Lu dans la presse
|
Publié le 6 Novembre 2019

France/Mémoire - À 103 ans, la Résistante française Yvette Lundy s'éteint

Yvette Lundy s'était engagée dès 1959 pour témoigner dans les écoles de son expérience dans le camp de concentration nazi de Ravensbrück.

Publié le 3 novembre dans Le Point

Témoin de l'histoire, ancienne institutrice et grande figure de la Résistance, Yvette Lundy est décédée ce dimanche à l'âge de 103 ans, à Épernay (Marne), a-t-on appris dimanche auprès de la préfecture de la Marne et du maire de la ville. Déportée en 1944 à Ravensbrück, elle a ensuite inlassablement témoigné des horreurs. Revenue du camp de concentration nazi, Yvette Lundy s'était engagée dès 1959 pour témoigner auprès des collégiens et des lycéens.

« Encore aujourd'hui, il y a un moment de la journée où je pense au camp… C'est souvent le soir, avant de m'endormir », confiait en 2017 à l'Agence France-Presse la dame centenaire, assise dans un fauteuil du séjour de son appartement donnant sur les champs et les coteaux champenois d'Épernay. Coquette pour recevoir, enjouée pour deviser, la mémoire au garde-à-vous et le regard perçant propre aux fortes têtes, elle avait fait de la dérision son arme ultime, persuadée que « l'humour, ça aide à vivre ».

Arrêtée par la Gestapo à 28 ans

Benjamine d'une famille de sept frères et sœurs, elle fut institutrice à Gionges, un village viticole près d'Épernay où elle officiait aussi comme secrétaire de mairie, poste clé qui lui permit d'intégrer le réseau de résistance Possum. Sa mission : fabriquer de faux papiers pour des juifs, des hommes fuyant le STO (service du travail obligatoire) en Allemagne ou des prisonniers de guerre évadés que son frère Georges – mort en déportation en 1945 – cachait dans sa ferme. « Il me disait : “J'ai encore un gars”, alors, j'opérais en conséquence », expliquait celle qui s'est engagée en 1940 dans cette « tricherie honnête » sans se poser « aucune question ».

La combine dure jusqu'au 19 juin 1944, lorsque la Gestapo vient l'arrêter pendant sa classe, signant le prologue d'un périple inimaginable pour cette jeune femme d'alors 28 ans.

Après un passage à la prison de Châlons-en-Champagne puis au camp de Neue Bremm près de Sarrebruck, dans le sud-ouest de l'Allemagne, Yvette Lundy est réduite au matricule 47360 dans celui de Ravensbrück, seul réservé aux femmes et aux enfants, dans lequel environ 130 000 personnes seront déportées. En passant le portail de ce camp nazi à 80 kilomètres au nord de Berlin, elle sent « une chape de plomb » lui tomber sur les épaules, incrédule face à la déshumanisation dès l'arrivée des détenues, forcées de se déshabiller devant les SS.

Une survivante

« Le corps est nu et le cerveau tout à coup est en guenilles : on est comme un trou, un trou plein de vide, et si on regarde autour, c'est encore du vide », confiait Yvette. Sa constitution « assez robuste » et son caractère coriace l'aident à survivre dans ce « trou d'enfer » caractérisé par le travail harassant, « les chiens et les bâtons qui font partie de l'ordinaire », l'épuisement et la mort prompte à emporter les plus faibles. Finalement affectée dans un Kommando près de Weimar, elle est libérée par l'armée russe le 21 avril 1945 et réussit à regagner la France par avion, au terme d'un parcours retracé dans son livre Le Fil de l'araignée.

À la Libération, elle choisit d'abord de se taire devant une partie de sa famille qui croit cette survivante de l'indicible, comme tant d'autres, « déboussolée ». Mais dès 1959, poussée par l'Éducation nationale, elle intervient dans les écoles pour témoigner, répétant l'exercice devant des centaines d'élèves, surtout des collégiens français, parfois allemands, convaincue qu'ils ont compris « le drame » de la guerre et du nazisme. Ses conférences ont cessé en 2017, mais des jeunes venaient encore lui rendre visite dans sa résidence pour séniors, pour lui poser des questions.

Au service du devoir de mémoire

«Yvette était la grande dame d'Epernay, même si elle n'aurait pas du tout aimé qu'on l'appelle comme ça, compte tenu de son parcours de résistante, de déportée et de son investissement incroyable au service du devoir de mémoire», a réagi auprès de l'AFP le maire divers droite d'Epernay, Franck Leroy. «Elle avait aussi un regard sur la guerre et notamment sur la réconciliation franco-allemande qu'elle jugeait extrêmement importante», a-t-il ajouté.

Une « personnalité hors du commun »

«Ardente animatrice du réseau de la Résistance, même après la guerre», Yvette Lundy «avait rencontré des milliers d'élèves pour leur parler de la réconciliation, de la tolérance», notamment à travers le concours national de la Résistance, a rappelé M. Leroy. Connue «d'innombrables Marnais par ses déplacements», «elle était d'une générosité, d'une attention de tous les instants», a-t-il encore confié, en saluant une «personnalité hors du commun, mais d'une grande humilité, extrêmement tournée vers les autres».

«J'apprends avec tristesse et émotion la disparition d'Yvette Lundy, grande dame de la Résistance, qui a su» perpétuer «tout au long de sa vie le devoir de mémoire auprès des jeunes générations», a tweeté le député LREM de la Marne, Eric Girardin. Le président du Conseil départemental de la Marne, Christian Bruyen, divers droite, a pour sa part évoqué «une superbe figure marnaise à jamais dans nos mémoires». «Elle avait choisi le danger face à l'occupant. Elle aura connu l'enfer là où le destin de notre siècle saigne. Elle aura consacré sa vie à l'éducation», a-t-il écrit sur Twitter.

Elevée en 2017 au grade de grand officier dans l'ordre de la Légion d'honneur, Yvette Lundy avait alors confié à l'AFP n'être jamais retournée à Ravensbrück, par crainte d'être «trop chiffonnée». Un hommage à sa mémoire sera organisé à l'occasion des cérémonies du 11 novembre, a indiqué M. Leroy.