Tribune
|
Publié le 2 Décembre 2013

Alain Soral, tout ça pour ça

Par Aude Lancelin - Marianne

Le phénomène Soral, ce n'était donc que ça : la réapparition désinhibée de l'antisémitisme.

On avait cessé de suivre les exploits d'Alain Soral peu après son entrée au bureau politique du FN, en 2007, terminus logique d'un parcours qu'il présentait encore comiquement comme celui d'un «intellectuel marxiste» dans le référé d'un procès qu'il nous avait intenté peu avant - et qu'il avait perdu.

L'histrion mégalomane s'est peu à peu réimposé dans le paysage, via le Net, avec le site Egalité et réconciliation notamment, et ses célèbres podcasts le montrant sur un canapé rouge dans sa piaule en train de vitupérer l'humanité entière.

Et le voici aujourd'hui numéro un des ventes d'essais sur Amazon, aux côtés de son contradicteur Eric Naulleau, pour un Dialogues désaccordés (éd. Blanche), subtilement sous-titré, comme au bon temps des colonies : Combat de Blancs dans un tunnel.

Le très sérieux Monde diplomatique, insoupçonnable sur le plan du tropisme «apéro saucisson-pinard», ayant récemment consacré une longue enquête avec appel en une à discuter du «phénomène Soral», on était tout de même en droit de s'attendre à trouver dans ce livre une pensée consistante, fût-elle critiquable, une vision hétérodoxe, fût-elle douteuse. Le positionnement même de Soral - «gauche du travail et droite des valeurs» - le laissait, du reste, espérer, sans parler de son intérêt justifié quoique pas loin d'être obsessionnel pour le philosophe Jean-Claude Michéa, partisan d'un dépassement conservateur du capitalisme.

Mais non, rien de tout cela dans ce livre de dialogues où le pauvre Naulleau, dans une version contemporaine horrifique de la Vénus à la fourrure, est contraint de jouer masochistement le rôle du «petit goy né dans les années 60», instruit et fouetté par le génial Soral, continuateur de Jésus, Shakespeare et Marx, autant d'autres génies antisémites à ses dires.

La seule chose qui intéresse Soral ? Les juifs. La clé du monde pour Soral ? Les juifs. Le phénomène Soral, ce n'était donc que ça : la réapparition désinhibée des ficelles les plus grossières de l'antisémitisme. Salman Rushdie ? «Un suceur de sionistes.» Anne Sinclair ? «Mme Rosenberg.» L'origine de la diabolisation du FN ? «Un parti que les juifs n'aiment pas.» Le négationniste Faurisson ? Un «professeur injustement persécuté pour ses travaux iconoclastes». Le traitement réservé aux négationnistes en France ? «Le grand scandale intellectuel, moral et politique de notre temps.» Les crimes de Mohamed Merah ? Un probable montage, d'ailleurs «on n'a pas vu les corps, seulement les cercueils».

Alors que le climat idéologique ne cesse de se décomposer en France à une vitesse accélérée, l'heure de la revanche aurait-elle aussi sonnée pour les rescapés de La Vieille Taupe, les obnubilés de la «bourgeoisie judéo-maçonnique», les monomaniaques de l'antijudaïsme national-bolchevique ?

«L'idéologie dominante, c'est Auschwitz. Tout part de là et tout y ramène», écrit Soral, chez qui l'antisémitisme a achevé de dévorer toute l'intelligence. On n'imaginait pas, sept ans à peine après la mort de l'historien Pierre Vidal-Naquet, auteur des Assassins de la mémoire (Maspero), avoir à écrire que tout reste à refaire.

Maintenance

Le site du Crif est actuellement en maintenance