Tribune
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Publié le 22 Mars 2012

Catherine Ashton : la femme qui rit dans les cimetières

Par François Miclo

 

Quand l’Europe n’a rien à dire, elle envoie Catherine Ashton le dire à sa place. C’est son job. On la paie pour ça – et même très bien : elle occupe l’emploi politique le mieux rémunéré au monde. Ne chipotons pas sur les 360 000 euros annuels qu’elle perçoit. C’est peut-être plus que les indemnités d’un Nicolas Sarkozy, d’une Angela Merkel ou d’un Barack Obama, mais elle le vaut bien : la baronne travailliste a été nommée, en 2009, Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, autrement dit chef de la diplomatie européenne.

 

Catherine Ashton se retrouve donc depuis quatre ans être cheftaine d’un truc qui n’existe pas. Autant le reconnaître : elle y excelle. Sa capacité instinctive à viser à côté de la plaque force le respect. Son zèle à être absente de tous les grands dossiers géostratégiques relève de la prouesse. Quant aux questions de sécurité et de défense, son incompétence est unanimement saluée.

 

Ne noircissons toutefois pas le tableau : Catherine Ashton représente, à elle seule, une grande victoire du féminisme. Elle réalise la prophétie que Françoise Giroud formulait il y a trente ans dans Le Monde : “La femme sera vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignera une femme incompétente1.” Catherine Ashton est comme un aboutissement.

 

Cependant, le grand malheur n’est pas que la Haute représentante soit incompétente, mais dotée de la parole. C’est que Madame parle, cause, bavarde. Elle s’exprime. Jamais à bon escient. La boucler est pourtant le b.a.-ba du métier de diplomate : « Un diplomate est une personne qui réfléchit deux fois avant de ne rien dire, cancanait le sénateur américain Frederick Sawyer dans les années 1880. Bref, Catherine Ashton ne maîtrise pas ce que les Grecs avaient quasi-divinisé : le kaïros, le moment opportun ».

 

Elle vient de nous en apporter une nouvelle fois la preuve. Lundi, elle a rendu un bien curieux hommage aux victimes de l’école Ozar Hatorah : “Quand nous pensons à ce qui s’est passé aujourd’hui à Toulouse, quand nous nous souvenons de ce qui s’est passé en Norvège il y a un an, quand nous savons ce qui se passe en Syrie, quand nous voyons ce qui se passe à Gaza et dans différentes parties du monde, nous pensons aux jeunes et aux enfants qui perdent leur vie…” Elle poursuit par un hommage aux victimes du terrible accident de car en Suisse ainsi qu’aux jeunes Palestiniens qui “contre toute attente, continuent à apprendre, à travailler, à rêver et aspirent à un meilleur avenir”.

 

Les autorités israéliennes ont aussitôt réagi – qu’est-ce qu’ils sont susceptibles, ces gens-là ! La Haute représentante en a pris acte. Elle a fait modifier, sur son site, son texte, rajoutant Sderot à Gaza, tout en dépêchant son porte-parole pour dire que jamais elle n’avait osé établir le moindre parallèle entre “les circonstances de l’attaque de Toulouse et la situation à Gaza”. La baronne Ashton essaie de se raccrocher aux branches comme elle peut. Mais elle a parlé. Et son propos fut odieux.

 

Odieux, parce qu’il est des moments où la simple humanité consiste à respecter la douleur des familles et le deuil d’un pays. Et respecter cette douleur et ce deuil, c’est d’abord en accepter la singularité : les trois enfants et le professeur morts à Toulouse n’ont pas été tués par accident. Le “tueur au scooter” les a abattus délibérément, ni par hasard ni parce qu’ils se trouvaient à portée de tir, mais parce qu’ils étaient juifs. On appelle ça de l’antisémitisme. Quelqu’un peut-il informer Mme Ashton qu’ils ne sont pas morts d’un gros rhume ?

 

C’est une manifestation abjecte d’antisémitisme qui s’est produite à Toulouse. L’une des plus hautes responsables européennes s’en moque comme de sa première voiture de fonction, jusqu’à en diluer le caractère spécifique parmi une série d’événements tout aussi tragiques, mais d’une autre nature. L’antisémitisme n’est plus, selon Mme Ashton, qu’une libre variation de la mortalité humaine. Elle invente une catégorie : “les jeunes et les enfants qui perdent la vie” pour dissimuler l’antisémitisme opérant à Toulouse et, au final, le banaliser. Ses contempteurs reprochaient indûment à Raymond Poincaré de rire dans les cimetières, Catherine Ashton, elle, s’y fend la poire.

 

Mais pourquoi la Haute représentante établit-elle un parallèle entre Gaza et Toulouse ? Quelles sont les arrière-pensées de Mme Ashton – terme impropre au demeurant, puisqu’il suggère l’impossible : qu’elle ait seulement une pensée… Où veut-elle en venir en établissant des parallèles fâcheux ? Veut-elle insinuer que les élèves assassinés à Toulouse n’ont eu, après tout, que ce qu’ils méritaient ? Parce qu’Israël. Parce que Gaza.

 

Est-ce désormais une précaution oratoire d’évoquer la situation palestinienne chaque fois qu’un acte antisémite se produit ? Pour faire bonne mesure. Pour rétablir l’équité. Pour que les juifs ne soient plus les seuls à être, selon l’expression d’Alain Finkielkraut, les “rois du malheur”.

 

Mais faut-il aller, lorsqu’on parle d’enfants juifs morts parce qu’ils étaient juifs, à faire la laudatio de la jeunesse palestinienne. Il y a quelque chose d’incongru et de scandaleux même dans les propos de Catherine Ashton.

 

Faut-il réclamer, pour autant, la démission de la chef de la diplomatie européenne ? Et pourquoi pas lancer une pétition, pendant qu’on y est ! On a confié la politique étrangère de l’Union, c’est-à-dire d’une puissance qui aurait, si elle en avait la volonté, son rôle à jouer au Proche-Orient et dans l’ensemble méditerranéen, à la femme la plus incompétente et la plus gauche de sa génération. Ce n’est pas un hasard, mais un aveu : nos Etats ne tiennent tout bonnement pas à ce que l’Union dispose d’une diplomatie. Avec Catherine Ashton, nous sommes assurés de ne point en avoir.

 

Détournement de l’assertion de Sacha Guitry, suivant laquelle “la femme sera vraiment l’égale de l’homme le jour où, chauve, elle trouvera ça distingué”.