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Publié le 16 Février 2021

France - "Séparatisme" : les députés s’acheminent vers l’adoption d’un texte clivant

Plus de 300 amendements ont été adoptés, samedi, portant sur les 51 articles du projet de loi « confortant les principes républicains ». Un vote solennel aura lieu mardi.

Publié le 15 janvier dans Le Monde

L’examen en première lecture du projet de loi « confortant les principes républicains » s’est achevé, samedi 13 février, après 135 heures de débat réparties sur un mois entre le passage du texte en commission spéciale puis en séance, à l’Assemblée nationale. Plus de 300 amendements ont été adoptés, portant sur les 51 articles du texte. Un vote solennel des députés aura lieu mardi.

Ce texte emblématique du tournant régalien voulu par Emmanuel Macron à quinze mois de l’élection présidentielle donne lieu à des modifications substantielles de plusieurs lois totémiques du droit français. La loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, la loi de 1901 sur la liberté d’association, la loi Ferry de 1882 qui consacre la liberté d’instruction et son obligation (à domicile, dans l’enseignement public, privé sous et hors contrat). « Le présent texte n’est pas équivalent » à la loi de 1905, a néanmoins réaffirmé le rapporteur général du texte Florent Boudié, député La République en marche (LRM) de Gironde.


Les cinq ministres au banc pour défendre le projet de loi visant à lutter contre « les séparatismes » – Gérald Darmanin (intérieur), Marlène Schiappa (citoyenneté), Eric Dupond-Moretti (justice), Jean-Michel Blanquer (éducation nationale) et Cédric O (numérique) – ont tour à tour défendu des mesures en faveur du renforcement de la neutralité dans les services publics, la création d’un délit de séparatisme et d’un contrat d’engagement républicain pour les associations, la restriction de l’instruction en famille (IEF), la lutte contre la haine en ligne, ou encore des mesures pour « la dignité humaine », dont l’interdiction des certificats de virginité.

  • Agents publics

Les députés se sont longuement attardés sur l’article premier, qui étend l’obligation de neutralité aux agents de droit privé exerçant des missions de service public (transports…).

Par la voie de plusieurs amendements de la droite comme du groupe LRM, la question du port ostentatoire des signes religieux, notamment du voile, s’est invitée dans les débats avant d’être balayée par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, et la majorité.

Un amendement d’Eric Diard, député Les Républicains (LR) des Bouches-du-Rhône, prévoyant que policiers, gendarmes et agents pénitentiaires doivent prêter serment de « servir avec dignité la République, ses valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité et sa Constitution » a été adopté.


Sur proposition du rapporteur général, les députés ont inscrit dans le statut général des fonctionnaires que tous les agents publics sont formés au principe de laïcité. A l’initiative du groupe socialiste, ils ont prévu que les futurs enseignants recevront, en outre, une formation « sur l’enseignement du fait religieux, l’éducation aux médias et la prévention de la radicalisation ». Ils ont soumis les conseillers municipaux à l’obligation de neutralité et de laïcité lorsqu’ils agissent au nom et pour le compte de l’Etat, par délégation du maire.

  • Le soutien de la hiérarchie

En écho à l’assassinat de Samuel Paty, les obligations de la hiérarchie d’un agent visé par des menaces, des violences ou des actes d’intimidation dans l’exercice de sa mission de service public ont cristallisé les interrogations. L’article 4 punit de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende toute personne accusée de menacer, violenter ou intimider un agent exerçant une mission de service public.

Afin d’impliquer davantage ses supérieurs dans la défense de cet agent, la commission spéciale avait donné la possibilité au responsable du service de déposer plainte à sa place. En séance, une partie des députés ont insisté pour que le supérieur soit tenu de déposer cette plainte. Stéphane Peu, député (Gauche démocrate et républicaine, GDR) de Seine-Saint-Denis, a mis en avant « la nécessité absolue de responsabiliser les hiérarchies » qui, selon lui, « regardent souvent ailleurs quand il y a un problème ». Des exemples ont été évoqués au-delà de l’éducation nationale, du gardien de HLM au brancardier des urgences en passant par l’agent de Pôle emploi.


Le ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti, ainsi que les rapporteurs, étaient plus que réticents au caractère obligatoire de la plainte par le supérieur au nom d’un principe du droit pénal selon lequel il faut avoir subi un préjudice direct pour le faire. « Le mécanisme de plainte pour autrui est très dérogatoire », a relevé le garde des sceaux, pour qui « il y a des situations dans lesquelles la victime ne veut pas déposer plainte car les choses se sont apaisées ». L’amendement a toutefois été adopté, avec un sous-amendement de la rapporteuse Laurence Vichnievsky (Mouvement démocrate, MoDem, Puy-de-Dôme), précisant qu’avant de porter plainte, le supérieur doit s’assurer du « consentement de la victime ». Des députés ont cependant craint que cela affaiblisse l’implication de la hiérarchie.

  • Les associations

L’article 6 n’a pas été substantiellement modifié mais il a été l’un des plus débattu. Il oblige les associations sollicitant des subventions publiques à s’engager, par « un contrat d’engagement républicain », à respecter « les principes de liberté, d’égalité, de fraternité, de respect de la dignité de la personne humaine » ainsi que « l’ordre public, les exigences minimales de la vie en société et les symboles fondamentaux de la République ».

En cas de non-respect, la collectivité lui retire la subvention et demande la restitution des sommes versées. De droite comme de gauche, des députés ont réclamé en vain la suppression de cet article. « Il y a déjà dans la loi des outils pour mettre fin à une subvention », a assuré Marie-George Buffet (GDR, Seine-Saint-Denis). Une deuxième série d’arguments a mis en cause une atteinte à la liberté d’association. « Votre texte pilonne trop large. Il va toucher toutes les associations », a critiqué Marc Le Fur (LR, Côtes-d’Armor).


L’efficacité de la mesure a été mise en doute. « Les ennemis de la République ne demandent pas de subventions publiques », a assuré Xavier Breton (LR, Ain). « Les bureaux des préfectures n’ont pas les moyens d’appliquer cette disposition », a dénoncé Charles de Courson (Libertés et territoires, Marne). « L’important, a fait valoir M. Boudié, c’est l’obligation de tirer les conséquences des dérives d’une association en obligeant la collectivité à retirer la subvention. »


Un point, soulevé par le député PS des Landes, Boris Vallaud, est demeuré confus. La collectivité est-elle tenue de retirer la subvention si elle constate un manquement au contrat d’engagement républicain ? Est-ce une compétence liée ? « Non, il n’y a pas d’automaticité », a assuré M. Boudié. Le texte utilise pourtant l’indicatif, qui vaut impératif. « Si l’autorité [qui accorde la subvention] a compétence liée, la décision n’est pas automatique », a assuré Marlène Schiappa, ajoutant à la confusion sur ce point.

  • Dignité humaine

Le texte s’attaque également au respect de l’égalité entre les femmes et les hommes. L’interdiction des certificats de virginité et le retrait du titre de séjour aux étrangers en situation de polygamie ont fait relativement peu débat.

Un amendement des rapporteurs, prévoit de prendre en « compte du caractère non consenti de la situation de polygamie » par les conjoints. Une proposition formulée en commission par la députée communiste de Seine-Saint-Denis, Marie-George Buffet.

  • Haine en ligne

Volet majeur du projet de loi pour lutter contre les séparatismes, les mesures visant à encadrer la modération des discours de haine sur les plates-formes en ligne ont fait l’objet d’échanges nourris entre les oppositions et la majorité.

Le chapitre transpose une partie du futur règlement européen, le Digital Services Act (DSA) dont les débats sont toujours en cours à Bruxelles. L’article 18, dit « Samuel Paty », crée un nouveau délit de « mise en danger de la vie d’autrui par la diffusion, dans un but malveillant, d’informations relatives à la vie privée ». Il est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.


Les députés, notamment à gauche, ont dénoncé une tentative du gouvernement pour recycler l’article 24 de la proposition de loi « sécurité globale » concernant la diffusion d’images de policiers. Avec l’article 20, l’Assemblée nationale a adopté le recours aux comparutions immédiates pour certains délits dits « de presse », comme la négation de crimes contre l’humanité, les injures racistes, sexistes, ou homophobes. Les journalistes professionnels ne sont pas concernés.

  • L’instruction en famille et les écoles privées hors contrat

Avec près de 400 amendements et une dizaine d’heures de débat, l’article 21 est celui qui a suscité le plus d’opposition. Il consacre la mise en œuvre d’un régime d’autorisation pour l’instruction en famille dès la rentrée 2024 et met fin au régime de déclaration.

Cette disposition a été critiquée de toute part aussi bien par la droite, qui y voit une atteinte à une liberté fondamentale, que la gauche, qui a dénoncé le manque de contrôle administratif et de moyens alloués à l’école publique.

Le ministre de l’éducation nationale a dû renoncer à mettre en vigueur ce nouveau régime dès la rentrée 2022, après avoir perdu une série d’arbitrages face à la majorité et Matignon. Ce qui devait être au départ une interdiction pure et simple de l’IEF s’est peu à peu mué au fil des débats en un régime d’autorisation doté de quatre motifs dérogatoires. Des raisons de santé ou un handicap, la pratique artistique ou sportive de l’enfant, l’itinérance de la famille ou l’éloignement géographique d’une école publique et enfin un dernier motif plus large qui se fonde sur l’appréciation d’un « projet éducatif » après avoir vérifié « la capacité de la ou des personnes chargées d’instruire l’enfant à assurer l’instruction en famille dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant ».


La rapporteuse du chapitre, la députée (LRM) du Rhône Anne Brugnera, a fait adopter un amendement visant à créer une cellule de recours rectoral pour les familles souhaitant contester un refus d’autorisation.


Quant aux écoles privées hors contrat, la loi instaure un régime de fermeture administrative pour permettre aux autorités de réagir « dans les meilleurs délais » lorsque des dérives « séparatistes » sont constatées.

