Tribune
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Publié le 4 Novembre 2003

Pourquoi les propos de M Tariq Ramadan sont antisémites

On a beaucoup glosé sur les propos de M Ramadan. Ses défenseurs disent : « Il n'est pas antisémite. Tout au plus un peu « communautariste » ». Ses détracteurs : «Il est antisémite car il fait des listes de personnes juives », ou « parce qu'il affirme qu'une certaine opinion est liée à l'appartenance de ceux qui la soutienne au judaïsme »




Ces deux arguments, pour évidents qu'ils soient, ne sont pas entièrement satisfaisants : dire qu'une personne est juive n'est pas en soi antisémite, ni même affirmer que c'est parce qu'elle est juive qu'elle pense ce qu’elle pense. C'est dans la brèche de la recherche du « lieu d'où l’on parle » que cherche à se glisser M Ramadan et ceux qui le soutiennent. Ne sommes-nous pas tous prisonniers dans nos choix politiques de notre histoire personnelle et de notre place dans la société ? Ce n'est pas un sociologue qui niera la nécessité de s'informer de la situation du « locuteur » pour analyser son discours. Ainsi, il est indéniable que le fait que je me considère comme juive et que mon grand-père paternel a participé à l'édification de Tel-Aviv n'est pas sans rapport avec mon lien privilégié à Israël. Mais peut-on me réduire à cette seule dimension, en particulier quand il s’agit de ma perception de la judéophobie ?


Je suis aussi un être humain de sexe féminin, mariée et mère de famille. J’ai une formation de sociologue et d’historienne démographe. J'ai absorbé l'héritage culturel d'une mère dont les ancêtres habitent l’actuel territoire français depuis au moins le 17e siècle, ces Français israélites qui n’ont pas voulu défendre Dreyfus. Mais j'ai aussi dans mes bagages l'histoire de ma grand-mère, militante révolutionnaire dans la Russie des Tsars, qui a, malgré son désir d’émancipation sur place, échappé aux pogromes en immigrant en Palestine. Mes parents m’ont aussi transmis la mémoire de la Shoah et de la Résistance dans laquelle ils étaient engagés. Mais surtout, née et élevée en France, je suis un pur produit de l'école publique, laïque et républicaine et j’ai reçu une éducation teintée d’athéisme et d’anarchisme. C'est ce mélange complexe qui fait de moi ce que je suis et ce que je pense. M. Ramadan n'est lui-même pas un pur esprit. C'est un homme, musulman, d'origine égyptienne, descendant du fondateur des frères musulmans, vivant en Suisse, enseignant etc. Ses choix, comme les miens, sont guidés par son histoire.


Or, dans les identités plurielles des locuteurs que M. Ramadan désigne à la vindicte populaire, il ne retient comme élément pertinent pour analyser l'ensemble de leurs positions - que ce soit sur la dénonciation de la judéophobie, sur la guerre en Irak ou sur le Pakistan - que la seule dimension de leur judaïsme et de leur sionisme réel ou supposé.


On pourrait à la rigueur lui pardonner ce qui ne serait qu’une sociologie de comptoir, n’était-ce qu’à partir de là, il veut disqualifier purement et simplement le discours des personnes en question et rejeter leur opinion hors du débat public : les « sionistes » ne parlent qu'en raison de leur judaïsme, ils ne s'intéressent pas au bien public mais à celui d’un pays étranger, ce sont de mauvais citoyens qui devraient donc être interdits de débat. De la discrimination, il passe à l’«excommunication».


Cherchant à se disculper dans son article du Monde du 28 octobre, monsieur Ramadan s'enferre un peu plus. Les Juifs, nous dit- il, ne sont de bons juifs, ou de bons citoyens, que quand ils sont antisionistes. Et, ajoute-t-il, la dimension communautariste, seule susceptible d'expliquer la position des pro-israéliens et leur discours sur la judéophobie, n'est, par contre, plus pertinente pour analyser celle des musulmans : pour eux, la seule catégorie pertinente d’analyse est leur statut social et c’est la discrimination qui les contraint à se communautariser.


Cela ne l’empêche pas de prétendre qu’il savait que P-A Taguieff n'est pas juif, sans réaliser que cette simple affirmation suffit à mettre à mal sa belle démonstration. En effet, s'il ne parle plus en tant que juif comment peut-il être « communautariste » puisque c’est là le fond de son argumentation ? Et dans ce cas, d'où parle-t-il ? On ne le saura pas. La sociologie du discours sur la judéophobie de Monsieur Ramadan est soudain en panne. Comment dès lors ne pas qualifier ses propos d’antisémites?

Anne Lifshitz-Krams

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