Tribune
|
Publié le 30 Juillet 2014

Antisémitisme, lâchetés et silences

Par David Gakunzi, publié dans la Règle du Jeu le 28 juillet 2014

La haine – cette haine-là – couvait depuis longtemps. Ne restait plus qu’un prétexte pour qu’elle se déchaîne sans fards ni masques. Slogans abjects proférés au grand jour, synagogues visées, commerces brûlés… Élan solidaire vers ceux de Gaza ? Furieuse et totale haine anti-juive plutôt.

Tenez par exemple Sarcelles. Vue  en direct, cette haine mobile, le goût de la destruction totale dans le geste et les voix vociférant des cris glaçant. Et l’épicerie Naouri… De quel crime était donc imputable ce supermarché? Il était casher, il était juif. Désigné et brûlé.

Se pose dès lors cette inquiétante interrogation : jusqu’où ira cette traînée de haine ? Car des ricanements collectifs en salle close, avec les Dieudonné, des nuages de sottise et de haine libérées, déversées du haut de fiévreuses estrades politiques entremêlant des voix rouges, brunes et vertes, la voilà désormais en meute décomplexée, lancée dans les rues.  Sa justification morale, doctrinaire, éthique ? L’antisionisme ;  l’antisionisme, ce discours clamé publiquement avec fierté et fondé sur un crédo démentiel : il y aurait au Moyen-Orient un peuple conquérant, agresseur, surpuissant, malfaisant venu d’ailleurs et un pauvre petit et malheureux peuple sans défense, propriétaire historique des lieux, dépossédé de sa terre. Homélie anticoloniale déplacée, bricolée et parée d’un grotesque effrayant visant à légitimer cette haine enragée, partagée, disséminée, l’antisémitisme. Martin Luther King : « Antisioniste signifie de manière inhérente antisémite, et il en sera toujours ainsi. L’époque a rendu impopulaire, à l’Ouest, de proclamer ouvertement sa haine des Juifs. (…) L’antisémite doit à chaque fois inventer de nouvelles formes et de nouveaux forums pour son poison. Combien il doit se réjouir de la nouvelle mascarade: il ne hait pas les Juifs, il est seulement antisioniste. »

Ainsi au nom de l’antisionisme, tous les Juifs rejetés en masse dans l’indignité de l’occupant et désignés comme cibles légitimes. Et en attelage hétéroclite, extrême-gauche, extrême-droite, djihadistes, en alliage cimenté, soudé, enchaîné par la même haine passionnelle, viscérale envers les Juifs,  on hurle, on crie, on martèle la gueule amplement ouverte comme une haine goinfre qu’on ne saurait plus refermer : « A bas les sionistes ! », « Juifs hors de France ! », « A bas Israël ! », « A mort Israël ! ».  Transfert exalté, enragé de tous les stéréotypes anti-juifs sur Israël ; Israël chargé de tous les maux de la région; vision proclamée d’un Proche-Orient idéal sans Israël ; Israël qu’il faudrait extraire du Proche-Orient comme on extrait un corps étranger, comme on extrait un corps en trop, comme on extrait un corps cancérigène. Israël proclamé cancer du Proche-Orient.

Et qu’une énième crise éclate dans la région et on dégaine haut-parleurs, drapeaux et dans un même mouvement d’ensemble les mêmes sempiternels slogans : « A bas Israël ! », « Israël assassin ! » On exhibe – la ronde dansante – les images de la guerre non pas pour pleurer les morts, non pas pour pleurer la peine, la désolation, les ruines, la souffrance, non pas pour invoquer le cœur traversé par la douleur toutes les vies perdues et le monde qui tremble et la vie qui s’arrête, non pas pour implorer un autre horizon, un autre destin pour les Palestiniens, non pas pour affirmer qu’il y aurait une autre voie, un autre chemin  que celle de l’escalade, du chaos recherché, provoqué par les dirigeants du Hamas bien à l’abri dans de luxueux hôtels quelque part dans le golfe, mais pour accuser, accuser jouissifs, accuser jubilant, accuser Israël de tous les crimes possibles et imaginables comme on accusait autrefois les Juifs de crimes rituels. Des roquettes peuvent pleuvoir sur Israël jour et nuit, cela est sans importance. Cela ne compte pas. Puisque de toutes les façons Israël est déjà jugé et condamné!

Et délibérément pour  embobiner, mobiliser, embrigader les âmes qui ne veulent pas voir le sang, on entretient à dessein la confusion entre le peuple palestinien et le Hamas. On oublie de nommer la violence totalitaire de ce mouvement, on évite de dévoiler son effroyable programme : l’élimination d’Israël élevée à la hauteur d’une obligation religieuse. Car en vérité, qu’on ne s’y trompe pas, pour nos antisionistes, il ne s’agit point de défendre le droit des Palestiniens à vivre dans un État indépendant ; il s’agit de rejeter hors monde Israël. Le nazisme voulait éliminer tous les Juifs, l’antisionisme aspire à l’effacement d’Israël de la carte du monde. La chimère obsessionnelle d’un monde sans Israël, plus clairement dit d’un monde sans Juifs, est hélas ontologiquement consubstantielle à l’antisionisme ; oui, l’antisionisme est fondamentalement, intrinsèquement un appel à l’effacement, un appel au meurtre… Lire la suite.