Lu dans la presse
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Publié le 29 Septembre 2020

France - Enquête sur la nouvelle menace terroriste

En dépit d'une vigilance jamais relâchée, les services de renseignements doivent faire face aux « loups solitaires ». Et semblent parfois bien démunis...

Publié le 28 septembre dans Le Point

« La menace est endogène avant tout. Aujourd'hui, on craint surtout une action individuelle d'un gars comme à Romans-sur-Isère. » Les propos tenus au Point par Laurent Nuñez, coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, la veille de l'attentat commis contre Charlie Hebdo qui a blessé grièvement deux personnes à Paris dans le 11e arrondissement le 25 septembre prennent aujourd'hui toute leur dimension. Le 4 avril, c'était un réfugié soudanais qui attaquait des passants dans les rues du centre-ville de Romans-sur-Isère aux cris d'« Allahou akbar », faisant deux morts et cinq blessés.

Vendredi dernier, l'attaque ourdie par un jeune Pakistanais de 25 ans, ancien faux mineur isolé non accompagné en attente de régularisation administrative, revêt davantage encore un caractère terroriste. Le suspect croyait en effet frapper deux journalistes de l'hebdomadaire satirique devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, dont la rédaction avait été décimée le 7 janvier 2015.

Menace encore plus élevée depuis la republication des caricatures

« La menace est toujours très élevée. Notre veille Internet, tous réseaux confondus, fait de la France l'un des pays les plus menacés en Europe. Davantage encore depuis la republication des caricatures du prophète Mahomet », insiste l'ancien préfet Nuñez. C'est ainsi que celui qui dit s'appeler Ali Hassan a justifié son attaque au hachoir devant les enquêteurs de la brigade criminelle de la police judiciaire de Paris, en garde à vue depuis vendredi.

Malgré un certain relâchement dans l'opinion, les services de renseignements sont toujours restés en alerte. Quelques semaines avant l'ouverture du procès devant la cour d'assises de Paris pour juger les complicités présumées des terroristes Saïd et Chérif Kouachi, auteurs de l'attentat de janvier 2015 contre Charlie Hebdo, et d'Amedy Coulibaly, assassin d'une policière municipale à Montrouge et de l'attaque meurtrière contre l'Hyper Cacher de la porte de Vincennes, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et le Service central du renseignement territorial (SCRT) ont effectué un « criblage » permettant d'évaluer les menaces susceptibles de peser sur l'ensemble des parties civiles, et notamment les rescapés. L'enquête très poussée a été élargie aux familles des victimes, à l'exemple de celle de Charb.

Transparence entre services

Écoutes, surveillance des correspondances numériques, suivi des connexions d'individus inscrits au Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) : les modes d'action que la loi sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, votée en 2017, permet d'utiliser l'ont été. Chaque semaine, les services font le point en particulier sur les « Micas », les individus qui font l'objet de « mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance ».

Avec 8 132 individus fichés au FSPRT, chaque service établit un ordre de priorisation de ses cibles. La direction du renseignement de la préfecture de police prend en charge les « Parisiens ». La DGSI s'occupe des radicalisés susceptibles de passer à l'acte. Au SCRT, la division 3, spécialiste de l'islam radical et du repli identitaire, et la division nationale de la recherche et de l'appui supervisent depuis Paris les actions des agents basés en province. Lorsque les informations redescendent dans chaque département, c'est le préfet qui est chargé de la coordination de ces informations sensibles pour éviter qu'un service ne les cache à un autre, comme cela a pu être le cas par le passé. « Une pratique aujourd'hui révolue », insiste-t-on à la DGSI, la centrale du renseignement, chef de file de la lutte antiterroriste en France.

Priorité n° 1, les sortants de prison

Actuellement, ce sont les « sortants » de prison qui constituent la priorité n° 1 des services. Avec 45 condamnés pour des actes de terrorisme ou association de malfaiteurs terroristes remis en liberté en 2020 et 60 en 2021, selon un décompte interne aux services de renseignements, la charge des espions s'alourdit de manière exponentielle. Il faut mobiliser 3 équipes de 7 agents pour surveiller une seule cible. À ceux-là s'ajoutent désormais les filoches des « Janus », ces policiers soupçonnés de radicalisation qui font l'objet d'une étroite surveillance de la part de leurs collègues du renseignement.

Selon une fourchette basse, ils seraient entre soixante et quatre-vingts à faire l'objet d'un suivi quotidien. Depuis l'attaque menée au sein de la préfecture de police en octobre 2019, le ministère de l'Intérieur prend toutes les précautions pour éviter la reproduction d'un événement similaire. Au point que, selon des sources internes, la tutelle n'hésite pas à faire du zèle. À l'exemple de ce policier marseillais suivi par les deux principaux services de renseignements, le SCRT puis la DGSI. « C'est d'autant moins d'effectifs pour des menaces autrement plus sérieuses que ce gardien de la paix né catholique qui s'est converti à l'islam », se plaint un cadre de la DGSI.

32 attentats déjoués entre 2015 et 2017 ou entre 2017 et 2020 ?

Alors qu'il est soupçonné de radicalisation, le comportement de ce fonctionnaire n'a pourtant pas permis de confirmer les doutes, malgré plusieurs mois d'enquête. Marié à une musulmane, sa conversion n'est pas due à une brusque adhésion à la deuxième religion de France. En revanche, les espions ont découvert que ce policier pouvait à l'occasion se transformer en voyou : il a été vu, à l'occasion d'une surveillance, en train de désosser un véhicule stationné sur la voie publique, car il avait « besoin » d'une roue ! À la première filoche, les agents du renseignement ont ainsi retrouvé leur cible… en garde à vue !

Cela n'a pas empêché le second service de renseignement de prendre le relais et de relancer la surveillance. Elle devrait être moins chronophage et moins dévoreuse d'effectifs, puisque, désormais, ce policier est en arrêt maladie dans l'attente de sa convocation en conseil de discipline…

Pas de miracle

Malgré tout, les services de renseignements ne peuvent pas réaliser de miracles. Les individus qui ne font l'objet d'aucun signalement, qui s'autoradicalisent « par le contexte ambiant, en consultant Internet dans un cybercafé ou sur un smartphone non repéré, comme c'est le cas d'Ali H., le jeune terroriste de Charlie, nous échappent », selon un enquêteur de terrain. « Pour être pris en compte, il aurait fallu que l'aide sociale à l'enfance (ASE) du conseil départemental du Val-d'Oise le signale au renseignement territorial local quand il a eu des doutes sur son âge et son parcours. »

Arrivé mineur en France, Ali H. a bénéficié de l'ASE à partir d'août 2018. Le conseil départemental lui a alloué une chambre dans un hôtel social du vieux Cergy, malgré ses doutes sur sa date de naissance. L'institution a toutefois contesté son âge auprès du tribunal pour enfants de Pontoise. Mais la justice des mineurs l'a contraint à le garder sous sa protection jusqu'au 10 août 2020, date anniversaire de ses 18 ans.

Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a rappelé, dimanche, que 32 attentats avaient été déjoués depuis 2017. On ignore s'il s'agit des 32 dont Gérard Collomb parlait déjà en 2017 à sa nomination Place Beauvau…

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