, avant que ne s'ouvre le procès dit Merah - qui allait juger les complices présumés du terroriste Mohammed Merah -, trois familles de victimes avaient déposé une demande d'enregistrement des audiences "pour l'Histoire", comme le permet une loi de 1985. La cour d'appel de Paris avait rejeté la requête, estimant que, "au-delà du caractère atroce ou du retentissement de l'affaire", l'intérêt historique était "faible". 

"Faible". Rappelons que le 19 mars 2012, après avoir abattu quelques jours plus tôt trois miliaires à Toulouse et à Montauban, un jeune Français, un terroriste islamiste, a garé son scooter T-Max devant une école juive de la Ville rose, où il a tiré sur un homme et ses deux petits garçons. Puis, il a attrapé par les cheveux une petite fille blonde de 8 ans fuyant le fusil pour la tuer à bout portant. En France, en 2012. Au nom d'une idéologie raciste. Sept morts, dont trois enfants parce que juifs. Mais cela avait un intérêt historique "faible" aux yeux de la justice. 

Ne chargeons pas trop l'institution : elle semble, sur la question, assez représentative de l'humeur générale. Car, au-delà des vagues d'émotion réelles suscitées dans le chaud de l'actualité, voilà quelques années que les crimes antisémites semblent ne pas "imprimer", selon l'expression d'un otage de l'Hyper Cacher (1). Tout le monde se souvient, bien sûr, de la mobilisation après "Carpentras" - 200 000 personnes dans la rue, le président Mitterrand dans le cortège... Il ne s'agissait alors "que" de tombes profanées, mais l'antisémitisme était encore le monopole de l'extrême droite, et il fallait montrer, quelques décennies après Vichy et les déportations, que "la bête immonde" ne repasserait pas par là. 

Et puis... rien. Ou pas grand-chose. Pour Ilan Halimi (torturé et exécuté par le gang de Youssouf Fofana en 2006), pour Sarah Halimi (tabassée et tuée par Kobili Traoré en 2017), pour Mireille Knoll (tuée par Yacine Mihoub et Alex Carrimbacus en 2018)... Parfois, le chagrin fut grand, et la fraternité sincère, mais c'est comme si nous ne parvenions pas collectivement à relier les points, pour voir l'évidence d'un mal qui progresse et qui devrait tous nous affoler. Une fois, un Premier ministre s'est rendu dans une manifestation contre l'antisémitisme. Il s'agissait d'Edouard Philippe, en février 2019. C'était en réaction... aux gilets jaunes, après que des graffitis antisémites avaient été trouvés en marge de cortèges et que l'intellectuel Alain Finkielkraut avait été violemment insulté dans la rue. S'il demeure, en France, des poches d'antisémitisme culturel virulent qu'il convient de dénoncer sans jamais les minorer, le problème de la sécurité des juifs, aujourd'hui, se pose de façon urgente dans certains quartiers de nos villes, où une minorité islamiste intolérante fait régner sa loi. 

La bêtise et la violence de l'essentialisation

Mais il y a quelque chose comme une gêne quand on évoque la montée de l'antisémitisme au cours des dernières décennies. Certains politiques expliquent en "off" que c'est là une question "délicate", qu'il s'agit de ne pas "monter des communautés les unes contre les autres". Amalgame, mode d'emploi : les Français musulmans apprécieront d'être ainsi toujours renvoyés aux islamistes... D'autres arguent que, malgré le caractère atroce de ces agressions et de ces meurtres, globalement, les juifs sont aujourd'hui, en Occident, dans le camp privilégié des "dominants"... Se rendent-ils seulement compte de la bêtise et de la violence de leur essentialisation ? Pauvres juifs des cités, si loin du pouvoir, et si près des islamistes ! "La France n'est pas antisémite, a récemment rappelé avec force Elisabeth Badinter dans un entretien à L'Express. Mais tout se passe aujourd'hui comme si l'antisémitisme était devenu le problème des seuls juifs." 

Mais venons-en à l'attentat de l'Hyper Cacher, qui fera l'objet des audiences de cette semaine aux assises de Paris. En arrivant dans la supérette de la porte de Vincennes, le 9 janvier 2015, le terroriste Amedy Coulibaly dit les choses clairement : "Vous avez pas compris, hein ? Vous êtes de quelle origine ?" l'entend-on lancer à la cantonade sur l'enregistrement de sa caméra GoPro. Un otage lui répondit : "Juif." "Eh ben voilà, vous savez pourquoi je suis là alors ! Allahou akbar !" Quatre heures et quatre morts plus tard, il tombait sous les balles du Raid et de la BRI. 

Question : les audiences qui se tiendront cette semaine auraient-elles été filmées si elles n'avaient pas été comprises dans le "package" du procès de l'attentat à Charlie Hebdo ? Rien n'est moins sûr. Et les premiers à le déplorer sont les membres du journal eux-mêmes, qui ont consacré un formidable dessin à ce "deux poids, deux mesures" dans leur numéro sur l'ouverture du procès. Alors, va pour le lot de consolation ! Les Français juifs devront se contenter de cet archivage de "contrebande". Pour l'Histoire. Y sera gravé que dans la France du début du millénaire des juifs se faisaient tuer parce qu'ils étaient juifs. Et que, contrairement à ce que prétendent en boucle les "antisionistes" de salon, ils étaient bien seuls, parfois, pour le signaler. 

 

(1) Lire le dossier de couverture que La Croix l'Hebdo a consacré à l'Hyper Cacher dans son exemplaire du 4 septembre 2020.  

(2) L'Express du 27 septembre 2017. 

 

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