Lu dans la presse
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Publié le 3 Juillet 2020

France - Avant "De Gaulle", on n'avait (presque) jamais vu de Gaulle au cinéma

Lambert Wilson, qui incarne de Gaulle, et le réalisateur du film Gabriel Le Bomin reviennent sur l'absence de ce personnage historique au cinéma.

Publié le 18 juin dans le Huffington Post

“De Gaulle structure l’imaginaire politique et historique français, mais il n’alimente absolument pas l’espace fictionnel”. Le cinéaste Gabriel Le Bomin fait voler en éclat ce paradoxe avec son film “De Gaulle”, qui ressort au cinéma ce lundi 22 juin. Il y narre les quelques semaines qui précèdent l’appel du 18 juin 1940 avec Lambert Wilson en Charles de Gaulle et Isabelle Carré dans le rôle d’Yvonne.

D’abord sorti le 4 mars, “De Gaulle” n’aura pu être projeté que pendant une dizaine de jours avant que les mesures gouvernementales de confinement n’actent, entre autres, la fermeture des cinémas. Dès ce lundi 22 juin, jour de réouverture des salles, “De Gaulle” comme “La Bonne Épouse” ou “Une sirène à Paris” font donc partie des premiers films à retrouver des séances. Et il faut dire que pour ce biopic, cette nouvelle sortie coïncide avec un heureux hasard de calendrier: l’anniversaire des 80 ans de l’appel du général.

Ce jeudi 18 juin, le président de la République se rend en effet à Londres pour marquer cet anniversaire, après une traditionnelle cérémonie au mémorial du Mont-Valérien. Et si celui qui est “le président de la Ve République préféré des Français” est souvent paraphrasé par le monde politique, il est plutôt inédit de le voir incarné au cinéma.

50 ans après la mort du général, rares sont les réalisateurs à s’être emparés de ce personnage politique français. Outre une poignée de téléfilms et de séries documentaires (avec parfois un brin de fiction) sur France Télévision ou Canal+, Charles de Gaulle est quasi absent du grand écran – sauf peut-être lorsqu’on le voit, de dos, dans “L’Armée des ombres” de Jean-Pierre Melville en 1969...

De Gaulle, “une statue”

“De Gaulle structure l’imaginaire politique et historique français, mais n’alimente absolument pas l’espace fictionnel. Les gens le regardent comme une statue et on s’attaque difficilement à une statue”, explique le réalisateur Gabriel Le Bomin au HuffPost. Un avis partagé par le journaliste et historien politique Eric Roussel qui avançait au Point: “Il a une dimension légendaire, sacrée, une singularité qui le rend plus difficile à représenter en fiction.” Figure de la France, Charles de Gaulle a pour beaucoup davantage sa place dans les livres d’histoire et les documentaires qu’au cinéma.

Mais les freins ne s’arrêtent pas là. La raison économique semble aussi entrer en jeu. “Les investisseurs et les producteurs redoutent souvent le film épique, historique et en costume. C’est compliqué et ça coûte cher”, estime Gabriel Le Bomin. Avant lui, Jean-Pierre Guérin, producteur du téléfilm “Le Grand Charles” avec Bernard Farcy diffusé sur France 2 en 2006, évoquait déjà le même argument: “Un film sur la vie entière du général de Gaulle, c’est impossible, trop cher. Il faudrait se concentrer sur un angle précis, mais, même là, ce serait une fresque à plus de 10 millions d’euros.”

Pour “De Gaulle”, le cinéaste habitué des films en période de guerre a justement choisi de “circonscrire son récit sur les quatre ou cinq semaines et non sur une vie. Ce n’est donc pas vraiment un biopic.” Il ajoute: “On l’a regardé comme un homme, d’un point de vue sensible et non hagiographique.” Son long-métrage s’intéresse en effet à toute l’humanité du général de Gaulle, militaire alors inconnu des Français, à contre-courant du pouvoir en place au printemps 1940, qui se met seul en tête de mener une résistance depuis Londres alors même que sa famille risque sa vie pour fuir les Allemands.

Restait enfin à trouver qui oserait incarner le grand de Gaulle. “Si Lambert Wilson ne disait pas oui, le film n’existait pas. Notre projet artistique devait rencontrer l’envie, la voix et le corps d’un acteur pour exister”, raconte Gabriel Le Bomin. Le comédien de 61 ans avait d’ailleurs déjà été approché pour incarner le général par le passé, “mais j’évitais la question, c’était intimidant et surtout le personnage vieillissant me paraissait impossible à incarner”, confie-t-il au HuffPost. “Si on m’avait proposé un film sur toute la vie du général, ça aurait été terrifiant.”

“Dans les plis de l’Histoire”

Mais celui qui a déjà incarné le commandant Cousteau ou l’Abbé Pierre a justement été séduit par le portrait désacralisé de De Gaulle proposé par le scénario de Gabriel Le Bomin et Valérie Ranson-Enguiale. “Le de Gaulle qu’ils racontent n’est pas un monument. C’est un homme au moment où il naît aux yeux du monde. Alors on a moins de poids sur les épaules”, explique Lambert Wilson. D’ailleurs s’il a évidemment fallu transformer le comédien en De Gaulle au prix de longues heures de maquillage – de profil, la ressemblance est particulièrement troublante –, le réalisateur ne voulait là encore pas “le statufier ni être au musée Grévin.”

À part quelques photographies et des écrits, on ne sait pas grand-chose de Charles et Yvonne de Gaulle du début de l’année 1940. Et c’est justement sur ça qu’ont joué les scénaristes. “On a niché notre fiction dans les plis de l’Histoire, dans ces espaces fictionnels”, décrit Gabriel Le Bomin. Pour imaginer toute l’intimité de la relation qui unissait le couple, il s’est inspiré principalement des mémoires du général, mais aussi des lettres que s’écrivaient les époux ou encore des récits de Philippe de Gaulle qui témoignent de cette “connivence intellectuelle et de l’amour” qu’ils avaient. À partir de là, “on a pris un chemin étroit d’imagination”.

“Mais il y a peu de choses dans le travail des historiens français”, concède le cinéaste. “Ils n’ont pas cette culture anglo-saxonne de raconter l’histoire non pas par les faits, mais par un mélange d’intimité, de biais psychologiques, etc.”, rappelant au passage qu’on ne compte plus les biopics sur Churchill ou les présidents américains.

“Comment Charles de Gaulle embrassait-il Yvonne au moment de lui dire au revoir? Quel était leur langage corporel? On avait dans ces scènes-là l’espace d’une liberté dangereuse avec Isabelle Carré”, se souvient Lambert Wilson. “C’était un terrain de création pur, excitant et dangereux. C’était peut-être la partie la plus impressionnante à incarner, car la plus lourde de conséquences: on a des comptes à rendre à la famille quand même, sans même parler des Français.”

“Tout ce que j’ai vu de l’intimité de mes grands-parents, c’est tout à fait juste et possible” aurait glissé Anne de Laroullière, petite-fille de Charles et Yvonne de Gaulle au réalisateur à l’issue d’une projection. Reste à voir si les spectateurs aussi sont prêts à entrer dans l’intimité du plus emblématique des présidents de la Ve République.

Découvrez ci-dessous la bande-annonce de “De Gaulle”: