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Publié le 18 Janvier 2021

France - Principales mesures, critiques... Tout comprendre au projet de loi séparatisme

Le projet de loi sur les séparatismes, depuis renommé, va être examiné à partir de ce lundi en commission de l'Assemblée nationale.

Publié le 18 janvier dans L'Express

En terminer avec l'impuissance face à ceux qui malmènent la cohésion nationale et la fraternité, face à ce qui méconnaît la République et bafoue les exigences minimales de vie en société, conforter les principes républicains : telle est l'ambition du projet de loi.  

C'est le projet fort du quinquennat d'Emmanuel Macron. Le projet de loi contre le séparatisme, renommé projet de loi "confortant le respect des principes de la République", sera ce lundi sur le gril des députés avec en commission ses 51 articles qui, sur fond de lutte contre l'islamisme radical, touchent à des sujets ultrasensibles. Début février, le copieux projet sera au menu de l'Assemblée nationale durant deux semaines. Ce texte, présenté en conseil des ministres après l'assassinat de Samuel Paty en octobre, est destiné à lutter contre l'islam radical en réprimant les incitations à la haine et en renforçant les obligations imposées au culte musulman. 

Délit réprimant la haine en ligne, contrôle renforcé des associations, meilleure transparence des cultes... Ce sont les principaux points du projet de loi "confortant le respect des principes de la République", soumis à partir de lundi en commission spéciale aux députés. 

Les principales mesures

  • Le texte se divise en plusieurs parties. La première s'attaque aux services publics et inscrit notamment le principe de neutralité (religieuse) des agents de droit privé chargés d'une mission de service public (entreprises de transport, Aéroports de Paris,...). Jusqu'ici seule la jurisprudence faisait référence en la matière. Les débats devraient porter sur l'extension de ce principe aux bénévoles et collaborateurs occasionnels du service public. Dans le viseur de certains députés : les mères voilées accompagnatrices de sorties scolaires. Le gouvernement et l'état-major du groupe LREM sont opposés à cette interdiction du voile.
  • Une autre partie s'intéresse aux associations et à leur encadrement. "Toute demande de subvention fait désormais l'objet d'un engagement de l'association à respecter les principes et valeurs de la République. La violation de ce contrat d'engagement républicain a pour conséquence la restitution de la subvention". Dans la rédaction actuelle, certains termes font tiquer, comme l'impératif fixé de "sauvegarde de l'ordre public". Les motifs de dissolution d'une association en Conseil des ministres sont en outre élargis. Il sera aussi possible "d'imputer à une association (...) des agissements commis par ses membres et directement liés aux activités de cette association".
  • Ce projet de la loi entend également "garantir la transparence des conditions de l'exercice du culte". Alors que les lieux de culte musulmans sont, pour des raisons historiques, en majorité sous le régime des associations prévu par la loi de 1901, le projet de loi les incite à s'inscrire sous le régime de 1905, plus transparent sur le plan comptable et financier. En contrepartie, elles pourront avoir accès à des déductions fiscales ou encore tirer des revenus d'immeubles acquis à titre gratuit. De gauche comme de droite, les opposants à cette mesure y voient une violation de la loi de 1905. Les dons étrangers dépassant 10 000 euros seront soumis à un régime déclaratif de ressources.
  • Il crée par ailleurs un "nouveau délit de mise en danger de la vie d'autrui par diffusion d'informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d'une personne permettant de l'identifier ou de la localiser". Cette disposition a été ajoutée après la décapitation du professeur Samuel Paty en octobre.
  • Le projet de loi, qui a été réécrit après son passage au Conseil d'Etat, durcit les règles sur la scolarisation à domicile, en passant d'un régime de déclaration à un régime d'autorisation de la part des académies. Il renforce l'encadrement des écoles hors contrat, notamment en introduisant "un régime de fermeture administrative" en cas de "dérives".
  • Un article entend "interdire à l'ensemble des professionnels de santé l'établissement de certificats attestant de la virginité d'une personne".

Des amendements à la pelle

Près de 1 700 amendements ont été déposés. "On souhaite une discussion modérée... J'ai peu d'espoir", glisse alors l'un des rapporteurs. Certains amendements promettent déjà des échanges houleux, y compris au sein de la majorité, comme autour de l'interdiction du voile pour les petites filles ou les accompagnatrices scolaires, proposées par les députés LREM Aurore Bergé ou François Cormier-Bouligeon. Argument : "le consentement", "des enfants de 5 ou 6 ans n'ont pas forcément leur libre arbitre", a dit samedi Aurore Bergé sur France Inter. Un amendement pour lequel la présidente du m national, Marine Le Pen, s'est dite favorable. 

