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Publié le 28 Janvier 2021

Israël - Reuven Rivlin : "Les accords de normalisation peuvent créer une nouvelle ère au Moyen-Orient"

A l'occasion du 76e anniversaire de la libération du camp d'extermination d'Auschwitz, L'Express a interrogé le président d'Israël sur l'antisémitisme et les récents accords de normalisation.

Publié le 27 janvier dans L'Express

Il aurait dû venir à Paris, ce mercredi 27 janvier, à l'occasion de la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l'Holocauste, pour rencontrer ses homologues français et allemand, Emmanuel Macron et Frank-Walter Steinmeier. La rencontre n'a finalement pas eu lieu, mais Reuven Rivlin, président d'Israël, n'en a pas moins répondu - par écrit - aux questions de L'Express. Il parle d'antisémitisme, des relations franco-israéliennes et de la normalisation des relations avec les Emirats arabes unis et le Maroc.

L'Express : Cette journée de commémoration ne peut masquer la montée de l'antisémitisme en Europe occidentale, notamment en France. Qu'en pensez-vous ? 

Reuven Rivlin : A l'occasion du 75e anniversaire de la libération d'Auschwitz-Birkenau, l'an dernier, j'avais eu l'honneur de présider à Jérusalem la réunion historique d'une cinquantaine de dirigeants et chefs d'Etat venus du monde entier, dont le président Macron. Nous avions alors fait part de notre engagement commun en faveur de la mémoire de l'Holocauste, de la mémoire des victimes et de l'éducation à la tolérance et au respect.  

En outre, nous nous sommes engagés à lutter inlassablement et sans compromission contre la haine, la discrimination et le racisme sous toutes ses formes. Ces principes de dignité humaine et de liberté, du caractère sacré de la vie, soulignent notre devoir sacré de nous souvenir et de garantir le "plus jamais ça". Mais les propos exprimés par les rois, les présidents et les Premiers ministres ne suffisent pas. A l'heure où des écoles juives, des synagogues, des supermarchés, des maisons et des entreprises sont dans la ligne de mire des extrémistes et des porteurs de haine, nous devons agir. Nous sommes confrontés aux menaces d'attaques physiques, mais aussi aux discours de haine, en particulier sur les réseaux sociaux. 

"Les juifs doivent pouvoir vivre en sécurité sans peur ni menaces, exprimer et pratiquer leur religion librement et ouvertement et s'organiser en communautés"

La pandémie a-t-elle, selon vous, accentué ces attaques ? 

L'antisémitisme adopte la forme moderne de la haine ancestrale qu'il véhiculait en période de crise, faisant des juifs les disséminateurs de cette nouvelle maladie et les accusant de miner les efforts déployés pour trouver un remède. Les juifs doivent pouvoir vivre en sécurité sans peur ni menaces, exprimer et pratiquer leur religion librement et ouvertement et s'organiser en communautés. Telles sont les libertés et les protections que les citoyens des pays démocratiques sont en droit d'attendre et que leurs pays devraient être à même de leur offrir. Le président Macron et le gouvernement français sont des partenaires à part entière de cette campagne, et je voudrais leur faire part de mes plus sincères remerciements pour l'accomplissement du travail de protection et de soutien de la communauté juive, de la lutte contre l'antisémitisme et contre toute forme de haine.  

A ce sujet, que diriez-vous des relations franco-israéliennes, aujourd'hui ?

Nos deux pays sont de proches alliés et partenaires. Nos valeurs communes se traduisent par un large éventail de liens bilatéraux et par une relation commerciale de 2 milliards de dollars. Avec l'accord Open Skies conclu entre nos deux pays, près de 300 000 touristes français ont visité Israël en 2019. La France représente la deuxième nationalité en nombre d'arrivées dans le pays. Nous oeuvrons main dans la main dans les domaines de la lutte contre le terrorisme et contre le trafic de drogue et de la préparation aux catastrophes. Nos agences de renseignement échangent des informations, améliorant ainsi nos capacités à endiguer le terrorisme chez nous et à travers le monde. Nos scientifiques et professionnels de la santé coopèrent de façon efficace, ce qui est particulièrement important en ces temps de crise mondiale. Nous apprécions aussi l'engagement de la France en faveur de la paix, de la stabilité et de la sécurité dans notre région. Nos relations de longue date sont suffisamment solides pour nous permettre de faire face aux divergences que nous pouvons avoir quant à la manière d'atteindre ces objectifs.  

