Tribune
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Publié le 18 Octobre 2012

Alexandre Adler: «L’islamisme, un courant qui s’essoufflera»

Les réfugiés du Moyen-Orient, la « rue » et les révolutions islamiques, la crise syrienne, le terrorisme... : la géopolitique semble être bouleversée par de nouveaux enjeux d'ordre religieux. Dans ce contexte, Alexandre Adler, historien et journaliste, spécialiste des relations internationales, et Vladimir Fédorovski, ancien diplomate russe, publient « L'islamisme va-t-il gagner ? », aux Éditions du Rocher. Entretien avec Alexandre Adler sur les influences de l’islamisme dans le monde.

L’actualité en France et dans le monde n’en finit pas de soulever cette question : la démocratisation du Moyen-Orient est-elle possible ? Hamas palestinien, tensions en Égypte et en Libye, un Iran en train de se doter de l'arme nucléaire ; et peut-être aussi, demain, une nouvelle coalition islamique, allant du Pakistan au Maghreb en passant par la Turquie. Alexandre Adler et Vladimir Fédorovski ont enquêté auprès de tous les protagonistes, modérés ou extrémistes, et exposent leurs analyses dans un livre entretien : L'islamisme va-t-il gagner ? (Éditions du Rocher). Spécialiste des questions de géopolitique internationale contemporaine, Alexandre Adler répond aux questions de JOL Press et revient sur la situation de l’islamisme dans le monde, ses valeurs, ses divisions et son influence. Un courant qui est, pour lui, trop divisé pour vraiment perdurer.

 

D’où vous est venue l’idée d’écrire ce livre ?

 

Alexandre Adler : Nous avions écrit un premier volume avec Vladimir Fédorovski Le Roman du siècle rouge (Éditions du Rocher), qui retraçait les années de l’ère soviétique qui ont engendré l'une des plus grandes ruptures de l'Histoire. Nous nous sommes alors rendu compte que nous avions beaucoup à dire sur le Moyen-Orient et tous ses acteurs, avec comme clé d’investigation la politique soviétique dans cette région. Les conséquences du départ des Russes d’Afghanistan, par exemple, a entraîné l’anarchie et la montée d’un islamisme armé dans le pays.

 

Nous sommes donc passés du siècle rouge au siècle vert ?

 

Alexandre Adler : L’islamisme est une question cruciale de l’actualité.  C’est un courant politique défini qui a pour origine la chute de l’Empire ottoman en 1923. Il a pour épicentre l’Égypte et pour objectif la refonte d’un empire musulman. Mais l’islamisme est vraiment né avec l’arrivée des Frères musulmans en 1928, mouvement initié par Hassan el-Banna qui souhaite une renaissance islamique contre l’influence occidentale. L’islamisme est aujourd’hui représenté dans de nombreuses régions du monde.

 

Constitue-t-il un groupe homogène ?

 

Alexandre Adler : Non, l’islamisme regroupe un grand nombre de mouvements bien distincts réunis malgré tout par des valeurs communes. Tout d’abord, ils partent tous du même constat : le monde musulman a perdu de sa puissance, il a abandonné la charia, il doit donc reprendre en main la société. L’islamisme veut être considéré comme une organisation politique incompatible avec la démocratie - « On ne vote pas pour ou contre Dieu » - qui  combat avec fermeté les agressions permanentes de l’Occident qui l’attaque dans ses valeurs. S’il n’a jamais été aussi fort, l’islamisme demeure un courant minoritaire dans le monde musulman, un courant qui s’essoufflera comme les grandes idéologies du XXe siècle.

 

Comment peut-on être sûr que l’islamisme s’essoufflera ?

 

Alexandre Adler : Comme le fascisme, le nazisme ou le communisme, l’islamisme est plein de contradictions. Son sort est intimement lié à la mise en place de la démocratie. Qu’ils le veuillent ou non, ils doivent composer avec les idées libérales. Le printemps arabe a réveillé une jeunesse ardente et courageuse qui s’est levée contre la répression. L’islamisme n’éteindra pas cette flamme.

 

Les islamistes doivent aussi tenir compte d’une séparation entre sunnites et chiites qui les divise en profondeur. Les Iraniens et les Frères musulmans, par exemple, se haïssent tellement qu’aucune alliance n’est envisageable. Enfin, leur dernière faiblesse tient aussi à leur division sur leur rapport avec les États-Unis. Un peu comme du temps des Soviétiques, ils ne parviennent pas à se mettre d’accord. Les pays pétroliers, l’Arabie saoudite en particulier, entretiennent une relation ambiguë avec les Américains.

 

Le premier objectif des islamistes d’Arabie saoudite est  la lutte armée en vue de balayer le régime syrien, de refouler les chiites irakiens et de créer ainsi progressivement les conditions d’un conflit avec Israël.

 

L’Égypte et les Frères musulmans sont les plus obtus sur ces questions ?

 

Alexandre Adler : L’Égypte est le nid de l’islamisme. Sa population en majorité paysanne, à 88% analphabète, n’a cessé de prôner des valeurs conservatrices, contre la modernité. C’est un terreau fertile pour les Frères musulmans qui en profitent pour travailler la société en profondeur.

 

Sont-ils pour autant prêts à des actions terroristes ?

 

Alexandre Adler : Les Égyptiens ont par le passé eu recours au terrorisme ou à la terreur individuelle sous Nasser. Cependant, les Frères musulmans ont plus ou moins écarté les terroristes du pays. Ils veulent conquérir pacifiquement le pouvoir, mais ne rejettent pas la violence pour autant.

 

Faut-il craindre l’islamisme en France ?

 

Alexandre Adler : Des réseaux islamistes se sont développés en France depuis la guerre d’Algérie. Ces réseaux recrutent, comme l’actualité nous l’a montré, dans les prisons, mais aussi auprès d’une population défavorisée et issue de l’immigration. Ces réseaux sont dangereux d’autant qu’ils peuvent avoir le soutien de réseaux étrangers. Nous l’avons vu avec l'affaire Merah, la communauté juive, si elle n’est pas la seule cible des islamistes, est principalement visée.

 

Alexandre Adler est, entre autres, éditorialiste au Figaro et à Europe 1. Il est spécialiste des questions de géopolitique internationale contemporaine.

Vladimir Fédorovski est porte-parole du Mouvement des réformes démocratiques en Russielors des grands bouleversements à l'Est et auteur de plusieurs best-sellers internationaux. Il est aujourd'hui l'écrivain d'origine russe le plus édité en France.