Lu dans la presse
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Publié le 22 Septembre 2020

Procès - Me Klugman : "Hyper Cacher : la procédure ignore le mobile antisémite"

Patrick Klugman représente plusieurs survivants de l'attaque terroriste de l'Hyper Cacher du 9 janvier 2015. Il entend rappeler le caractère antisémite de ces crimes.

Publié le 21 septembre dans L'Express

Veste à capuche bordée de fourrure, sac de sport sur l'épaule, il est 13h05 ce vendredi 9 janvier 2015 quand Amedy Coulibaly arrive devant l'Hyper Cacher de la porte de Vincennes à Paris. Le terroriste, à visage découvert, sort un fusil d'assaut alors qu'il est encore sur le trottoir. Une minute plus tard, une fois à l'intérieur, il fait sa première victime : Yohan Cohen, employé du magasin. Pendant les quatre heures de prise d'otages qui vont suivre, trois autres personnes vont perdre la vie sous la kalachnikov du tueur: Yoav Hattab, Michel Saada et Philippe Braham. Amedy Coulibaly est abattu par la police au terme d'un assaut.  

C'est la fin de trois jours d'horreur en plein Paris. Nous sommes deux jours après l'attentat sanglant commis par les frères Kouachi contre le journal Charlie Hebdo et le lendemain de l'assassinat à Montrouge de la policière municipale Clarissa Jean-Philippe. Les survivants de l'Hyper cacher comme les proches des victimes, moins connues que les caricaturistes de Charlie, se sont senties les oubliés de l'histoire.  

Alors que les faits du 9 janvier 2015 sont examinés par la cour d'assises spéciale de Paris à partir de ce lundi et que les parties civiles sont appelées à témoigner dès le lendemain, plusieurs ont déjà fait savoir qu'elles ne feraient pas le déplacement. Trop dur, même cinq ans après. L'avocat Patrick Klugman représente une dizaine d'entre elles, il revient pour L'Express sur les enjeux de ce procès hors normes.  

La projection à l'audience des images de la tuerie de Charlie Hebdo a été un moment très fort et dur à vivre, notamment pour les victimes et leurs proches. Qu'en est-il des images de l'Hyper Cacher? Vont-elles être diffusées? 

Patrick Klugman : Il existe des images de vidéosurveillance du magasin mais aussi sept minutes d'enregistrement de la GoPro que portait Amedy Coulibaly. Je ne souhaite pas qu'on visionne ces dernières. Un acte de terrorisme est fait pour être perpétré et diffusé. La GoPro, ce sont des images de propagande, elles continuent le crime, c'est ce que j'ai dit au président de la cour d'assises. 

Vos clients seront-ils présents à l'audience pour témoigner? 

Pas tous. Certains ont quitté la France (pour Israël ou les Etats-Unis, Ndlr) et ne pourront pas être présents. D'autres, qui vivent toujours dans notre pays, ne veulent pas venir. Certains n'ont d'ailleurs pas voulu non plus déposer pendant la procédure, ni se constituer parties civiles. Leur manière de survivre, c'est d'oublier. Ils n'attendent rien du procès. Il y en a d'autres, au contraire, pour qui la tenue du procès participe de leur rémission. Notre but est de remplir cette audience avec la voix de nos clients et de tous ceux qui ont été confrontés à cette horreur, soit directement, soit leurs familles. Par ces témoignages, et ceux très forts des survivants de Charlie, on sait déjà que ce procès n'aura pas été vain, quelles que soient les responsabilités qui seront établies et les peines décidées.  

La peur est-elle encore présente cinq ans après? 

C'est le premier motif que nous opposent les victimes qui refusent de venir témoigner. Ce sont des gens que la peur ne les quitte jamais. Ils nous disent "c'est fini, je ne veux pas qu'on nous retrouve. Il y a une différence de sociologie entre les victimes. Ce qui nous a tous impressionnés, c'est le courage de l'équipe de Charlie, qui a continué et continue toujours de travailler, qui sortent un journal, pour certains refusent une protection et qui continuent. Car pour eux, vivre, c'est ça. Mais mes clients, c'est différent. Ils étaient au mauvais endroit au mauvais moment. Cela aurait pu être eux, leurs voisins ou des inconnus. Et ça, c'est très traumatisant.  

Comment vont vos clients aujourd'hui? 

Personne ne va bien après un attentat. C'est la leçon de ces procès. Quand on a la chance d'être un survivant, on a quand même sa vie brisée. Eux, avant le procès, se sentaient victimes deux fois : pour avoir été la cible d'Amedy Coulibaly et pour avoir été oubliés comme victimes. Ce n'est pas la faute des autres victimes, il n'y a pas de concurrence. Mais ils ont quand même eu ce sentiment que la société les avait oubliés. C'est moins le cas depuis l'ouverture des débats.  

Le mobile antisémite n'est pas évoqué. Pourquoi? 

C'est un enjeu majeur de ce procès. Si on s'en tient à la procédure, mes clients ont été victimes d'une infraction qui n'a rien d'antisémite. Cela résulte de la loi qui a été modifiée postérieurement aux faits, en 2017. Je comprends cette lecture juridique. Mais il m'apparait impensable de juger ces faits sans que la cour ne se positionne sur une qualification juridique qui comprendrait "l'appartenance réelle ou supposée à une nation, religion, ethnie", en l'occurrence à la religion juive de mes clients.  

Car moi je ne sais pas expliquer à des personnes qui ont été ciblées uniquement parce qu'elles sont juives ou parce qu'on a pensé qu'elles l'étaient (on n'a pas attaqué un Monoprix, on a attaqué un Hyper Cacher), que la loi ne le comprend pas et ne le retient pas. Je pense que la cour d'assises, qui a plénitude de juridiction, doit prendre en compte ça et en tirer les conclusions. Je ne laisserai pas ce procès se tenir sans la mettre devant ses responsabilités.  

Vous avez demandé que la maire de Paris, Anne Hidalgo, soit entendue au procès, ce qui a provoqué un début de polémique. Est-ce que vous le comprenez? 

J'ai été surpris et blessé d'être attaqué notamment par des confrères qui sont assis sur le même banc des parties civiles que moi. L'un d'eux a trouvé "indécent" ma démarche. Sur un plan procédural, une demande d'audition de témoin ne fait jamais l'objet de débats en audience. Chaque partie peut faire citer les témoins qu'il veut. Je ne comprends pas pourquoi ça suscite une telle indignation. Si j'ai fait cette demande, c'est au nom de trois associations -SOS Racisme, l'UEJF et le CRIF- constituées parties civiles. Nous avons cherché un témoin de cette séquence de trois jours (du 7 au 9 janvier), qui s'était tenu au plus près des faits et des victimes. Nous pensons que la maire de Paris peut attester du coût pour la collectivité d'un attentat. Anne Hidalgo a toujours été auprès des victimes. Je ne vois pas ce qu'elle a à gagner en venant devant cette cour d'assises. Elle n'est pas en campagne.  

Ma proximité politique et personnelle a posé question. Mais, objectivement, que je la connaisse bien ou pas, je ne vois pas sur le fond ce que ça change. Le 7 janvier, j'étais avec Anne Hidalgo quand elle a appris pour Charlie Hebdo. Nous nous y sommes rendus rapidement, avant le président François Hollande et d'autres responsables politiques. Quand tout le monde est reparti, elle est restée là, auprès des victimes et leurs proches. Jamais je ne l'oublierai.