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Publié le 16 Septembre 2020

France - Hommage : Franck Brinsolaro, l’humble ange gardien de Charb

France Inter dresse le portrait de tous les protagonistes du procès des attentats de janvier 2015 : victimes, familles, terroristes, accusés, magistrats, avocats… Retrouvez l'intégralité des portraits sur le site de France Inter (franceinter.fr).

Publié le 18 août dans France Inter

“Il était un excellent pro de la “protec”, une pointure, qui ne perdait jamais son sang-froid, et vivait pour sa mission”, dit de lui l’un de ses collègues. Le policier Franck Brinsolaro est mort dans les locaux de Charlie Hebdo, où il était chargé de protéger le dessinateur Charb. Il avait 48 ans.

“C’est mon héros”, dit de lui son fils Kevin, devenu policier à son tour, mû par un “déclic” après le 7 janvier 2015. Ce jour-là, son père adoré, Franck Brinsolaro, est mort transpercé par les balles de kalachnikov des frères Kouachi, qu’il a pourtant tenté de neutraliser à la seconde précise où ces terroristes cagoulés ont fait irruption dans la salle de rédaction de Charlie Hebdo. L’instant d’avant, Franck Brinsolaro, chargé d’assurer la protection de Charb, venait de percevoir le bruit sec d’un coup de feu, pourtant pas très audible derrière la porte capitonnée. Aussitôt, Franck s’est saisi de son arme. “Il nous a dit de ne pas bouger de façon anarchique” se souvient Sigolène Vinson, l’une des survivantes du massacre. Puis, les terroristes ont surgi, tiré, et le pistolet de Franck Brinsolaro n’a pas suffi à les stopper : derrière leurs gilets tactiques, leurs fusils d’assaut crachaient déjà du feu. Franck Brinsolaro est mort en mission, à 48 ans. Il avait deux enfants.

Le “pro de la protec” de Sarajevo à Kaboul

Kevin, l’aîné, est né d’une première union en 1989. Sa petite sœur, née d’une seconde union, n’était encore qu’un bébé en janvier 2015. Ingrid Brinsolaro, la mère de la fillette, ne décolère pas contre ceux qui ont allégé, quelques semaines avant l’attentat, le dispositif policier qui stationnait en permanence au pied de l’immeuble, en appui des deux policiers affectés à la protection de Charb. Ce 7 janvier 2015, quand les terroristes ont attaqué, Franck Brinsolaro était seul, son collègue étant brièvement parti s’acheter à manger. Kevin Brinsolaro, lui, n’a pas de colère, mais un immense chagrin, et des larmes qu’il voudrait qu’on ne voie pas rouler sur ses joues. Il se dit que “c’est le destin” qui lui a pris son “idole de père”. Ce père qui lui “a donné une ouverture d’esprit sur le monde” à travers toutes ses missions à l’étranger.

“J’ai vécu avec mon père jusqu’à mes trois ans, puis ils se sont séparés avec ma mère. À 8 ans, je suis parti vivre une année avec lui au Cambodge.” Franck Brinsolaro est alors affecté à la protection de l’ambassade de France à Phnom Penh. Les “meilleurs souvenirs d’enfant” de Kévin. Jusqu’au coup d’État de 1997. Franck Brinsolaro fait face à une mission périlleuse : l’exfiltration d’une trentaine de ressortissants français qui s’étaient réfugiés dans l’ambassade. Ce n’est pas sa première opération délicate, loin de là. L’année d’avant, en 1996, Franck Brinsolaro avait évacué quarante-six Français exposés aux tirs de Taliban à Kaboul, où il était chargé de protéger l’ambassadeur, Bernard Bajolet, devenu par la suite le chef de la DGSE.