  • La radicalisation dans le sport

Les députés Eric Diard (LR, Bouches-du-Rhône) et Eric Poulliat (LRM, Gironde), auteurs d’un rapport en juin 2019 sur la radicalisation dans les services publics, sont parvenus, contre l’avis du gouvernement et du rapporteur général, à faire adopter un amendement qui redonne au préfet le pouvoir d’agréer les associations sportives. Depuis une ordonnance de 2015, cet agrément était octroyé par les fédérations.

Les fédérations sportives reconnues par l’Etat vont passer d’un régime de tutelle à un régime de contrôle. Elles devront aussi souscrire à un contrat d’engagement républicain, qui conditionne le renouvellement de leur agrément au respect des principes républicains.

  • Contrôle des financements étrangers des associations

Le projet de loi prévoit un contrôle des financements étrangers perçus par les associations gérant un lieu de culte, qui devront déclarer ces financements dépassant les 10 000 euros, le préfet pouvant s’y opposer en cas de menace contre « un intérêt fondamental de la société ».

Les représentants de cultes se sont émus que l’on impose ce régime de contrôle aux seules associations cultuelles, alors même que des associations ayant d’autres objets (sport, culture…) peuvent percevoir des financements étrangers importants.


Sur proposition de la commission, les députés ont étendu le contrôle financier des financements étrangers à toutes les associations qui perçoivent plus de 153 000 euros de dons annuels, ce qui est une extension importante. Elles devront faire figurer ces sommes ou avantages de manière séparée dans leurs comptes annuels. Ils l’ont aussi étendu aux fonds de dotation.

  • Les associations gestionnaires de lieux de culte

Présents dans presque tous les groupes, les opposants à la possibilité, pour les associations cultuelles relevant de la loi de 1905, d’administrer des immeubles reçus par don ou par legs, c’est-à-dire de les mettre en location pour en tirer une ressource durable, ouverte par le projet, étaient très déterminés, mais ils sont demeurés minoritaires.

Gérald Darmanin a fait observer que cette faculté vise à rendre plus attractif le régime de la loi de 1905 dans la mesure où les associations loi de 1901 jouissent déjà du droit d’administrer des biens de rapport, et aussi à leur donner les moyens de ne pas dépendre de financements étrangers.

La mesure a été adoptée mais encadrée par un amendement du rapporteur général : les sommes ainsi dégagées seront plafonnées à 33 % des ressources totales de l’association cultuelle. Par ailleurs, les dons en liquide à une association cultuelle ont été plafonnés à 150 euros et les peines pour la célébration d’un mariage religieux avant le mariage civil ont été aggravées.

  • Lieux de culte

Inspirés par plusieurs cas récents de cession de mosquées à des Etats étrangers, les députés ont adopté un amendement LRM qui soumet la cession d’un lieu de culte à un Etat, une organisation ou à un résident étranger à l’obligation de déclaration préalable, ce qui donnera à l’autorité administrative la possibilité de s’y opposer « en cas de menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société ».

  • Un débat accéléré

Ces discussions autour du projet de loi ont révélé des divergences multiples au sein des différents groupes sur la conception de la laïcité, de l’extrême gauche à la droite en passant par les centristes. Les risques de fractures, un temps évoqué du côté de la majorité entre les tenants d’une laïcité ferme et ceux d’une laïcité ouverte, se sont estompés. Nombreux sont ceux qui saluent le travail de médiation du rapporteur général du texte.

Mais ces débats ont mis au jour la difficulté du gouvernement et de la majorité à établir une définition principielle du ou des séparatismes. L’enjeu de la lutte contre l’islamisme radical est resté au centre des discussions bien que les ministres et les rapporteurs aient souligné leurs volontés de viser tous les cultes par ce texte et l’ensemble des menaces pesant sur le respect des principes républicains.


Des députés de tout bord ont également reproché au gouvernement le manque de données fiables pour quantifier l’ampleur de certains phénomènes comme les enfants scolarisés en IEF dits en situation de séparatisme. « Notre discussion n’a pas suffisamment été étayée par des chiffres », a regretté le député (LR) Eric Diard à l’issue des débats.


Les critiques liées à l’instauration du temps législatif programmé, qui limite les prises de parole par groupe parlementaire, ont également émaillé les interventions. Les députés non inscrits n’ont pas eu de temps de parole pour défendre leurs amendements et discuter ceux du gouvernement et de la majorité. « Si vous vouliez vraiment coconstruire (…) un texte partagé par tous les bancs de l’Hémicycle, vous ne vous y seriez pas pris de cette manière-là », a fustigé la députée (LR) du Maine-et-Loire Anne-Laure Blin.

Reste encore à préciser l’avenir de ce texte alors que le risque d’inconstitutionnalité de plusieurs dispositions a déjà été soulevé par les oppositions et que le Sénat ne manquera pas de vouloir en modifier de nombreux pans. La seconde Chambre examinera le projet de loi dès le 30 mars, en commission.