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Publié le 4 Septembre 2020

France - Au Panthéon, Emmanuel Macron précise sa vision de la République

Le chef de l’Etat a prononcé vendredi un discours à l’occasion des 150 ans de la proclamation de la République. Une façon de préciser sa pensée et de s’exprimer sur la sécurité, l’identité et le « séparatisme ».

Publié le 4 septembre dans Le Monde

Emmanuel Macron devait apporter, vendredi 4 septembre, une nouvelle touche à son tableau impressionniste. Celui d’un chef de l’Etat sans histoire politique qui esquisse depuis trois ans sa vision de la République, de la citoyenneté, de la laïcité, reprenant son travail par endroits, laissant des blancs à d’autres, quand certains (rares) pans de la fresque apparaissent, eux, figés pour de bon.

Vendredi, le locataire de l’Elysée était donc présent au Panthéon pour un discours célébrant les 150 ans de la proclamation de la République, le 4 septembre 1870, par Léon Gambetta. Un événement destiné à valoriser, selon son entourage, des « figures emblématiques et exemplaires de l’histoire de la République », telles que Marie CurieJoséphine Baker, Félix Eboué ou Gisèle Halimi, à l’occasion d’une cérémonie de naturalisation de cinq personnes, avec lesquelles le chef de l’Etat veut partager « ce que ça signifie d’être citoyen français en République ».

L’occasion pour Emmanuel Macron de s’exprimer sur la République sociale, la sécurité, le séparatisme, et de donner un nouveau coup de pinceau à la construction de son identité politique. « Macron, c’est un produit qui n’est pas terminé, résume un de ses ministres. Il n’a que 42 ans, dans un pays tourneboulé par des crises multiples. »

Positions « assez ouvertes sur le multiculturalisme »

Lors de l’élection présidentielle de 2017, l’ancien ministre de l’économie de François Hollande vantait, au cours d’une campagne se voulant positive, la capacité émancipatrice de la République. La promesse de lutter contre « l’assignation à résidence », plutôt que les harangues autoritaires. « Emmanuel Macron aborde plus la question de la République par le biais des aspirations de la société que celui des “valeurs”, résume son ancienne plume et conseiller Sylvain Fort. Il veut faire en sorte que la promesse républicaine, qui est la possibilité pour chacun de tenir sa place dans la société, soit accomplie, plutôt que d’être dans l’incantation d’un certain nombre de valeurs. » Contrairement à certains au sein du Parti socialiste, donc, Manuel Valls en tête, son rival durant la fin du dernier quinquennat, qui avait fait de la lutte contre l’islamisme et pour une laïcité stricte un de ses marqueurs.

Durant un meeting à Marseille, le 1er avril 2017, à trois semaines du premier tour, Emmanuel Macron saluait « les Arméniens, les Comoriens, les Italiens, les Algériens, les Marocains, les Tunisiens, les Maliens » présents dans la salle ce soir-là, se plaçant en cela dans les pas de François Hollande, qui avait eu recours au même procédé dans la cité phocéenne lors de sa propre campagne, cinq ans plus tôt. En octobre 2016, dans Challenges, M. Macron défendait l’idée que « si le communautarisme, notamment religieux, a prospéré, c’est bien sur les ruines de nos politiques économiques et sociales » plus que sur un ferment idéologique.

« Emmanuel Macron était sur des positions de centre gauche assez ouvertes sur le multiculturalisme, avec une reconnaissance de la diversité française, note Vincent Martigny, professeur de sciences politiques à l’université de Nice et à l’Ecole polytechnique. Il ne ferait plus ce genre de discours aujourd’hui, car son électorat s’est déporté vers la droite. » « Quand on défend la “France unie” [slogan utilisé ces derniers mois par Emmanuel Macron], on ne distingue pas les citoyens à raison de leurs opinions, de leur culture, de leur sexe ou de leur genre », convient-on à l’Elysée.

Thématique sécuritaire

La stratégie macronienne consistant à étouffer la droite sur le terrain économique s’est peu à peu déportée sur celui des « valeurs », afin de consolider cette base électorale. Hier rétif à aborder les débats sur l’identité, qu’il estimait piégés par la droite et l’extrême droite, le chef de l’Etat s’est aventuré, un jour d’avril 2019, à aborder « l’art d’être français » ; en octobre de la même année, il pointait dans les colonnes de l’hebdomadaire ultradroitier Valeurs actuelles ces personnes « qui sont en sécession de la République, qui se moquent de la religion mais l’utilisent pour provoquer la République ».