Un autre amendement déposé vise les mamans accompagnatrices pour les sorties scolaires. Plus précisément, les mamans voilées et entend interdire le port du voile pour les accompagnants de sorties scolaires. Dans la même lignée, le député LR Éric Pauget souhaite que les "personnes participant à l'exercice ou aux travaux d'une mission de service public à titre rémunéré ou bénévolement" soient tenues de "respecter les exigences de neutralité religieuse", en réaction à la polémique autour de Maryam Pougetoux, porte-parole de l'Unef, pointée du doigt pour s'être présentée voilée à une commission d'enquête de l'Assemblée nationale en septembre. 

De manière plus étonnante dans le contexte de cette loi contre les séparatismes, le député LREM de Vendée, Pierre Henriet, entend lutter contre l'écriture inclusive qui est pour lui "une version dévoyée de la langue française. 

Armer toutes les polices municipales de France, sanctionner de six mois de prison le port du voile intégral, lier la création d'un compte Twitter à l'envoi d'une pièce d'identité... Le panel d'amendements déposés apparaît comme un fourre-tout de nombreuses idées déjà apparues lors des débats publics. 

Des risques pour la liberté

De son côté, la Défenseure des droits (DDD) estime que le projet de loi comporte des "risques d'atteinte aux libertés", dont celles d'association et d'enseigner des parents, et pourrait par conséquent "affaiblir les principes républicains eux-mêmes". Il "risque de conforter une tendance générale (...) au renforcement global de l'ordre social", a souligné la Défenseure, Claire Hédon, dans un avis, regrettant que l'action publique se replie "une nouvelle fois dans la facilité apparente de la restriction des libertés" pour "atteindre un objectif d'intérêt général". 

Plus d'un tiers des articles du texte "visent à renforcer les dispositifs de contrôle et près d'un quart définissent des peines d'emprisonnement", note-t-elle. Ce projet de loi ne mentionne pas la lutte contre "l'entrisme communautaire (...) pour l'essentiel d'inspiration islamiste", pourtant son objectif principal, mais "vise des catégories beaucoup plus larges" (personnels des services publics, associations, cultes...), regrette-t-elle encore. 

La DDD épingle aussi l'article pénalisant les certificats de virginité, pratique controversée et peu répandue parfois demandée avant un mariage religieux. "Cette pénalisation risquerait de stigmatiser" les médecins et soignants soucieux de protéger les patientes de la pression de leur environnement familial, et "les priverait de la possibilité d'engager une discussion d'information et d'éducation", remarque la Défenseure des droits. Dès lors, "tantôt le projet semble indirectement viser une catégorie très spécifique de la population, ce qui peut poser problème au regard des principes d'égalité et de non-discrimination, tantôt, pour ne pas le faire explicitement, il prévoit des interdictions et sanctions d'application tellement vastes qu'elles sont hors de proportion avec la difficulté qu'il souhaiterait traiter".  

Claire Hédon dénonce enfin la fin de la scolarisation à domicile pour tous les enfants dès 3 ans, sauf dérogations, en jugeant que l'étude d'impact n'étaye pas "le risque de prosélytisme au sein de l'instruction dans la famille". La liberté d'enseigner des parents, dont la "valeur constitutionnelle a été reconnue", "se trouve très amoindrie", insiste-t-elle. 

Un texte déséquilibré pour les syndicats

Frédéric Sève, secrétaire national de la CFDT, a estimé que ce texte "confortant le respect des principes de la République" part d'un constat "juste". Mais, a-t-il ajouté, les réponses "peuvent être incomplètes et problématiques", la CFDT regrettant notamment que la question de l'islam en France "sous-jacente au débat autour de cette loi", ait "tendance à être traitée sous l'angle réducteur de la vigilance à l'islam radical". 

Dans la foulée, Nathalie Verdeil (CGT) a souligné que son syndicat était "évidemment favorable à la lutte contre la montée des intégrismes", mais a dénoncé "un texte fourre-tout qui ne correspond pas à son titre, ni aux intentions données dans les présentations médiatiques". Comme les autres organisations syndicales, il s'est dit "nuancé" quant à l'article 1er prévoyant l'extension du devoir de neutralité aux salariés des entreprises délégataires de service public, estimant qu'il va falloir "un travail de précision". 

Ce texte "est globalement punitif", "son approche sécuritaire et idéologique est dangereuse car il ne s'attaque pas aux racines du problème et le risque est de renforcer un sentiment d'exclusion d'une partie de la population", a-t-elle ajouté, jugeant aussi le texte "pas assez précis" sur le volet de la neutralité.