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Publié le 2 Juillet 2020

France - Les colonies de vacances, "un objet éducatif particulier"

Il est bientôt l’heure des départs en colonie de vacances pour de nombreux enfants et jeunes. Cette année, dans le cadre du dispositif “vacances apprenantes”, le gouvernement a annoncé la mise en place de “colos apprenantes”. Pour quoi faire ? Et quel est le rôle d'une "colo" dans la société ?

Publié le 26 juin dans France Culture

Dans une semaine, de nombreux enfants et ados boucleront leurs valises avant de rejoindre leur colonie de vacances. Un dispositif inédit a été mis en place cette année dans le cadre des "vacances apprenantes" : les "colos apprenantes", à destination de 250 000 enfants de 3 à 17 ans, principalement issus des quartiers prioritaires de la ville, et gratuites pour les familles les plus défavorisées. 

Elles doivent leur permettre de partir en vacances pour "s'amuser tout en rattrapant une partie de ce qui n'a pas pu être fait pendant l'année scolaire" marquée par la fermeture des écoles à cause de la crise sanitaire, a expliqué le ministre de l'Education Jean-Michel Blanquer dans un entretien au quotidien Ouest-FranceCe plan vise à lutter contre les retards et "les risques de décrochage" scolaire, mais aussi à "venir en appui aux familles", alors qu'"en temps normal, environ un enfant sur trois ne part pas en vacances", selon un communiqué du ministère. "Bien sûr, on peut noter des imperfections mais ce qui est important, c'est l'élan qu'on est en train de donner en ayant sauvé au maximum les colonies de vacances existantes dès lors qu'elles avaient une dimension éducative directe ou indirecte et en créant des nouvelles avec parfois une dimension de soutien scolaire qui est très importante", a insisté mercredi Jean-Michel Blanquer sur franceinfo. Mais est-ce bien le rôle d’une colonie ? Quel est sinon le rôle d’une colonie de vacances ?

"Vous partez trois semaines, vous revenez changé"

De ces colonies de vacances, "je garde de très bons souvenirs mais aussi plein d’amis qui le sont depuis mes 12 ans et plein de moments spéciaux parce qu’en colonie, tu vis les choses d’une manière un peu plus intense", raconte Lenny, 28 ans. Aujourd’hui chargé de communication, il a passé une dizaine d’étés dans les "colos" d’abord en tant que colon avant de devenir animateur puis directeur. "Vous êtes entre vous, en petit nombre, il n’y a pas de parents, donc une certaine liberté se crée." "Là où je partais, ce n’était pas tourné que sur 'on est là pour s’amuser', mais il y avait toujours aussi de la sensibilisation à des sujets de société, à essayer de nous éduquer au-delà de ce qu’on peut apprendre en colo, de nous faire grandir et progresser sur plein de thématiques", explique-t-il.

L’expérience a été également très enrichissante une fois passé de l’autre côté de la barrière, une fois devenu animateur. "Tu grandis pas mal quand tu t’occupes d’autres enfants alors que tu es assez jeune", évoquant la grande responsabilité qui lui incombait et la pression parfois mise par les parents. "N’importe qui vous le dira : vous partez trois semaines, vous revenez changé. Dans la vie, même professionnellement, ça a pu me servir. Tu développes des relations interpersonnelles, une capacité à aller vers l’autre, à retenir des choses sur les autres. Que tu sois colon ou animateur, en deux, trois jours tu retiens 150 prénoms, des histoires, tu vis tout à cent à l’heure".