Depuis un an, il enfourche la thématique sécuritaire, de la lutte contre l’immigration, et considère aujourd’hui qu’il faut embrasser d’un bloc la République, l’histoire de France et sa culture. « Nous avions le sentiment, en 2017, que la société française était malheureuse en raison des problématiques d’accès au travail, par exemple, ou au soin. Est-ce que c’est cette France-là qui s’est le plus exprimée depuis 2017 ? Ce n’est pas sûr, décrypte Sylvain Fort. Est-ce que ce n’est pas une France anxieuse de l’insécurité, de son identité ? L’approche originelle de l’émancipation s’est diluée dans des problématiques plus classiques d’angoisses collectives. »

Cette dimension identitaire du discours macronien affleurait déjà en 2017 à travers la question du roman national. « Dans le roman national, il y a des grands repères qui aident à construire notre appartenance à la nation, qui sont le rapport à notre histoire et à ses grandes figures que sont les Clovis, les Jeanne d’Arc, etc. », expliquait M. Macron dans un entretien à France Culture, en mars 2017. L’ancien banquier n’avait d’ailleurs pas hésité à l’époque à utiliser la figure de la Pucelle d’Orléans, pour marquer sa volonté de casser les frontières idéologiques et culturelles de la gauche, ancrées dans la Révolution française. « L’histoire de la République commence avant [la bataille de] Valmy », en 1792, estimait alors M. Macron, qui avait déjà tenu à marquer sa différence en visitant le parc du Puy du Fou aux côtés de Philippe de Villiers en août 2016. Dans son esprit, l’école républicaine et ses « hussards noirs » ont pour mission d’ancrer ce récit, autant que de contribuer à l’égalité des chances de chacun.

Défense d’une laïcité stricte

Sur la laïcité, enfin, l’homme a d’abord revendiqué une « conception libérale » de ce principe ancré dans la République française. Avant d’être élu, Emmanuel Macron critiquait le « laïcisme », « une conception étriquée et dévoyée de la laïcité » qui dénote, selon lui, « à la fois une insécurité culturelle profonde et une incompréhension historique de la France ». Une fois installé à l’Elysée, il a poursuivi dans ce sens en déplorant devant les représentants du culte, fin 2017, une « radicalisation de la laïcité » et en leur assurant qu’à ses yeux, « c’est bien la République qui est laïque, et non la société ».

L’agnostique Macron est en effet convaincu de l’importance de la foi et du rôle des religions. « Pour des raisons à la fois biographiques, personnelles et intellectuelles, je me fais une plus haute idée des catholiques (…). Je suis convaincu que la sève catholique doit contribuer encore et toujours à faire vivre notre nation », déclarait-il par exemple lors de son discours prononcé au collège des Bernardins, à Paris, en avril 2018. Mais les pressions d’une partie de son camp – en premier lieu de son ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, attaché à la défense d’une laïcité stricte, en particulier face à la radicalisation islamiste – tendent à brouiller cette image de libéralité. M. Macron s’est d’ailleurs converti à l’idée de lutter contre le « séparatisme » à travers un projet de loi devant être présenté à l’automne.

Reste, pour finir, à comprendre l’opportunité de ce discours du 4 septembre. « Parler de la République, en France, c’est une formule convenable pour parler d’identité politique, ce ne sont pas des discours neutres. C’est préparer la présidentielle », estime Vincent Martigny. « Tous les acteurs politiques invoquent plus ou moins la République depuis les années 1980, abonde Chloé Gaboriaux, maîtresse de conférences à Sciences Po Lyon et directrice de la revue Mots. Les langages du politique. Le gros problème, c’est qu’on sait très peu de choses sur cette République, sa définition, car chaque intervenant y met ses propres valeurs. » « Chez Emmanuel Macron, il y a une grande plasticité du rapport à la République, des inconnues et des hésitations, relève l’historien Jean Garrigues. Les pères fondateurs de la IIIe République avaient la capacité de rassembler dans un idéal collectif car ils avaient pour répulsif le modèle d’Ancien Régime, monarchiste, autoritaire et clérical. La société n’est plus du tout la même aujourd’hui, les questions sont beaucoup plus complexes. » Rendant le tableau bien plus indéchiffrable.