Tribune
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Publié le 26 Août 2010

Hommage à quelques compagnons africains de l'Ordre de la Libération

Paris a fêté le 25 août 2010 le 66ème anniversaire de sa libération. Troisième ville de France à avoir reçu la Croix de la Libération, la capitale dédie cette année cette journée aux Compagnons de l'Ordre de Libération. Une dizaine de tirailleurs et cinq civils africains, décédés aujourd'hui, ont été nommés Compagnons au cours de la Seconde Guerre mondiale.




C'est le 16 novembre 1940, à Brazzaville que le général de Gaulle crée l'Ordre de la Libération. Il s'agit de récompenser le dévouement de ceux et celles qui accompagneront le mouvement de la France Libre. Le général n'a pas de légitimité et ne peut décerner les décorations de la Légion d'honneur, rôle détenu par le gouvernement du Maréchal Pétain, à Vichy.



Le 29 janvier 1941, cinq Compagnons sont nommés. Ils forment le premier Conseil de l'Ordre. À l'issue de la Seconde Guerre mondiale, la liste comportera 1038 noms. Trois-quart des Compagnons sont militaires. Le décret de forclusion a été publié le 23 janvier 1946. Deux Britanniques ont été décorés après cette date : le Premier ministre Winston Churchill et le roi George V. Six femmes seulement font partie de l'Ordre. Cinq villes françaises (Nantes, Grenoble, Paris, l'Ile-de-Sein et Vassieux-en-Vercors) et 18 unités de l'armée ont été également récompensées.



Ils ne sont plus que 39 ce 25 août 2010. À son décès, le dernier Compagnon sera inhumé dans un caveau qui lui est réservé au Mont-Valérien, près de Paris.



Les militaires africains, Compagnons de la Libération :



Gargué (Ngargué ou N'Gargue) matricule 2366, a été décoré de la Croix de la Libération, par le général de Gaulle en mai 1941 au camp de Qastina, près de Gaza, en Palestine. Des doutes subsistent encore sur son origine africaine. D'après ses états de service, il pourrait être originaire du Tchad. Gargué est caporal dans la 9ème compagnie du bataillon de marche n°3 (BM3) de l'AEF. Il a servi sous les ordres du sergent Marcel Vincent. Son unité vient renforcer la Brigade française libre d'Orient en Erythrée. Il est blessé à Kub-Kub et évacué le 23 février 1941. Un mois plus tard, il combat dans le massif de l'Engiahat, près de Keren. Depuis juin 1941, Gargué n'a ni reparu, ni donné de nouvelles.



Dominique Kosseyo (1919-1994), originaire d'Oubangui-Chari, a été décoré par le général de Gaulle, le 14 juillet 1941. Tirailleur incorporé en mai 1938, il est passé à la France Libre le 29 août 1940. Au sein du bataillon de marche n°1 (BM1), il prend part aux combats contre les troupes de Vichy au Gabon. Il sera blessé à Lambaréné le 25 octobre. Sa carrière militaire le conduit à Djibouti en avril 1943 puis à Beyrouth en septembre de la même année. Il quitte le service actif deux ans plus tard et retourne dans sa ville natale de Bria, où il devient cultivateur comme son père.



Paul Koudoussaragne (1920-1973) est né en Oubangui-Chari, à Bombadia. Il est décoré de la Croix de la Libération par le général de Gaulle le 29 août 1942, à Beyrouth. Son bataillon passe à la France Libre le 28 août 1940, un peu plus de quatre mois après son engagement. Fin 1940, son unité, la 6e compagnie du bataillon de marche n°2 (BM2), est dirigée vers Pointe-Noire, d'où elle embarque pour Port-Soudan, en contournant l'Afrique du Sud. Elle n'arrivera qu'en avril 1941 en Erythrée. De là, la BM2 part pour Qastina (près de Gaza) en Palestine, et Paul Koudoussaragne se retrouve à combattre en Syrie en juin-juillet. Il participe à des opérations de maintien de l'ordre dans la région de l'Euphrate. Fin décembre, direction : l'Egypte. Son unité fait la jonction avec la brigade du général Kœnig. Lors du siège de Bir Hakeim, il se distingue par un acte de bravoure qui lui vaudra la Croix de la Libération. Le 8 juin 1942, Paul Koudoussaragne est chargé de ramener des munitions. Blessé par balle, il continue d'avancer sous le feu de l'ennemi et mène à bien sa mission. Il séjourne au Liban jusqu'en janvier de l'année suivante avant de partir à Madagascar. Il est de retour à Bangui en septembre. Son unité prend part à la campagne de France, en débarquant à Sète. Il sera à nouveau blessé. Libéré du service à la fin de 1945, il s'établit comme cultivateur-éleveur.



