Tribune
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Publié le 27 Février 2015

“Nommer les choses”

Par François d’Orcival, publié dans Valeurs Actuelles le 26 février 2015 

La France nomme enfin les choses : elle est en guerre, en guerre contre le djihadisme synonyme de l’islamisme.

Photo D.R

Roger Cukierman, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France, avait passé une journée éprouvante, lundi, avant de prononcer cette phrase lors du dîner annuel du Crif qu’il présidait en présence de François Hollande, de la moitié du gouvernement et de la classe politique, de gauche et de droite. Les réseaux sociaux s’étaient déchaînés à cause de deux mots employés par lui le matin, sur Europe 1, au micro de Jean-Pierre Elkabbach ; il avait dit au sujet de Marine Le Pen qu’elle était « irréprochable » à l’égard de la communauté juive, avant de préciser « juridiquement irréprochable », mais à la tête d’un parti qui restait « infréquentable » ; surtout, il avait affirmé que les violences antisémites étaient le fait de « jeunes musulmans ». Et ça, apparemment, c’était défendu. Pourtant, il le redisait fermement au cours de son intervention du dîner devant Hollande et Valls : « Ici encore, il faut nommer les choses ; les actes antijuifs sont commis, dans leur écrasante majorité, par des jeunes issus de l’immigration, des jeunes musulmans, eux-mêmes pourtant des victimes potentielles du racisme. »

 

Nommer les choses, oui, mais unir les gens…, lui a répondu François Hollande. Prudent devant “les choses”. Le président de la République ne prononce pas le mot “guerre” (sauf pour ceux qui nous la font), ni celui de djihadisme ni même de djihad — qui fait référence au Coran. Il préfère parler de Dae’ch plutôt que d’État islamique, le mot arabe masquant la désignation française. Il lutte contre le “terrorisme”, le “fanatisme”, la “haine”, sans qu’on sache d’où ça vient. « Les musulmans sont les premières victimes. » De quoi ? Du “mal”.

 

Mais si l’armée française est déployée comme elle l’est en Afrique, si nos avions bombardent le nord de l’Irak, si le porte-avions Charles-de-Gaulle est dans le Golfe pour intensifier ces frappes, c’est bien que la France a un ennemi ; et si cette armée française est en plus appelée sur le territoire métropolitain en renfort des effectifs de police et de gendarmerie existants, c’est que l’ennemi extérieur est aussi intérieur. Qui peut distinguer entre « l’islamisme que l’on combat ici » parce qu’il commet des attentats, et « l’islamisme que l’on comprend »là-bas, quand il tire des roquettes contre Israël, demande Cukierman ?

 

Les sièges des médias ne sont pas placés sous la protection d’hommes en armes, les journalistes accompagnés comme des ministres par des policiers, les écoles juives, les synagogues, les mosquées, gardées comme des points sensibles par l’armée sans raison, comme si l’ennemi n’était qu’un criminel improvisé, solitaire, ou de passage… « En vous protégeant, dit François Hollande aux Français juifs, nous nous protégeons. »Le plan de protection sera maintenu « à son niveau actuel, le temps qu’il faudra ». Alors, il faudra bien « nommer les choses ».

 

Quel père, quelle mère, demande Roger Cukierman, peut être satisfait de déposer son enfant dans une école qui ressemble à un camp fortifié ? L’école ! Qu’elle soit désormais ce camp fortifié où patrouillent des soldats en tenue de combat en dit long sur ce qui s’est passé. Le président de la République promet que ce que dit le maître ne doit plus être contredit sur Facebook, que l’autorité du maître ne doit plus être contestée par les parents, que l’on va enseigner la morale civique dans toutes les classes, et l’histoire aussi, « toute l’histoire » — mais quelle morale, quelle histoire et qui les a massacrées ? Formidable aveu de l’échec d’une institution tenue en main par les syndicats, les pédagogues et les associations aujourd’hui désemparés devant le choc.

 

À ceux-là, on devrait recommander la lecture de ces lignes extraites du roman de Michel Houellebecq : « Pour eux [les musulmans], l’essentiel, c’est la démographie et l’éducation ; la sous-population qui dispose du meilleur taux de reproduction et qui parvient à transmettre ses valeurs triomphe. À leurs yeux, c’est aussi simple que ça. L’économie, la géopolitique même ne sont que de la poudre aux yeux : celui qui contrôle les enfants contrôle l’avenir. »

 

Avant la parution de ce roman, à la fin de l’année dernière, Roger Cukierman rencontrait une centaine d’élèves de classe de terminale d’une école juive. Il a bavardé avec eux. Que lui ont-ils dit ? Que lorsqu’ils auraient son âge, la France serait soumise à la charia. Et qu’alors, les uns auraient créé des milices d’autodéfense, tandis que les autres auraient quitté la France. C’est en disant les choses crûment que l’on peut se préserver du mal.