Lu dans la presse
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Publié le 18 Janvier 2021

France - Coup de théâtre à la Comédie italienne : Dieudonné, candidat à la reprise de cette salle historique

Le théâtre baroque accumule depuis des années les difficultés financières. Au point où son directeur, Attilio Maggiulli, qui dit s'être fait «envoyer sur les roses» par le ministère de la Culture et le Conseil régional, pourrait se résigner à céder le bail pour sauver les locaux.

Publié le 16 janvier dans Le Figaro

Ce n'est hélas pas une farce. On croyait la Comédie italienne de la rue de la Gaîté sortie d'affaire depuis la vente, en juillet dernier, du mouchoir de Marilyn Monroe : il apparaît cependant que les 300.000 euros rapportés par cette relique pop n’ont manifestement pas suffi à tirer d'affaire le petit théâtre. Le second confinement est passé par là. Un nouveau coup de massue. C'est désormais l'ensemble de cette petite institution du quartier de Montparnasse qui risque de sombrer.

«Cette somme aura juste servi à lever l'hypothèque qui pesait sur notre théâtre. Le deuxième confinement nous aura été fatal», a confié l'énergique metteur en scène et directeur de la Comédie italienne, Attilio Maggiulli, dans un article paru vendredi sur le site du Point . «Nous avons un trou dans la caisse de près de 40.000 euros. La salle de 100 places est à nous. Mais le local attenant qui tient lieu de hall d'accueil est loué autour de 7.000 euros par trimestre à une société immobilière. Or, nous ne parvenons plus à joindre les deux bouts».

Une situation d'impuissance que l'homme de théâtre nous a confirmée ce samedi matin : «Nous avons contacté le ministère de la Culture, qui nous a envoyés sur les roses, et le Conseil régional.... On nous a méprisés.»

Le théâtre face au mur

Sur la corde raide depuis plusieurs années déjà, la cassette du théâtre a sombré dans le rouge avec la pandémie. Rouverte en septembre - avec une jauge de 50% - la salle déjà exsangue a été définitivement prise à la gorge avec le confinement de cet automne ; d'autant plus qu'aux difficultés financières sont venues se rajouter des infiltrations d'eau et diverses autres préoccupations liées à l'entretien des locaux. Autant d'épines dans le pied de la Comédie italienne auxquelles il convient de rajouter le désintérêt répété de l'État et des collectivités envers le petit théâtre de la rue de la Gaîté.

«Nous voulons continuer à travailler, mais nous avons devant nous une sorte de mur, que ce soit la mairie de Paris ou le ministère de la Culture», raconte Attilio Maggiulli. «On nous a dit : mais vous ne créez jamais d'événements, vous êtes un théâtre passéiste, vous êtes ringards, qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse de vous ?», ajoute-t-il. Une manière de faire qu'il ne comprend pas : «Pour nous, ça a été quelque chose de catastrophique de nous sentir humiliés après 47 ans d'existence.»

« On nous a dit : mais vous ne créez jamais d'événements, vous êtes un théâtre passéiste, vous êtes ringards, qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse de vous ? » Attilio Maggiulli, metteur en scène, fondateur et directeur de la Comédie italienne.

Un affront pour celui qui dirige depuis 1974, avec Hélène Lestrade, un des derniers théâtres au monde à perpétuer le jeu masqué de la commedia dell'arte sous ses différentes formes historiques. Installé en 1980 à son adresse actuelle, dans un ancien centre de dégrisement de la Police mentionné par Francis Carco dans L'Homme de minuit et qui aurait - selon la légende - vu passer Picasso et Modigliani, son théâtre baroque se trouve donc plus que jamais au bord du gouffre.