Idrisse Doursan (1914-1965) est né à Makayan (Tchad), près de la frontière camerounaise. Il a été décoré de la Croix de la Libération le 26 mai 1941 par le général de Gaulle à Qastina, en Palestine. Engagé volontaire, il mène campagne au sein de la 7e compagnie du régiment de tirailleurs sénégalais du Tchad (RTST) de décembre 1935 à janvier 1939, à l'issue de laquelle il est nommé caporal, puis sergent en 1940. Le 26 août, il rallie la France Libre au sein de la 10e compagnie du bataillon de marche n°3 (BM3). Ce bataillon, qui fait partie de la Brigade française libre d'Orient, va prêter main-forte aux Britanniques en Erythrée. Lors des combats de Kub-Kub, Idrisse Doursan se fait remarquer par sa bravoure et il est cité à l'ordre de la brigade. Il participe aux rudes combats de Keren du 15 au 28 mars 1941. Son unité rejoint Suez. Elle prend part aux campagnes de Syrie avant d'être envoyée défendre Bir Hakeim. Idrisse Doursan est fait brièvement prisonnier avant d'être libéré par les Britanniques. Le BM3 est alors envoyé au Tchad, via le Soudan anglo-égyptien. Idrisse Doursan rejoint son régiment d'origine, le RTST. En avril 1943, il est en Afrique du Nord avec sa nouvelle unité, le bataillon de marche n°15 (BM15). Il y restera jusqu'en 1948, date à laquelle il est admis à la retraite comme adjudant. Idrisse Doursan est intégré à la garde territoriale du Tchad. Basé à Abéché, il assure les fonctions d'officier de liaison au grade d'adjudant-chef.



André Kailao (1918-1965) est d'ethnie sara (sud-est du Tchad), originaire de Bodo. Il est décoré de la Croix de la Libération, avec Idrisse Doursan, le 26 mai1941. Il est à Fort-Archambault (actuelle Sahr, à la frontière avec la Centrafrique) lorsqu'il est incorporé en septembre 1939 au RTST. Son unité, le détachement de renfort n°2, qui devait rejoindre la France avec Jean Colonna d'Ornano, est bloquée à Brazzaville quand l'armistice est signée, le 22 juin 1940. André Kailao retourne avec son détachement au Tchad pour repartir ensuite en Oubangui Chari, où il rallie la France Libre, puis il revient au Tchad où il est affecté à la 17e compagnie du RTST. Il intègre ensuite la BM3 nouvellement créée, qui part renforcer la Brigade française libre d'Orient en Erythrée. André Kailao est blessé deux fois à Kub-Kub. Il participe aux opérations de Syrie, puis en Lybie, à partir de mai 1942. De retour au Tchad, il est réaffecté à son régiment d'origine. Il repart en novembre 1943 avec le BM15 en Afrique du Nord, puis il débarque dans Marseille libérée, en novembre 1944. Il combat avec son unité sur le front de l'Atlantique, à la Pointe de Grave et La Rochelle. André Kailao est de retour au Tchad en 1946. Il est libéré du service actif le 20 juillet et se retire à Bodo. André Kailao travaillera pendant deux ans comme chauffeur pour un autre Compagnon de la Libération, Marcel Vincent, devenu guide de chasse. Après la mort tragique de ce dernier, il est employé comme chauffeur au haut-commissariat de Fort-Lamy.



Némir (1904-1953) est décoré de la Croix de la Libération le 23 juin 1941. Comme ses jeunes compatriotes de l'Ordre de la Libération, Némir est originaire du Sud tchadien (Mango). Il s'engage en 1924 et est admis peu de temps après au peloton des élèves caporaux à Abéché. Après ses cours, une première affectation, et un nouveau contrat d'engagement, il débarque à Bordeaux en juin 1927. Son dossier militaire comportant des lacunes, le reste de sa carrière militaire est approximatif. Il est promu caporal et est envoyé à Castelsarrazin. Il se réengage en 1930 pour cinq ans et revient à Fort-Archambault en août 1931. Entre cette date et 1940, il connait 6 affectations et devient sergent-chef. Le 26 août 1940, date du ralliement du Tchad à la France Libre, Némir rejoint l'armée de la France Libre. Il intègre le BM3 en décembre. Campagne d'Erythrée avec une citation à Kub-Kub, puis à Keren. À son arrivée en Palestine, il est remis tirailleur de 2ème classe avant d'être décoré. Affecté au BM4, il part en opération en Syrie, puis son détachement séjourne à Burao au Somaliland où le 4 août 1941, il retrouve son grade de caporal. Il suit le BM4 en Ethiopie, au Liban, et en Lybie, où il stationne à Tobrouk du 15 janvier au 18 avril 1943. Le BM4 est intégré à la 1ère Division française libre. Némir est envoyé en Tunisie. Nommé sergent le 7 juin 1943, il est libéré du service actif en novembre. Il rentre à Fort-Lamy où il décède dix ans plus tard.



Article publié sur le site Internet de RFI, mercredi 25 août 2010



Photo (Au Mont-Valérien, près de Paris, en 2008. Les Compagnons de la Libération (de g. à dr): Pierre Louis-Dreyfus, Etienne Schlumberger, Daniel Cordier, Fred Moore, André Quélen (décédé en 2010) et Henri Beauge-Bérubé) : D.R.
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