Lu dans la presse
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Publié le 27 Septembre 2019

Hommage - Serge et Arno Klarsfeld : "Jacques Chirac a eu l’audace de regarder en face les deux France des années 1940" (Vidéo)

Le président des Fils et filles des déportés juifs de France et son fils rendent hommage au premier président de la République qui, le 16 juillet 1995, commémorant la rafle du Vél’d’Hiv, reconnaissait la responsabilité de la France dans la déportation des juifs sous le régime de Vichy.

Tribune publiée le 27 septembre dans Le Monde

Jacques Chirac, élu quelques semaines auparavant président de la République, a prononcé, le 16 juillet 1995, un discours qui demeurera dans les annales de l’histoire de notre pays comme l’un des plus importants de la seconde moitié du XXe siècle. Un discours qui fut aussitôt salué dans le monde entier.

Un discours lucide, courageux et douloureux : il s’agissait de rappeler les souffrances des victimes des persécutions raciales et d’établir qui, du côté français, en portait les responsabilités. De 1944 à 1995, les prédécesseurs de Jacques Chirac, du général de Gaulle à François Mitterrand, désignaient l’Etat français de Vichy comme seul responsable. Rompant avec cette analyse de l’Etat français, parenthèse ou trou noir de l’histoire de France, et du régime d’usurpateurs, Jacques Chirac a dit : « La France, patrie des Lumières et des droits de l’homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. »

Le président de la République reconnaissait ainsi publiquement que les crimes de l’Etat français avaient été perpétrés au nom de la France et qu’il y avait eu simultanément deux France, celle de Vichy et l’autre France qui « n’a jamais été à Vichy. Elle n’est plus, et depuis longtemps, à Paris. Elle est dans les sables libyens et partout où se battent les Français libres. Elle est à Londres, incarnée par le général de Gaulle ».

Vichy, c’était aussi la France

Jacques Chirac a pris en considération la réalité historique et politique : la France capitale Vichy n’a pas été dirigée par un Gauleiter ou par un caporal ou par un chef de parti politique extrémiste, elle a été dirigée par un maréchal de France, le plus glorieux des 40 millions de Français, par un amiral de France, François Darlan, et par un homme, Pierre Laval, qui fut souvent ministre et par deux fois premier ministre de la IIIe République. L’ensemble de l’appareil d’Etat était au service de la France de Vichy. Donc Vichy, c’était aussi la France.

Jacques Chirac avait le sens de l’histoire et celui de l’équité. Dès le 18 juillet 1986, alors maire de Paris, à l’emplacement du Vélodrome d’hiver, il prononçait ces paroles : « Pour ce qui concerne le sort des communautés juives résidant en France, comme l’écrit Serge Klarsfeld : “Les juifs de France garderont toujours en mémoire que, si le régime de Vichy a abouti à une faillite morale et s’est déshonoré en contribuant efficacement à la perte d’un quart de la population juive de ce pays, les trois quarts restants doivent essentiellement leur survie à la sympathie sincère de l’ensemble des Français, ainsi qu’à leur solidarité agissante à partir du moment où ils comprirent que les familles juives tombées entre les mains des Allemands étaient vouées à la mort.” »

Ce discours du Vel’d’Hiv n’est pas arrivé de nulle part : il a été aussi le fruit de nombreuses années de militantisme des Fils et filles des déportés juifs de France, d’affaires juridiques historiques qui ont contribué à forger la notion de crime contre l’humanité en France, comme les affaires Leguay, Bousquet, Touvier et Papon qui ont permis de propager dans les médias français les éléments nécessaires pour changer la conscience collective de la société française sur la complicité de Vichy dans la solution finale. Jusqu’au milieu des années 1980, il était écrit dans les livres d’histoire pour lycéens que les juifs en France avaient été arrêtés par les seuls Allemands alors que les trois quarts d’entre eux ont été arrêtés par des uniformes de Vichy.

L’aboutissement de l’œuvre de mémorialiste

Ce discours est aussi l’aboutissement de l’œuvre de mémorialiste que notre association a accomplie en rendant à chaque victime de la Shoah en France son identité et son itinéraire personnel. Jacques Chirac tant comme maire de Paris que comme premier ministre et président de la République, s’est toujours montré particulièrement sensible à l’histoire et aux photos des enfants juifs. Il a été pionnier en leur rendant hommage, rappelant leur passage dans les établissements scolaires et permettant aux enfants français d’aujourd’hui de leur tendre la main au-dessus du gouffre du temps et des tragédies.

Du discours de Jacques Chirac et de sa seule volonté sont issus la commission Mattéoli et ses travaux historiques de haute valeur qui ont élucidé la page des aryanisations, des spoliations et des pillages. Les recommandations de la commission Matteoli au gouvernement ont entraîné, d’une part, la création de la Commission d’indemnisation des victimes des spoliations (CIVS), d’autre part, une pension versée à environ 15 000 orphelins de la déportation juive, mesure étendue depuis à d’autres orphelins, en particulier ceux des déportés de la Résistance ; et, enfin, la création d’une Fondation pour la mémoire de la Shoah, qui dispose des revenus d’un capital initial de près de 400 millions d’euros pour financer des projets dans les domaines de la pédagogie, de la culture, de la solidarité, des lieux de mémoire, des témoignages et des recherches historiques.

Nous qui avons fait résonner en boucle et par haut-parleur devant le palais de justice de Bordeaux le discours du président de la République, nous savons que, sans ce discours, le verdict du procès Papon aurait sans doute été différent. Nous tenons à exprimer notre profonde reconnaissance au premier homme d’Etat français qui a eu l’audace de regarder en face les deux France des années 1940-1944, d’y reconnaître la France et de faire assumer par la République la gloire de l’une et la honte de l’autre.

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