Tribune
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Publié le 28 Novembre 2014

Devoir de mémoire, une illusion ?

Par Luc Ferry, Philosophe et ancien Ministre de l'Education nationale, publié dans le Figaro le 27 novembre 2014

Beau débat sur le thème de l’éducation civique et morale, dimanche dernier, à l’invitation du CRIF, avec mon ami Haïm Korsia, le nouveau Grand Rabbin de France. La salle est comble et je sais que je vais susciter des réactions en critiquant le sacro-saint « devoir de mémoire », une des vaches sacrées de l’époque.

Pas de malentendu : s’il s’agit d’honorer les morts, de garder le souvenir des victimes, de rendre justice aux défunts, il va de soi qu’un tel devoir est juste et légitime. Rien ne serait pire que l’oubli, l’ingratitude et la désinvolture face à la catastrophe qui a terni à jamais l’histoire de l’Allemagne, mais aussi d’une bonne partie de l’Europe avec elle. Allons plus loin. Le combat contre le négationnisme, voire plus simplement contre ceux qui prétendent que la destruction des Juifs d’Europe ne fut qu’un détail dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale ou que le régime de Vichy protégea les Juifs de France, est plus nécessaire que jamais dans une période où la résurgence d’un antisémitisme d’un nouveau genre, celui qui s’enracine dans le fondamentalisme islamiste, fait des ravages dans nos quartiers.

Cela étant dit, qu’il fallait sans doute rappeler, en termes d’éducation morale et d’instruction civique, la notion de « devoir de mémoire » me laisse profondément sceptique. Pour dire les choses brutalement : il n’est utile que pour ceux… qui n’en ont pas besoin, pour les gentils aux deux sens du terme. Pour les méchants en revanche, je crains que ce soit le cautère sur la jambe de bois. Le Professeur d’histoire évoque le génocide, explique la notion de crime contre l’humanité, donne les chiffres, décrit l’atrocité de la Shoah par balles, et qu’entend-il au fond de la classe ? « Mensonges », « propagande sioniste », quand ce n’est pas pire - des remarques du type « Hitler n’a pas fini le travail, on n’en a pas tué assez ». Et là, le malheureux enseignant peut bien s’époumoner tant qu’il voudra, argumenter, en appeler aux faits et documents, se fâcher, menacer, punir, rien n’y fait. Pourquoi ?

Parce que l’éducation morale n’est pas affaire de savoirs, de connaissances, de culture. Elle relève d’un autre registre et il ne sert à rien de se voiler la face. La preuve ? Les nazis n’ont pas été nazis parce qu’ils manquaient de cours d’histoire, ni même d’éducation. Heidegger fut sans doute l’intellectuel le plus savant de son temps, le penseur le plus profond de son époque, et nous savons maintenant, grâce à la publication de ses fameux « carnets noirs », que ce que j’écrivais voilà plus de vingt ans était exact, à savoir qu’il était bel et bien hitlérien et profondément antisémite. Du reste, l’Allemagne des années trente était le pays le plus civilisé du monde, la patrie de Bach, Brahms et Beethoven, celle de Goethe et de Kant, celle dont le système scolaire et universitaire était le plus élaboré et le plus performant. Rien n’y fit, cela ne l’empêcha point de sombrer massivement, avec l’appui d’une immense majorité de la population, dans la barbarie.

Il en va d’ailleurs encore aujourd’hui de même du côté de l’islamisme radical. Ben Laden était tout sauf inculte et les leaders des organisations terroristes se recrutent souvent parmi les scientifiques, les juristes et les lettrés… Lire la suite dans l’édition du Figaro du 28 novembre 2014.

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