Des séjours sanitaires à l’expérience sociale collective

Aujourd’hui souvent vécue comme une joyeuse aventure collective, "les premiers séjours sont vraiment sanitaires. C’est la question de la tuberculose qui est prégnante", rappelle Jean-Marie Bataille, ancien directeur de colonie de vacances, aujourd’hui chargé d’enseignement à l’université Sorbonne Paris Nord. "La dimension collective est arrivée beaucoup plus tard", c’est "plutôt après la Seconde guerre mondiale que cet argument-là va être développé". Dans les années 1950 et 1960, "l’Etat met énormément d’argent dans les colonies de vacances" et "va même en faire une sorte de service public en créant les services de Jeunesse et sport. Et puis après, dans les années 70-80, la notion de tourisme va prendre la place. On va commencer à développer une mise en place d’activités dans les séjours de plus en plus complexes de plus en plus chères et on va avoir une sorte de séparation des publics, entre les enfants qui vont aller dans des séjours qui coûtent très chers et puis à l’autre bout de la chaîne, les enfants qui sont dans les séjours créés après les Préventions Eté dans les années 80, pour faire sortir les enfants des quartiers. La période dans laquelle on est est marquée par la dimension du tourisme, donc plutôt de l’enfant-client", détaille l’auteur de l’ouvrage A quoi servent les colonies de vacances ?. "Dans le même temps, un certain nombre de chercheurs ont commencé à réfléchir à ce qu’il se passait dans les colonies de vacances et ont mis en avant le fait qu’il y avait une socialisation singulière dans les colonies de vacances. On se rend compte que cette expérience-là a un intérêt dans la socialisation de l’enfant, dans le fait de se trouver avec d’autres enfants et de vivre avec eux, de découvrir d’autres enfants qu’ils n’auraient pas eu l’occasion de découvrir" autrement qu’en colonie, affirme Jean-Marie Bataille. Comme dans le cas de Lenny, des amitiés créées pendant ces séjours perdurent des années après. "On s’est rendu compte de l’importance des colonies de vacances de ce point de vue. Dans les séjours, il y a des rencontres singulières entre les enfants valides et les enfants en situation de handicap, entre les enfants des quartiers populaires et des quartiers centraux, entre garçons et filles, entre les tranches d’âges... Il y a un outil qui est à disposition pour faire de la rencontre."

"Les effectifs des colonies de vacances n’ont quasiment pas arrêté de diminuer depuis les années 1960, si on regarde juste les séjours d’été, regrette Jean-Marie Bataille. En revanche, on s’est rendu compte que sur les dix dernières années le scoutisme avait quelque chose de différent puisqu’il avait une augmentation de ses effectifs. En s’intéressant particulièrement à la façon dont ils se sont organisés, on voit apparaître un discours autour d’un scoutisme pour tous, porté par l’ensemble de la famille du scoutisme, à la fois les encadrants mais aussi les familles. On voit de plus en plus chez eux de séjours qui offrent la possibilité à des enfants de se mélanger avec plein d’autres enfants qui n’ont rien à voir en terme d’expérience socio-géographique. On était dans un mouvement et je pense qu’il est tellement puissant qu’il va sûrement dépasser l’expérience du présent". "Il faut des espaces dans la société où les gens se rencontrent pour fabriquer une socialisation et une expérience collectives. Les colonies de vacances s’emparent de ce projet là actuellement", conclut l’enseignant.

Les "colos", "une forme éducative par les pairs"

"Les colos, c'est un objet particulier pédagogique, de politique publique, d'éducation qui est singulier, assure Jean-Michel Bocquet, directeur du Mouvement Rural de Jeunesse Chrétienne (MRJC) et enseignant à l'université Paris 13. Et cette singularité, c'est d'abord : on déplace des enfants. Nos enfants vont s'enrichir quelque part avec d'autres enfants pour le ramener à l'endroit où ils sont. La deuxième singularité des colos, c'est que quand ils sont quelque part, il faut qu'ils rencontrent des gens qu'ils ne rencontreraient pas s'ils n'étaient pas partis. Il faut forcément de la mixité, des échanges, des rencontres avec des enfants singuliers. Troisième particularité : la colo, c'est un espace de jeu et de vacances sans les parents. On est sur une forme éducative par les pairs. Même les animateurs sont des jeunes un petit peu plus âgés que les enfants qu'ils ont en responsabilité."