Avant d'être affecté à la protection du dessinateur Charb, le policier Franck Brinsolaro avait protégé de nombreux Français à l'étranger, lors de périlleuses missions (ici en Afghanistan)

Avant d'être affecté à la protection du dessinateur Charb, le policier Franck Brinsolaro avait protégé de nombreux Français à l'étranger, lors de périlleuses missions (ici en Afghanistan) / DR

Presque dix ans plus tard, autre opération à haut risque et réussie : le sauvetage de trente-cinq enfants menacés par des combats avec les rebelles en République Démocratique du Congo. Avant Kinshasa, Phnom Penh et Kaboul, il y avait eu aussi le Kosovo et souvent le Liban. Beaucoup de pays en crise ou en guerre, ce qui n’effrayait pas Franck Brinsolaro, au contraire. “Franck est parti en poste en Afghanistan à l’époque où il y avait énormément d’attentats, de morts. Et d’ailleurs, il avait été blessé, mais pour lui, c’était un poste comme un autre” se souvient son ami Jean-Loup, qui fut son collègue pendant quinze ans au SDLP, le Service de la Protection de la police nationale.

“Franck était un excellent pro de la “protec”, très calme, solide, il ne perdait jamais son sang froid, il était une pointure.”

“Au Liban, on avait aussi vécu ensemble des situations compliquées avec la guerre civile, mais même quand c’était bien chaud et tendu, il restait le même, et c’est ce qui faisait sa force", explique son copain Jean-Loup. "Quand il était derrière moi, je n’avais pas besoin de regarder, j’étais confiant. La sérénité de Franck faisait que tout le monde était serein.” Franck Brinsolaro n’en tirait aucune gloire, ne s’épanchait pas, ni ne s'en vantait. Franck Brinsolaro était un “taiseux, humble, il ne se mettait jamais en avant, sauf quand ça chiait” résume Jean-Loup, carrure d’athlète comme son ancien collègue.

Le protecteur du juge Trévidic, puis de Charb

Ensemble, ils avaient aussi protégé des juges antiterroristes dont les cabinets étaient regroupés dans la galerie St Eloi du palais de justice de Paris, où chaque magistrat a son ange gardien. Franck Brinsolaro a été celui de Marc Trévidic, qui se souvient : “il a été le chef de ma “protec” à partir de 2006. Un policier très réservé, très fin, cultivé, très professionnel, et qui adorait les voyages.” Partout où Franck l’accompagnait, le juge Trévidic savait qu’il avait avec lui un protecteur sur qui compter.

Parmi ses souvenirs les plus marquants, le Liban, en plein chaos, “avec des snipers”, et le Rwanda “où les coups pouvaient venir de n’importe où, après trois ans de rupture diplomatique, on était pas vraiment très rassurés, et Franck a parfaitement géré”. Le Rwanda, Marc Trévidic y enquêtait sur l’attentat qui a déclenché le génocide de 1994. Le climat y était si électrique que le juge avait dû mener ses interrogatoires au Burundi, dans une maison sécurisée où les officiers rwandais arrivaient en hélicoptère. “Franck était à la manœuvre.” Après les interrogatoires, le policier et le juge étaient allés se balader dans des champs de thé à perte de vue, visiter un village de pygmées, et un orphelinat avec “des grappes d’enfants autour de Franck, il était heureux”. Franck qui restait concentré sur tous les dangers et avait ses astuces, comme “ne pas monter dans les voitures officielles blindées qui viennent vous chercher à l’hôtel ; il était du style à préférer les petites bagnoles toutes pourries” pour passer inaperçu, témoigne le juge Trévidic, admiratif et reconnaissant.

