Lu dans la presse
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Publié le 23 Septembre 2020

Procès - Procès des attentats de janvier 2015 : les mots simples et rassembleurs de Lassana Bathily

L’ancien salarié de l’Hyper Cacher, désormais âgé de 30 ans et employé à la Mairie de Paris, avait facilité l’assaut des policiers en dessinant un plan du magasin de la porte de Vincennes.

Publié le 23 septembre dans Le Monde

Quand Amedy Coulibaly est entré dans l’Hyper Cacher de Vincennes ce 9 janvier 2015, Lassana Bathily rangeait des cartons de surgelés dans la chambre froide au sous-sol. Il a entendu un coup de feu – « on est à côté du périphérique, j’ai cru que c’était un pneu qui explosait » – puis un second, un troisième, et a soudain vu « une foule qui se bousculait pour descendre le petit escalier en colimaçon » en hurlant que « des terroristes [étaient] entrés dans le magasin ».

Face à la cour d’assises spéciale de Paris, l’ancien salarié, aujourd’hui âgé de 30 ans et employé de la Mairie de Paris, déroule les dix minutes de ce huis clos en sous-sol pendant lesquelles il pensait que les frères Kouachi étaient les preneurs d’otages : sa proposition de regagner le rez-de-chaussée par le monte-charge et de s’enfuir par la sortie de secours, refusée par les clients qui la jugent trop risquée ; la chambre froide dont il éteint le moteur pour y mettre plusieurs personnes à l’abri ; sa fuite en solitaire grâce au monte-charge, le cœur qui bat, la crainte de tomber sur un terroriste au rez-de-chaussée, et finalement la sortie. « Je me suis dit “ça passe ou ça casse”. Dans la vie, faut tenter quoi. »

Dehors, les policiers le mettent au sol, le fouillent, le menottent brutalement. « J’étais en pleine panique. Ils me demandent : “Vous êtes combien dans le magasin ?” Je dis : “Une vingtaine de personnes.” Ils disent : “Comment ça, vingt terroristes ?” Je dis : “Je suis pas terroriste, je travaille là !” Ils m’ont gardé une heure et demie dans une voiture, ils m’ont pris pour un complice. Je peux comprendre. »

Le quiproquo évacué, Lassana Bathily facilitera l’assaut en dessinant un plan du magasin et en indiquant les clés qui permettent d’ouvrir le rideau de fer puis la porte d’entrée.

« La religion, on n’en parlait même pas »

C’est une fois les otages libérés qu’il apprend la mort, survenue quatre heures plus tôt, de Yohan Cohen, son collègue devenu « plus qu’un ami, un frère ». Pendant leurs deux années communes au magasin, Lassana Bathily avait remarqué qu’il recouvrait souvent sa kippa d’une casquette dans la rue, et qu’il mettait les sacs à l’envers « pour pas qu’on voie la marque Hyper Cacher ». « Il me disait : “Je traverse tout Paris pour aller à Sarcelles, j’ai peur qu’on m’agresse.” Je lui disais : “On est dans un pays laïque, tout le monde se respecte.” »

Amedy Coulibaly était musulman et d’origine malienne, et le président de la cour aimerait savoir ce que cela inspire à Lassana Bathily, lui-même malien musulman arrivé en 2006 en France, ce pays qui « [lui] a tout donné », et dont il possède la nationalité depuis janvier 2015.

« Il y a dix magasins Hyper Cacher en Ile-de-France, sept ou huit sont tenus par des musulmans, répond-il. Pour nous, les musulmans, les juifs, c’est des frères. Quand j’ai su que la personne qui avait tué mon frère venait de mon pays, ça m’a fait énormément mal. Peut-être qu’il était entouré par les mauvaises personnes ? J’ai toujours du mal à comprendre. »

Salarié à l’Hyper Cacher, « je faisais le ramadan, j’avais mon tapis de prière, ça se passait très bien avec mes collègues Zarie, Andréa, Samuel. La religion, on n’en parlait même pas quoi. Pour moi, la religion, c’est privé. Tout le monde doit se mettre ça dans la tête. Les terroristes sont là pour créer de la haine entre les religions. Mais on est des humains d’abord. L’humanité, c’est plus important que la religion ».