Tribune
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Publié le 24 Juillet 2009

Pour l’honneur de la communauté juive de France

Les jours que nous venons de vivre ont jeté une ombre bien triste sur la communauté juive de France, sur la place qui est la sienne, sur le rôle qu’elle peut entendre jouer, sur sa relation avec l’ensemble de la communauté nationale. Et c’est moins la colère qui m’amène à prendre la plume, que la volonté de dissiper un malentendu, ou, plus simplement encore, la nécessité de mettre les choses au point.




Ne nous attardons pas sur les faits, qui sont bien connus. En février 2006, survient un événement dans l’histoire de notre conscience nationale- une torture patiente, pratiquée sur un pauvre jeune homme pendant plusieurs semaines, et où les raffinements les plus abjects du sadisme rejoignent les réflexes les plus immémoriaux de l’antisémitisme. Pour que cela fût possible, il a fallu une très longue chaîne de complaisance, de silence, et de complicité.
Trois ans plus tard, se tient le procès, qui devrait être le moment de la vérité, et qui n’est, par la force des choses, que celui de la dissimulation : deux des prévenus étant mineurs au moment des faits, le procès se tient à huis clos.



Pour le dire en des termes clairs, ce huis clos a heurté les Juifs de France, et non pas seulement la modération des peines prononcées. D’abord parce que, ne connaissant par définition pas les dossiers, il aurait été peu opportun de critiquer, la chose jugée. Et aussi parce que certaines peines ont heureusement été très lourdes.



Non, nous n’entendons pas dicter son devoir à la justice. Mais, offensés en tant que Juifs de France par le plus insoutenable des crimes antisémites commis dans notre pays depuis la seconde guerre mondiale, nous avions le droit et le devoir d’espérer que l’occasion d’un procès public se retrouve. Au nom d’Ilan et de sa mémoire, pour sa famille à laquelle nous avons tous le sentiment d’appartenir, nous devons attendre, non pas vraiment un exemple et moins encore un symbole- mais un moment ouvert à tous, et où la société française se regardera elle-même en face, pour tâcher de comprendre comment elle a pu concevoir et élever en son sein des monstres aussi achevés et tranquilles.



Mais le plus pernicieux est ailleurs encore. Le Garde des Sceaux ayant finalement demandé au Parquet de faire appel des peines inférieures aux réquisitions, le bruit s’est répandu, d’abord subrepticement, puis de façon parfaitement assumée, et les faiseurs d’opinion se le sont approprié, pour le faire répéter par mille sentinelles : nous aurions assisté, avec cette affaire, à la victoire d’une force d’influence secrète et déterminée, capable, par la solidité de ses réseaux et la fermeté de ses obstinations, de faire plier jusqu’au gouvernement de la République. Oui, vous avez compris : l’affaire Halimi, c’est le retour, ou plutôt l’émergence aux yeux de tous, dans notre pays, du lobby juif.



Et cela, nous ne pouvons ni l’entendre, ni le supporter, ni l’accepter. C’est l’attaque de trop. Après la haine qui a tué dans une cave, la justice qui fut rendue en secret, voici l’ère du soupçon, qui elle s’ouvre au grand jour.



Nous ne pouvons pas l’accepter, parce que le Garde des sceaux a décidé en conscience, au nom de l’intérêt général dont elle est garante, de faire appel, et que laisser entendre qu’elle ait cédé à des pressions d’ordre communautaire est simplement une agression contre l’idée que l’on peut se faire de la République et de sa dignité.



Mais nous ne pouvons pas l’accepter, surtout, pour une raison très précise, que je vous livre brutalement : il n’y a pas de lobby juif en France. Que les choses soient claires, une fois pour toutes : où les Juifs auraient-ils trouvé les ressources de leur empire souterrain ? D’où pourrait venir leur puissance secrète? De leur nombre ? Ils sont 1% de la population française. De leur argent ? Ne pourrait-on pas tordre enfin le cou de ce mythe effroyable, qui a précisément tué Ilan- et rappeler que le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté est, en moyenne, supérieur chez les Juifs de France à ce qu’il est dans l’ensemble de la population française ? De leur place dans les médias ? Certains médias qui, précisément, répètent à tout bout de champ que les Juifs sont un lobby…



Les Juifs n’ont pas l’influence qu’on leur prête à dessein. Sinon peut-être en ceci, que, pour une République qui n’a pas oublié son histoire, leur destin est à lui seul un avertissement. Plus que quiconque, ils ont souffert de l’injustice, de la haine, de l’arbitraire, et de l’odieuse alliance de l’indifférence et de la malveillance. Ils sont, pour reprendre l’expression d’Albert Cohen, des professeurs de malheur, et à ce titre une avant-garde : ce qui leur arrive annonce les abîmes où peut s’engloutir ce que l’on nomme notre civilisation. Alors, aux souffrances des leurs, la France peut prêter peut-être une attention singulière. Leur « intérêt » ? C’est celui de la République, leur dignité et leur intégrité engagent celles de tous. C’est cela, leur force, et rien d’autre : s’il arrive que leur cause soit entendue, c’est peut-être après tout, non pas parce qu’elle est défendue par des puissances occultes, mais simplement parce qu’elle est juste.



Si une mémoire blessée tient lieu de lobby, nous pouvons assumer cette accusation. Mais pas davantage. Pour l’honneur de la communauté juive de France.



Pierre Besnainou, président du Fond Social Juif Unifié, ancien Président du Congrès Juif Européen
(article publié dans le Figaro du 24 juillet 2009)
Photo (Pierre Besnainou) : D.R.