Franck Brinsolaro, policier aventurier au sens artistique

Protéger les autres du danger, assurer leur sécurité, était une vocation pour Franck Brinsolaro, assure son frère jumeau, Philippe, lui-même devenu policier, actuellement commandant de police à Marseille, à la tête d'un Groupe de Sécurité de Proximité. Philippe Brinsolaro, qui a dans son bureau un immense photo de son jumeau et une copie de la plaque “place Franck Brinsolaro”, se souvient que Franck avait séché la fin de la terminale et le baccalauréat pour s’inscrire en catimini au service militaire dans la gendarmerie. Finalement, il opte pour l’uniforme de policier. Franck Brinsolaro a vingt ans. Il devient gardien de la paix en police secours, puis flic de BAC (Brigade Anti Criminalité) dans le 93, avant de débuter ses premières missions à l’étranger, d’abord au service de protection des hautes personnalités (devenu le SDLP).

“Franck se marrait à Charlie, il me le disait, il avait beaucoup d’humour"

Ce goût des voyages et de l’aventure, Franck Brinsolaro le tient de ses grands-pères, affirme son frère jumeau Philippe. “Notre grand-père paternel a vécu vingt-cinq ans en Afrique, c’était un aventurier qui a passé son permis de pilote de petit avion et qui remontait les fleuves avec des bateaux qu’il avait construits lui-même. On avait quitté Toulon durant notre enfance pour aller le rejoindre au Cameroun quelques années.” Leur grand-père maternel, Jules Merviel, était un champion cycliste des années 30 qui avait gagné sa première course sur une bicyclette rouillée et avait terminé le Tour de France. “Je pense qu’il y a eu une transmission de ce côté aventurier chez mon frère” insiste Philippe, qui ne s’étonne pas non plus que son jumeau Franck soit devenu le protecteur de Charb. Car “Franck avait un sens artistique, je me rappelle des dessins qu’il faisait enfant et de sa très belle écriture. Il était capable de croquer quelqu’un et je pense que ce côté artistique les rapprochait et qu’il avait capté l’amitié de Charb et de plusieurs membres de la rédaction de Charlie.” Marc Trévidic ajoute : “Franck se marrait à Charlie, il me le disait, il avait beaucoup d’humour. Un jour il m’avait apporté une caricature que Charb avait faite de moi.”

Discret, valeureux, humble, et passionné de motos 

Sa mission à Charlie Hebdo, Franck Brinsolaro n’en avait presque jamais parlé à son frère Philippe. “Peut-être avait-il davantage confié ses craintes à ma mère, dont il était très proche. Elle s’inquiétait. Mais je pense que Franck percevait cette mission comme une mission classique.” Une mission à haut risque malgré l’apparent train-train parisien, lui avait rappelé le juge Trévidic qui avait bu un café avec lui quelques semaines avant l’attentat. Ils avaient parlé ensemble de la protection allégée, “une erreur, le danger a été sous-évalué” assure le magistrat qui avait redit à Franck que depuis 2013, Charb était la cible d’une “fatwa plus plus”.

Franck Brinsolaro, le discret valeureux, aimait aussi lire, courir et fumer cigarette sur cigarette. “Dès qu’il avait cinq minutes, il en allumait une", assure Jean-Loup. Et Franck adorait les motos. “Il les achetait, les revendait, en rachetait, surtout les Harley Davidson”, sourit son fils Kevin, qui partage la même passion des deux-roues, pour l’éternité désormais. Kevin Brinsolaro va bientôt être papa et rêve de partager avec son enfant la même relation de “complicité, sans tabou” qu’il a toujours eue avec son père, son héros. Philippe Brinsolaro, l’oncle de Kevin et frère jumeau de Franck voudrait que “la société n’oublie pas que tous les jours, y a des gens comme mon frère qui sont prêts à faire le don de leur vie pour protéger la République”. Il se souvient de ce 11 janvier 2015, le jour de leur anniversaire, avec son frère : “Ce jour-là, les policiers ont été applaudis, et pour lui, ça aurait été une satisfaction.” Philippe Brinsolaro se console à demi avec cette certitude : “Si Franck avait été rescapé, survivant de ce massacre, il ne se serait jamais remis de voir qu’il n’avait pas pu mener sa mission de protection jusqu’au bout. Il vivait pour sa mission.”