Lu dans la presse
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Publié le 8 Septembre 2020

France - Six mois de prison pour l’auteur du courrier anonyme raciste adressé au maire de Givors

Un homme de 60 ans était jugé pour avoir adressé des courriers anonymes à quatre victimes, dont l’élu du Rhône et une avocate.

Publié le 5 septembre dans Le Monde

L’histoire du racisme ordinaire s’est racontée sans fard, vendredi 4 septembre à Lyon, à l’occasion du procès en comparution immédiate de Patrick Dupont, 60 ans, invalide et retraité, condamné à un an de prison, dont six mois avec sursis et mise à l’épreuve, pour « menaces de mort », à la suite de courriers anonymes adressés à quatre victimes, dont Mohamed Boudjellaba, nouveau maire (divers gauche) de Givors (Rhône), le 21 août.

« S’en prendre à un élu, c’est s’en prendre à la République », avait réagi le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, lorsque l’édile avait publié sur les réseaux sociaux les extraits de la lettre manuscrite reçue à la mairie, truffés d’insultes racistes, menaçant de faire exploser une bombe.

Le texte a aussi fait sursauter Chamssa Mehaoua, 30 ans. L’habitante de Givors a immédiatement reconnu la prose qu’elle avait reçue dans sa boîte aux lettres, le 13 décembre 2018. Pour elle, des menaces plus lourdes s’ajoutaient aux termes vulgaires : « On va te retrouver, t’égorger avec tes gamins. » A l’époque, la mère de famille avait suspecté son voisin du quatrième étage du HLM du quartier populaire des Vernes, à cause de problèmes de voisinage. Mais l’enquête minimaliste s’était soldée par un non-lieu, le 7 mai 2019.

« Cette affaire avait complètement bouleversé ma vie, j’ai eu très peur, j’ai quitté mon domicile du jour au lendemain. Dans la rue je me sentais observée, j’ai dormi dans la rue, à l’hôtel, avant de retrouver un logement », confie au Monde Chamssa Mehaoua. Dès qu’elle a découvert l’affaire du maire de Givors, elle a signalé la troublante similitude des lettres au commissariat. Ce qui a permis aux policiers de ressortir des archives deux plaintes supplémentaires, pour des lettres d’injures racistes et de menaces, signées de « retraités français ».

Allusions aux attentats

En décembre 2018, un courrier était arrivé au domicile du président d’une association d’aide aux migrants, avec cette saillie : « Vous trouvez qu’il n’y en a pas assez de cette sale race ? » En septembre 2019, c’est l’avocate Marie-Noëlle Fréry qui était visée. « Tu sais comment ça fait une bombe dans une étude d’avocats, ça fait boum », disait la missive nauséabonde. « Je reçois des lettres de menaces depuis trente-six ans, mais là, ma secrétaire, qui travaille avec moi depuis vingt-sept ans a vraiment eu peur, je ne peux pas l’accepter », a témoigné l’avocate à la barre.

Engagée dans la défense du droit des étrangers, Me Fréry s’était obligée à installer une caméra à la suite de ce courrier plus virulent que les autres. « J’ai le même âge que vous ! Mon grand-père était cheminot, ma mère couturière, les injustices ça existe pour tout le monde », dit Marie-Noëlle Fréry, qui voudrait faire comprendre au prévenu que les avocats défendent sans distinction de race : « qu’ils s’appellent Mohamed ou Dupont ! »

« Je l’ai déjà croisé dans la rue, jamais je n’aurais pensé que c’était l’auteur de la lettre », a ajouté Mme Mehaoua. Outre les termes racistes de « racaille » et de « bougnoule », les pages manuscrites regorgeaient d’allusions aux attentats contre Charlie Hebdo, du Bataclan, de Saint-Etienne-du-Rouvray, ou de Saint-Quentin-Fallavier.

Placé en garde à vue, Patrick Dupont a reconnu l’envoi d’une dizaine de courriers racistes et anonymes, dont un à Brigitte Macron, et le plus récent adressé au premier ministre, Jean Castex. Face au tribunal, l’homme avoue les faits, sans les revendiquer, plutôt gêné. A part quelques tracts du Rassemblement national trouvés en perquisition dans son domicile où flottait une forte odeur de chats, Patrick Dupont n’affiche aucune conviction politique, et son tee-shirt blanc porte un seul slogan : « boulot, apéro, dodo ».

L’ancien ouvrier intérimaire reste évasif face au président qui voudrait comprendre pourquoi il a mis des heures à rédiger de pleines pages aux relents racistes. « J’étais désespéré, j’ai pété un câble », répète péniblement Patrick Dupont, les mains sur les hanches, la voix aigrelette.

« Vous êtes malade de cette haine »

Dans le dossier, il est indiqué que le prévenu a arrêté les études à l’âge de 14 ans, avant d’enchaîner des postes d’intérim. Son casier judiciaire porte cinq condamnations, dont quatre entre 2003 et 2007 pour abandon de famille, à cause d’une pension non payée pour son fils aujourd’hui âgé de 25 ans. La cinquième porte sur un vol, sanctionné de 200 euros d’amende. Opérateur-régleur en usine, il dit avoir été licencié en 2019 pour inaptitude, à cause de problèmes cardiaques. Il touche une pension d’invalidité de 160 euros mensuels.

Patrick Dupont réside au quatrième étage d’un immeuble HLM sans ascenseur, et il voudrait déménager dans un logement au rez-de-chaussée, à cause de ses soucis cardiaques. « J’ai l’impression d’avoir été abandonné par la société », dit-il dans son interrogatoire. A travers ses lettres, il semble se persuader que « les Arabes » prennent sa place. Ses réponses lapidaires donnent l’impression d’une existence repliée sur la rumination de ses souffrances, avec pour seule échappatoire la désignation d’un responsable, l’étranger.

« Je pense que vous êtes malade de cette haine, regardez-vous en face », l’exhorte David Letievant, avocat des parties civiles, alors que son confrère Thomas Fourrey rappelle : « Les mots font mal. » La procureure Ambre Bernard s’inquiète d’une « personnalité bien lisse, qui ne laisse transpirer aucune émotion ». « Il n’a pas trouvé d’autre moyen de se faire entendre, ce dossier c’est la précarité, la misère », plaide en défense Alban Barlet.

Le tribunal a prononcé deux ans de mise à l’épreuve, avec obligation de soins et d’un stage de citoyenneté, tout en accordant le bracelet électronique à domicile pour exécuter les six mois ferme.

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