Sur le plan personnel, j'ai beaucoup de bons souvenirs de ma visite en France en janvier 2019. Cela fut aussi la dernière visite à l'étranger que j'ai faite avec mon épouse, Nechama, avant son décès. Nous partagions le même amour pour la chanson française, qui faisait partie de la culture israélienne lorsque nous étions plus jeunes. Lors de notre visite, nous avons pu rencontrer des personnalités du monde de la culture, reflétant le profond intérêt qu'avait ma femme pour les arts et la culture. Cette visite fut également l'occasion de tisser des liens encore plus étroits avec le président Macron, que j'avais eu le plaisir d'accueillir en janvier 2020. 

Que représentent pour Israël les accords de normalisation signés avec les Emirats arabes unis et Bahreïn ? 

En tant que membre d'une famille qui vit à Jérusalem depuis sept générations, et fils d'un homme qui a traduit le Coran de l'arabe à l'hébreu pour s'assurer que les juifs puissent lire et comprendre la religion musulmane, je me souviens de cette période où juifs, musulmans et chrétiens s'asseyaient ensemble sur notre balcon à Jérusalem. Pendant des années, j'ai rêvé du retour de ces jours bénis et je pensais ne plus voir ce miracle de mes propres yeux. Mais cette vision devient réalité et nous assistons à des changements énormes et merveilleux dans la région. Je tiens à exprimer ma gratitude aux dirigeants des Emirats arabes unis, de Bahreïn, du Soudan et du Maroc pour leur vision et leur courage et pour l'esprit de tolérance et de respect dont ils ont fait preuve. Sans ce leadership courageux, ces relations n'auraient pas été possibles. 

Pour nous, Israéliens, un nouvel horizon s'ouvre. Je crois sincèrement que ces accords peuvent créer une nouvelle ère au Moyen-Orient. Il y a aujourd'hui un esprit volontaire et un désir de la part des Israéliens de faire connaissance avec nos nouveaux partenaires.  

Israël n'est pas en conflit avec le monde arabe ni en guerre avec l'islam. Au cours de notre histoire, le peuple juif a vécu et prospéré à travers le monde arabe. Pour les Israéliens dont les familles sont originaires du monde arabe, ce renouveau des relations est particulièrement important. Nos accords de paix forts et durables avec l'Egypte et la Jordanie, qui ont mis fin à de nombreuses années d'hostilité, montrent qu'il existe un vrai potentiel pour les accords avec les Emirats arabes unis, Bahreïn, le Soudan et le Maroc, ainsi qu'avec d'autres Etats, qui, nous l'espérons, rejoindront cette paix. L'ouverture cette semaine de l'ambassade d'Israël aux Emirats arabes unis, l'arrivée de notre chargé d'affaires à Rabat, au Maroc, ainsi que la récente ouverture de l'ambassade d'Israël à Bahreïn étaient impensables il y a quelques mois. Mais c'est la réalisation de la paix pour laquelle nous prions chaque jour : "Que celui qui fait la paix au plus haut fasse la paix pour nous et pour tous." 
"Au cours de notre histoire, le peuple juif a vécu et prospéré à travers le monde arabe"

Israël a également signé un accord de normalisation avec le Maroc, un pays qui est une porte d'entrée vers l'Afrique. Quelles sont les ambitions d'Israël sur ce continent ?

Les relations d'Israël avec l'Afrique sont anciennes et datent de l'indépendance de notre pays. En oeuvrant de concert avec nombre d'Etats Africains, nous avons su tisser de solides relations sur le continent. Le savoir-faire israélien dans le domaine de la gestion de l'eau, de l'agriculture en zone aride et des télécommunications sont quelques-uns des secteurs dans lesquels nous partageons nos connaissances. Le XXIe siècle sera celui de l'Afrique. Nous sommes déterminés à approfondir nos relations sur ce continent et à nouer de nouvelles amitiés, là où nous le pourrons. 

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