Lu dans la presse
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Publié le 24 Septembre 2020

Procès - Attentat de l’Hyper Cacher : le calvaire des otages

Cachés dans la chambre froide au sous-sol de l’Hyper Cacher ou en face-à-face avec le terroriste, les otages ont raconté ce mercredi comment ils ont essayé de se protéger les uns les autres.

Publié le 23 septembre dans Le Parisien

« Pour moi, vu le nombre de coups de feu, au-dessus ils étaient tous morts. On a vécu quatre heures dans cette chambre froide, quatre heures interminables en pensant qu'il allait descendre et tous nous tuer. » Noémie avait 27 ans ce 9 janvier 2015, des projets de mariage, une vocation : infirmière. Un métier qu'elle ne peut plus exercer parce que la vue du sang lui est devenue insupportable. A la barre de la cour d'assises spéciale ce mercredi, elle raconte tout cela - l'évidence de la mort, l'impossible reconstruction - d'un ton calme, digne. Presque résignée.

Ils seront six, dont un bébé de 10 mois, à se cacher dans ce réduit pendant la prise d'otages d'Amedy Coulibaly au sein de l'Hyper Cacher de la porte de Vincennes (XXe). Quatre heures passées dans le noir, terrorisés à l'idée d'être découverts. « On chuchotait, par peur qu'il nous entende. Et puis il y avait le bébé. On lui donnait tout ce qu'on avait dans les mains pour l'occuper, des clés, des papiers qui traînaient. C'était notre priorité, il ne fallait pas qu'il pleure », détaille la jeune femme.

L'enjeu, précise-t-elle, n'est alors pas que de rester en vie, mais de préserver aussi « ceux d'en haut » qui ont menti à Coulibaly, lui disant qu'aucun otage n'était resté au sous-sol après le mouvement de panique initial. Par deux fois, le terroriste a déjà ordonné que tous les otages remontent. L'un d'eux, Yoav Hattab, 21 ans, vient d'ailleurs d'être abattu après avoir tenté un geste héroïque en s'emparant d'une des armes du djihadiste.

A son tour, Brigitte, 50 ans, réfugiée en bas du magasin, accède à la supplique d'une « grande dame élégante », envoyée par le terroriste. Avec son futur mari, un père et son fils, elle gravit l'escalier en colimaçon. Et débouche sur le corps du jeune étudiant, gisant dans une mare se sang. « Mon fiancé m'a dit : Je t'en supplie, ne regarde pas. Mais par instinct, j'ai regardé. »

«Vous voulez qu'on l'abatte ?»

Ses jambes tremblent à la barre. « Et puis là-haut, poursuit-elle, il y avait ce son, ce gémissement… Pardon, pardon pour les familles. Ce son… On ne peut pas l'imaginer. » Yohan Cohen, employé du magasin et première cible de Coulibaly, agonise alors dans d'atroces souffrances. « J'ai mis ma tête entre mes genoux et mes mains sur mes oreilles. Et j'ai eu honte de moi… Parce qu'après, Coulibaly, ça l'a énervé. Il a dit : Vous voulez qu'on l'abatte ? Comme ça, on sera plus tranquilles. »

Le terroriste se met ensuite à manger sous leurs yeux, et, discutant « comme si on faisait copain copain », leur répète qu'ils vont mourir, et lui avec eux. A Brigitte, il assène, sadique : « Ta blessure au pied, faudra pas dire que c'est de ma faute, hein ! » « Non, je dirai rien. » « Pourquoi tu réponds ? De toute façon, tu sortiras pas ! »

L'ancienne commerciale, aujourd'hui incapable de reprendre le fil de sa vie, le dit : une partie d'elle-même est restée dans l'Hyper cacher ce jour-là. « Il y a une Brigitte qui est sortie, une autre qui est restée », dit-elle, prise d'une crise d'angoisse au moment d'évoquer l'assaut, lors duquel elle s'est vue mourir.

Sophie est cette « grande dame élégante » qui a fait remonter Brigitte, son fiancé, mais aussi un père de famille et son fils de trois ans. Dans un témoignage filmé projeté à la cour, cette mère de famille qui vit désormais aux Etats-Unis et n'a pu se déplacer en raison des restrictions liées au Covid-19, dit, elle aussi, toute son impuissance. « Je me suis dit : Mon dieu, qu'est-ce que tu as fait ? J'avais fait remonter un enfant de 3 ans. Avec une autre otage, on a essayé de lui cacher l'insoutenable. On a demandé à Coulibaly de le libérer. Il a refusé, en disant que cela pouvait être une monnaie d'échange. »

Certains mots de Coulibaly résonnent encore en elle, et elle détache chacun d'eux, qui tombent, lourds de sens, dans le prétoire : « Il a dit que les Juifs aimaient trop la vie. Là-dessus, il avait raison : c'est ça qui m'a fait tenir. »

En larmes, elle dit toute sa reconnaissance au RAID et à la BRI… Mais, aussi, la culpabilité d'avoir survécu. « Pourquoi moi ? Pourquoi eux ? Pourquoi, pourquoi ? Ça vous bouffe ce pourquoi. Alors je suis passée du pourquoi au comment, comment j'allais m'en sortir ». Pour Sophie et sa famille, cela passera par l'expatriation : « Un déchirement, mais une nécessité. »

« Mais surtout, dit-elle, captant alors toute l'attention des 14 accusés, rivés à l'écran, je n'ai jamais perdu de vue que le procès allait se tenir. Si je témoigne aujourd'hui, c'est pour qu'on se souvienne de ces quatre victimes innocentes, juives. Pour que la cour d'assises juge et condamne les complices de cet attentat clairement antisémite, perpétré par des islamistes français. Pour que chacun comprenne les ramifications de réseaux de haine installés sur le sol français. Pour éduquer, nous protéger. » Faisant allusion notamment aux attentats du 13 Novembre, survenus quelques mois plus tard, Sophie conclut : « je me souviendrai toujours de ce qu'a dit Coulibaly : Ça ne fait que commencer. Quand je suis sortie, j'étais pessimiste. Effectivement, ça ne faisait que commencer. »

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