Tribune
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Publié le 17 Février 2006

La presse en folie

Retour sur un documentaire vérité restituant l’intégralité de deux discours prononcés par un Imam d’Hambourg qui formait des terroristes du 11 septembre 2001. Retour sur la grande manifestation de Beyrouth du 14 février 2006 qui a rassemblé près d’un million de Libanais contre leur président. Retour sur un concours de caricatures antisémites et négationnistes, organisé par un quotidien iranien proche de Mahmoud Ahmadinejab, l’actuel président iranien. Retour sur les courageuses protestations du chef de la communauté juive iranienne contre les déclarations négationnistes d’Ahmadinejab.


Lorsque l’Imam de la mosquée Al-Quds de Hambourg formait des terroristes :
La presse allemande a unanimement salué l'incroyable film document, les Discours de Hambourg, restituant l'intégralité de deux discours tenus les 3 et 4 janvier 2000 par l'Imam Mohammed Fazazi à la mosquée Al-Quds de Hambourg. Mosquée fréquentée par trois des quatre pilotes ayant perpétré les attentats du 11 septembre 2001. Né à Wiesbaden d'un père iranien et d'une mère française, qui s'est remariée avec un Indien, Romuald Karmakar, 41 ans, disposant d'un passeport français mais vivant et travaillant à Berlin, compte parmi les cinéastes allemands les plus engagés. Il avait déjà défrayé la chronique avec son Projet Himmler, en 2001, où l'acteur Manfred Zapatka lisait le discours tenu par Heinrich Himmler, le 4 octobre 1943, devant 92 généraux SS. Pour Libération (14 février 2006) Romuald Karmakar explique sa démarche et revient sur « le discours de Hambourg ».
Mohammed Fazazi a quitté l'Allemagne en octobre 2001 sans être inquiété. « J'ai retrouvé un document de la chaîne Al-Jezira qui montre Fazazi intervenant en octobre 2000 dans un talk-show sur l'Intifada, où il a dit que l'on devait tuer tous les juifs. Or, à cette époque, il vivait en Allemagne. Cela pose la question de savoir comment les services secrets allemands ont traité cette affaire, et comment on a pris la mesure de ce radicalisme. Cela prouve en tout cas que l'Allemagne, mais aussi la France, ne peuvent pas se sentir à l'abri au prétexte qu'elles n'ont pas participé à la guerre en Irak. »
Les Libanais veulent chasser leur président :
Un an après la mort de l'ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, le 14 février 2005, des milliers de manifestants ont réclamé le 14 février 2006 la démission du président du Liban, Emile Lahoud, et affirmé leur soutien au gouvernement issu du «Printemps de Beyrouth».
Dans un retentissant éditorial, le quotidien libanais l’Orient le jour (15 février 2005), revient sur la portée strictement politique de cette journée. « Par-delà la variété des vocabulaires et des styles, c’est un même discours qu’ont tenu les orateurs pour remettre sur le tapis les thèmes essentiels qui préoccupent l’opinion. Et qu’il s’agisse du régime de Damas, de la présidence Lahoud ou de l’armement du Hezbollah et des camps palestiniens, les enchères sont montées de plusieurs crans. C’est que depuis l’assassinat de Rafic Hariri – lequel n’a réussi qu’à unifier les Libanais dans une même dénonciation de la malfaisante tutelle – la machine de mort ne s’est pas arrêtée de tourner, fauchant une nouvelle moisson de martyrs. C’est que les chefs de ce pays continuent de vivre sous la menace permanente, qu’ils sont le plus souvent contraints de chercher refuge à l’étranger ou de se barricader dans leurs résidences. C’est qu’il est insensé, loufoque de parler de compromis avec des tueurs récidivistes, des tueurs impénitents, comme s’y emploient épisodiquement les médiateurs arabes. « Alors, déclarer la guerre à un adversaire qui, déjà, s’échine à vous faire la guerre ? Œuvrer activement au renversement d’un régime qui, face à l’épouvante que suscite la montée des intégrismes, et en dépit de sa sulfureuse réputation internationale, parvient encore à se poser en moindre mal aux yeux des puissances ? Les Libanais n’en ont ni l’ambition ni les moyens » regrette L’Orient le jour. « Ce qu’ils peuvent faire en revanche, ce qu’ils semblent résolus à faire désormais, c’est dessaisir la Syrie du levier constitutionnel qu’elle détient encore dans notre pays. C’est-à-dire une présidence Lahoud qui, dès le départ, a funestement porté à son niveau de perfection le règne des Moukhabarate ; une présidence dont le maintien en place, imposé contre la volonté des citoyens et des forces politiques (même les prosyriennes !), a plongé le Liban dans la tragédie ; une présidence qui, depuis longtemps, devrait avoir pris la mesure de son effroyable isolement populaire et international, de sa peu digne marginalisation pour en tirer, elle-même, les conséquences. »
« Faites-vous de l’humour, en Occident, sur l’Holocauste? »
Depuis Téhéran, Farid Mortazavi du quotidien iranien Hamshahri, propriété de la Municipalité de Téhéran, et dont l’ex-propriétaire n’est autre que Mahmoud Ahmadinejab, l’actuel président iranien, a lancé officiellement un concours international de caricatures sur la Shoah. « Où est la limite de la liberté d’expression en Occident », tel est l’intitulé du concours International lancé par le quotidien. La tribune de Genève fait paraître (le 14 février 2006), une interview de Farid Mortavazi, qui répond sans détour aux questions de la Tribune. Le très sérieux quotidien helvétique prévient néanmoins ses lecteurs : « Parce qu’il heurte, bien sûr. Mais aussi parce qu’il interpelle. A lire avec distance. Forcément. »
Extraits :
M. Mortazavi, pourquoi ce concours ?
Réponse : Ceux qui voient une occasion bête et gratuite de répondre à l'offense des caricatures danoises se trompent. Plus d'un milliard de musulmans à travers le monde ont été profondément blessés par ces dessins. Les Occidentaux ont touché à notre plus haut saint. En tant que caricaturiste, je suis on ne peut mieux placé pour parler technique. Le but d'une caricature est d'émettre des critiques sérieuses à travers l'humour d'un dessin. Malheureusement, celles publiées au Danemark n'étaient que pure moquerie gratuite contre notre religion, sans critique fondée. Ils ont souhaité marquer leur opposition à l'islam. Mais je n'en veux pas au caricaturiste danois en question. Non, quand je dis «ils», je désigne ceux qui ont influencé ces caricaturistes. Ce concours est une réponse à ces gens-là.

