Lu dans la presse
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Publié le 3 Février 2020

France/Antisémitisme - Le maire de Sarcelles, Patrick Haddad, appelle à "réparer la République"

Tribune de Patrick Haddad. "Chacun doit pouvoir vivre selon ses convictions et dans le respect de ce qu’il est", écrit Patrick Haddad dans cette tribune. Le maire de Sarcelles invite à "réparer la République".

Publié le 31 janvier dans Le Journal du Dimanche 

"En matière de défense de la République, de lutte contre le racisme et l’antisémitisme ou de dénonciation de l’islamisme radical, nous avons droit à une profusion d’ouvrages et d’articles ni tous fins, ni tous fameux. Pour être entendu, le ton est volontiers clivant, la littérature anxiogène. Les titres sont vendeurs, le fond est vengeur. A ceux qui prêchent la haine répondent ceux qui répandent la peur : la machine infernale tourne à plein régime. Et pourtant, il y a non seulement matière à amener de la rationalité mais également urgence à le faire.

Pour cela, trois écueils doivent être évités :

1. Le premier, nous venons d’en parler, c’est le sensationnalisme et l’hystérisation du débat. Le sujet est trop grave pour en faire un fonds de commerce politique ou médiatique. A titre d’exemple, expliquer comme l’a fait un article de presse du 21 janvier dernier que les juifs à Sarcelles ne pouvaient plus mettre la kippa après 18h est tout simplement un mensonge éhonté qui a provoqué l’indignation de nombre de Sarcellois. C’est une erreur fondamentale que d’étendre la peur dans des champs où elle n’a pas pénétré, tout comme dire que la France prise dans son ensemble est un pays antisémite, négrophobe ou islamophobe.  

2. Le deuxième écueil est le corollaire du premier, c’est l’angélisme et sa conséquence, le déni. La montée des faits racistes et xénophobes est incontestable. Les derniers chiffres officiels publiés ce week-end en attestent : plus 130% en 2019 par rapport à 2018. L’antisémitisme, sous des formes diverses, connait une recrudescence particulièrement inquiétante car meurtrière : d’Ilan Halimi à Mireille Knoll, sans oublier les victimes des attentats de Toulouse, de l’Hypercacher de Vincennes ainsi que Sarah Halimi, onze femmes et hommes ont été assassinés depuis 2006 parce que juifs. L’inquiétude est renforcée par l’ignorance de la Shoah, les difficultés parfois à l’enseigner ou encore la profanation régulière de tombes en Alsace. Dans le même temps, nombre de Français, en particulier de confession musulmane et/ou d’origine africaine subissent des discriminations importantes dans l’accès à l’emploi et au logement. Plus généralement, le climat d’hostilité vis-à-vis de l’Islam est palpable. Les actes anti-chrétiens sont également en hausse. Un prêtre, Jacques Hamel, a même été égorgé, ne l’oublions pas, par un individu fiché S pour radicalisation islamiste le 26 juillet 2016 à Saint Etienne du Rouvray. 

3. Troisième écueil : la concurrence victimaire. Face à cette sombre réalité, le repli sur soi est souvent la première attitude adoptée, presque comme un réflexe pavlovien. Chacun cherche à se protéger, à protéger les siens, sa communauté, ceux qui lui ressemblent. Sans nier le ressenti de chacun, il faut collectivement le dépasser. "L'antisémitisme est toujours le prélude, le clignotant, le marqueur d'un effondrement général, dont les Juifs sont les premières victimes, mais dont on sait très vite qu'il va concerner tout le monde", expliquait à juste raison le rabbin Delphine Horvilleur, le 27 mars 2019. Ecouter la ministre de la Justice déclarer à propos du meurtre de Sarah Halimi "J’entends évidemment l’émotion de la communauté juive" est au minimum attristant. Car si le racisme et l’antisémitisme peuvent s’appuyer sur des ressorts différents, si la haine de l’autre peut prendre différents visages, le combat ne peut être que commun.

"Les citoyens sont demandeurs et prêts à co-construire un autre discours que celui de l’antagonisme permanent."

Ce combat, comment le mener? 

La réponse tient en deux impératifs : agir et construire, ensemble. Quarante années de promotion de l’individualisme ont constitué une société fragmentée, recroquevillée sur des principes identitaires exacerbés.
Sarcelles, en la matière, est un exemple atypique. Atypique, donc instructif, à rebours des clichés véhiculés par des observateurs peu scrupuleux. Musulmans, juifs, chrétiens ou athées, les habitants de ma ville ne veulent pas vivre en victimes, ils veulent vivre en France, selon des principes qui sont ceux de la République.

Pour rendre ces principes effectifs, nous avons signé le 5 juillet dernier avec la Dilcrah, la Licra, SOS Racisme et l’Union des étudiants juifs de France, un plan de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et toutes les formes de discriminations. Loin d’être une déclaration d’intentions ou un étalage de bons sentiments, il comprend des actions concrètes.

Dans le climat idéologique et politique que nous connaissons en France, qui peut penser que des rencontres entre juifs et musulmans ont lieu dans la convivialité, la bonne humeur et l’écoute de l’autre? Et pourtant, cela se passe à Sarcelles, à 10 kilomètres du périphérique parisien, et prend la forme de rencontres interculturelles et intercultuelles, d’actions éducatives et de conférences. Au cours de l’une d’entre elles, un jeune de 20 ans a récemment eu ces mots : "Je détestais les juifs, parce que c’est comme ça. Je n’en connaissais aucun, mais je les détestais tous". Sa lucidité et sa prise de conscience doivent pourtant nous rassurer sur un fait : l’espoir est toujours possible. L’action pédagogique paie. L’ignorance n’a pas définitivement gagné. Les citoyens sont demandeurs et prêts à co-construire un autre discours que celui de l’antagonisme permanent.

"Face à ce qui divise, face à ce qui blesse les identités, un enjeu s’impose : celui de réparer la République."

Bien sûr, quand les mots et es actes font froid dans le dos, la réponse pénale, le couperet ferme de l’ordre républicain sont nécessaires. Mais nous devons aussi croire aux vertus de la rencontre avec l’autre. Il faut tordre le coup à l’immonde en révélant l’humain par-delà les clichés. La parole des voix qui comptent, tant qu’elles existent, et acceptent de se lever, doit être forte. Je crois à la cohabitation entre le combat des Klarsfeld et celui de Latifa Ibn Ziaten, tout en perpétuant l’héritage d’Aimé Césaire. Celles et ceux qui font vivre la mémoire, les mémoires des souffrances passées doivent témoigner inlassablement, notamment auprès des esprits les plus jeunes. 

Sarcelles entretient ainsi le souvenir des blessures du passé, sans créer de concurrence ni d’équivalence stricte entre les souffrances : les traumatismes de la Shoah, de l’esclavage colonial, de la guerre d’Algérie, des génocides arménien comme assyro-chaldéen sont tous commémorés afin de consolider notre mémoire collective. 

Face à ce qui divise, face à ce qui blesse les identités, un enjeu s’impose : celui de réparer la République. Chacun doit pouvoir vivre selon ses convictions et dans le respect de ce qu’il est. Nous devons aussi promouvoir, dans nos villes, nos territoires, ce qui nous unit, au-delà des particularismes. Dialoguer avec chacun, respecter les différences, mais ne pas transiger sur l’essentiel. Nous avons le devoir de construire chaque jour un avenir commun à tous les enfants de France.

C’est cela, la République."

 

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