"On apprend en colo à faire ensemble, à construire ensemble, à vivre ensemble, à se rencontrer. On y apprend la démocratie, résume Jean-Michel Bocquet. La colo idéale, c'est ça, avec une pédagogie étroitement liée à celle de la colo et des espaces de loisirs : une pédagogie de libre circulation, d'apprentissage, d'enfant en capacité de faire par eux-mêmes, où ils ne sont pas jugés, où on ne va pas ramener les difficultés scolaires mais on les mettre en valeur sur ce qu'ils sont capables de faire, souvent sur des objets hors de l'école : capable de faire à manger, de jouer, de motiver des gens, capable de parler en public, de faire son lit, ranger sa chambre, de faire avec d'autres. Et puis il y a tout ce que l'école ne fera jamais qui est lié à l'éducation indirecte d'une colo : c'est la boum, ce qu'il se passe dans une chambre quand on a fermé la porte, les confidences qu'on peut se faire entre copains, les expéditions nocturnes qu'on ne doit pas avoir mais qu'on fait quand même... Pour les ados, c'est absolument fondamental, cette vie-là."

La "colo apprenante", un "retour en arrière" ?

"Comment motiver un jeune à aller en vacances alors qu’on va lui dire qu’on va faire de l’école ?", s’interroge Jean-Michel Bocquet. "L’éducation de l’enfant ce n’est pas que l’école", estime-t-il, perplexe quant à l’instauration d’un label "colonies apprenantes" souhaité cette année par le gouvernement qui liste les différentes colonies disponibles sur son site. "Ça n’a aucun sens de vouloir rattraper des décrocheurs de l’école avec un modèle issu de l’école. S’ils sont décrocheurs, c’est bien que l’école leur pose problème." "Et pourquoi aller chercher un public cible ? Toute la richesse d’une colo, c’est justement que ça devrait justement toucher tout le monde". 

Selon lui, ce dispositif est "une fausse évolution", voire "un retour en arrière". "Les colos apprenantes, autrement appelées colonies scolaires, datent de la fin du XIXe siècle. Ce n’est pas une idée moderne du tout. Le premier en France à avoir fait ça était Edmond Cottinet. Il a pris des enfants de de Paris et il les a emmené à Chaumont." Des colonies scolaires encadrées par des instituteurs suivant la pédagogie traditionnelle de l’école, non-mixte à l’époque. "Ce modèle a été arrêté en France parce que les critiques étaient extrêmement fortes. L’inventeur des colons le Pasteur Bion disait du modèle français que ça produisait des choses niaises. Progressivement, le modèle français va sortir la question scolaire et se modéliser sur cette colo éducative" qui va se développer après la Seconde Guerre mondiale.

"Il y a une méconnaissance de l’apport potentiel des colonies de vacances"

Le ministre de l’Education "voulait sans doute parler de vacances studieuses, mais les colonies à l’origine ne sont pas là pour se substituer à l’école", renchérit la sociologue Magalie Bacou, co-autrice du rapport d’évaluation du dispositif #GénérationCampColo, publié en 2016. "On est avec cette proposition en train de remettre en question l’utilité, l’objectif même, l’essence même des colonies de vacances." "Les colonies de vacances ont beaucoup à apporter à nos sociétés, aux générations actuelles de jeunes et aux adultes de demain." "Ils ont besoin de se confronter à d’autres lieux, d’autres personnes, d’autres modes de vie, donc celui de la collectivité, en colonie".

De la part de l’Etat, "on voit bien qu’il y a une méconnaissance de l’apport potentiel des colonies de vacances parce qu ‘on ne s’intéresse qu’à normaliser les jeunes, les enfants et le risque c’est de tuer tout potentiel créatif d’innovation. L’innovation nécessite de transgresser les normes. Si on est trop conforme aux normes et qu’on n’a pas d’espace pour aller expérimenter et faire un pas de côté, je crois qu’on signe la mort de nos sociétés."

 

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