Mais pourquoi donc s'attaquer à l'Holocauste?
Réponse : L'Holocauste est un sujet tabou en Europe. Mais pourquoi y aurait-il une ligne à ne pas franchir pour l'Holocauste, et pas pour notre prophète? Ces personnes ont voulu jouer avec les saints des populations musulmanes, nous allons jouer avec les saints des gouvernements occidentaux. Nous voulons simplement savoir s'il y a des frontières à cette liberté de la presse, et le cas échéant où elles se situent. Le directeur de notre quotidien, Mohammad-Reza Zaeri, a payé le prix de cette liberté il y a quelques années: il a été envoyé en prison.
Mais comment ne pas penser que vous n'allez publier que des dessins dénigrants ou négationnistes, alors même que votre président, en décembre, qualifiait l'Holocauste de «mythe»? D'ailleurs, n'avez-vous pas affirmé que votre concours est une «réponse» aux caricatures danoises?
Réponse : Ici, on a placé l'Holocauste au centre des débats sans préjugés. C'est à chacun d'entre vous de donner son avis, mais avec un regard objectif. A travers l'humour, mais sans se moquer. J'invite aujourd'hui tous les dessinateurs du monde entier à participer. Mais attention, je n'ai aucun problème avec les juifs et leur religion, ce que veut faire croire la presse européenne. Souvenez-vous, avant la création d'Israël, la plus grande communauté juive du Moyen-Orient se trouvait en Iran.
N'allez-vous pas attiser encore plus de haine?
Réponse : Au contraire! Cette compétition va pacifier la crise. Les musulmans ont maintenant leur réponse et je pense que ça leur suffit. Nous désirons leur faire comprendre que la plume est plus efficace que l'épée, et donc que les Européens y seront plus sensibles. C'est vraiment une action pleine de sagesse. C'est pourquoi l'Occident, au lieu de nous condamner, doit nous soutenir, le débat aura maintenant lieu sur feuille de papier. J'espère que les Européens comprendront. Maintenant, leur réaction leur appartient. »
Le chef de la communauté juive d'Iran critique les propos négationnistes du président Mahmoud Ahmadinejad, qui a qualifié la Shoah de « mythe » :
Dans une lettre publiée sur des sites Internet, le chef de la communauté juive d’Iran dénonce les déclarations d’Ahmadinejad « Comment peut-on fermer les yeux sur toutes les preuves irréfutables de l'expulsion et du massacre des juifs en Europe et pendant la deuxième guerre mondiale ? », a dit le chef de la communauté juive, Haroun Yashayaï, dans cette lettre adressée à M. Ahmadinejad le 26 janvier.
« La mise en doute d'un des évènements les plus évidents et dévastateurs du 20ème siècle a choqué le monde et effrayé la petite communauté juive d'Iran », a poursuivi avec courage M. Yashayaï.
L'Iran a proposé d'organiser une conférence sur l'existence de l'holocauste et d'envoyer des « enquêteurs indépendants » sur les sites des anciens camps de concentration en Europe. M. Yashayaï a prévenu que la tenue d'une telle manifestation pour « nier l'holocauste ne profiterait ni aux musulmans ni aux Palestiniens et soutiendrait les (...) racistes ». (Iranmanif.org, 13 février 2006)
La communauté juive d'Iran, forte de quelque 80.000 membres à une époque, s'est réduite à quelque 25.000 après la révolution islamique de 1979. La plupart sont partis s'installer en Israël et aux Etats-Unis.
Marc Knobel
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