Désarmé, Attilio Maggiulli s'est résigné il y a deux ans déjà à mettre en vente le bail de la Comédie. Peu avant sa mort, Jean-Pierre Mocky avait été un des premiers à caresser l'idée de s'installer rue de la Gaîté. «Il voulait prendre le théâtre pour y faire son cinéma», se souvient le metteur en scène. Le coût de rachat du bâtiment, estimé à 2 millions d'euros par un expert, ayant refroidi ceux qui étaient les plus sincèrement épris du théâtre, ils ne rôdent plus autour de lui que des «prédateurs» et des «vautours» comme les nomme Maggiulli.

Au nombre des intéressés, le groupe de clubbing Paris Society (anciennement Noctis) ou encore Éric Lenoir, le directeur général de la société de mobilier urbain Seri, devenu l'an passé directeur de publication des Cahiers du cinéma. Hors de question, cependant, de voir la Comédie se rajouter à un tableau de chasse financier. «On sait très bien qu'une fois qu'ils rachètent tout, trois mois après ils nous virent, ils nous mettent en position de partir comme ils ont fait avec Les Cahiers du cinéma», soupire l'homme de théâtre. D'autres personnalités, comme l'acteur et producteur de films pornographiques Rocco Siffredi ou le pasteur forain Chriss Campion ont aussi exprimé leur intérêt pour s'installer sur place. Des négociations inabouties.

Le théâtre à la façade baroque toute en bleu pastel pourrait cependant accueillir un mécène autrement plus sulfureux qu'une star du porno ou un héritier évangélique : Dieudonné en personne.

Pacte faustien

Depuis son expulsion du théâtre de La Main d'Or en 2017, l'humoriste et polémiste controversé recherche toujours une nouvelle salle où se produire. C'est par l'intermédiaire de sa société Les Productions de la Plume, que Dieudonné a proposé à Attilio Maggiulli de louer la salle de la Comédie italienne pour 86 400 euros par an. Une offre sérieuse qui, faute de mieux, fait petit à petit son chemin.

«On a eu toute sorte de prétendants à la chose. Les seuls qui ont chiffré c'est la société de Dieudonné», observe à regret le directeur du théâtre. Attilio Maggiulli a pu nous confirmer que les équipes de l'humoriste condamné à plusieurs reprises pour propos racistes et antisémites sont bel et bien passées prendre la mesure des lieux. «Même si nous sommes toujours en complet désaccord avec ses propos que nous réprouvons, notre association, suite à la perte de toutes ses subventions, se voit contrainte de vendre le bail de notre théâtre», avait précisé au Point le metteur en scène italien.

Des rapports délicats que ne rend guère plus agréable la présence de l'avocate Isabelle Coutant-Peyre qui défend le proche d'Amedy Coulibaly, Ali Riza Polat, au procès des attentats de janvier 2015, en plus de servir d'intermédiaire aux Productions de la Plume

«Wolinski a été un de nos grands amis, il nous a fait plein d'affiches», se désole le directeur du théâtre de la rue de la Gaîté. «L'amitié avec toute l'équipe de Charlie Hebdo et Hara Kiri date depuis très longtemps», rappelle celui qui avait monté une pièce de François Cavanna en 1977 et pour qui la perspective de s'attacher à Dieudonné n'a décidément rien d'enchanteur.

La chasse aux subventions et à la survie de la Comédie italienne travaille nuit et jour l'esprit d'Attilio Maggiulli. Elle lui a valu de défrayer la chronique en 2013, pour avoir précipité sa Peugeot contre les grilles de l'Élysée ; un coup d'éclat qui lui avait valu de se retrouver à Sainte-Anne. En 1999, déjà, le directeur du théâtre avait entamé une grève de la faim pour demander une réduction d'impôts de la part des pouvoirs publics.

L'homme de théâtre, pourtant, est prêt à rebondir. Il prépare avec sa troupe une adaptation du Guépard , avec la conviction des capacités de son théâtre à «produire du rêve». «On n'a pas fait tout ce boulot depuis 47 ans pour qu'on nous fasse mettre la clé sous la porte», conclut-il.

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