Tribune
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Publié le 21 Juin 2012

Disparition de Roger Garaudy : quand l’idolâtrie idéologique antijuive perd l’un de ses plus fidèles serviteurs

Par Jacques Tarnero

 

Il aura été l’un des serviteurs zélés des deux grands totalitarismes de la fin du XXe siècle : le communisme puis l’islamisme. On pourrait même ajouter qu’en devenant négationniste et donc en tentant d’innocenter le nazisme de ses crimes, il en aura aussi été le complice. Roger Garaudy fait la synthèse de trois registres idéologiques possédant ce même dénominateur commun très particulier: la haine des juifs et du judaïsme. Pour des raisons différentes, avec des pratiques différentes, avec des histoires différentes, nazisme, communisme dans sa version stalinienne et islamisme partagent cette même aversion singulière. En avoir été l’adepte successif est une prouesse toute aussi singulière. Quelle était donc la trame psychique de cet idolâtre?

 

Car c’est bien l’idolâtrie qui tire le fil conducteur qui lie les différentes facettes de cet étrange philosophe : un rapide passage par un retour au christianisme (dans sa version antérieure à Vatican II), après son exclusion du Parti Communiste Français, son amitié avec son ancien collègue à l’Assemblée Nationale, l’abbé Pierre (toujours défenseur d’une culpabilité déicide des juifs) qui viendra à son secours lors des procès intentés contre lui, ce trajet met en scène son besoin de croyance. Pour son naufrage intellectuel Roger Garaudy aura choisi les pires pour les pires espérances : son avenir radieux ne peut être que vidé de ces juifs perturbateurs. Ce que Garaudy recherche n’est pas la quête de la vérité, mais l’écrasement de cette recherche par SA vérité, fut elle ponctuelle. Progressivement le philosophe s’est effacé devant l’idéologue.

 

Quittant la promesse communiste pour le salut du Christ, quittant celui ci pour l’islam radical et mariant dans sa folie idolâtre, la haine de ce pourquoi il fut Résistant, voilà un itinéraire qui n’a que l’apparence de la sinusoïde ou du paradoxe. Son hostilité puis la haine qu’il voue aux juifs et au judaïsme est LA constante, rectiligne, de sa vie et de ses engagements. En ce sens Ragaa, alias Roger Garaudy, témoigne bien des grandes maladies du siècle passé dont le goût pour la pensée totalitaire fit les pires ravages. L’histoire de cet ancien Résistant pouvait laisser imaginer un tout autre trajet : c’est d’abord sur des bases critiques que cet agrégé de philosophie, devenu membre dirigeant du Parti Communiste va quitter la maison mère sans pour autant se départir de ce qui structurellement fabrique son appareil psychique. Garaudy a besoin d’idoles.

 

L’islam va venir se substituer à ses croyances précédentes. Il crée à Cordoue, au bord du Guadalquivir, une fondation abritée dans la tour de la Calahora. Sous l’apparence trompeuse d’une recherche spirituelle entre les monothéismes, il tombe le masque en 1982 dans un appel commun publié dans Le Monde, signé par le père Lelong et le pasteur Mathiot : pour dénoncer « le sens de l’agression israélienne » dans la première guerre du Liban, menée par Israël contre l’OLP, Garaudy inscrit l’action d’Israël comme structurellement produite par la nature de l’Etat juif. Israël est né du sionisme et le sionisme est né du judaïsme. C’est donc le judaïsme l’ennemi de la Palestine, l’ennemi de la cause des peuples, l’ennemi de l’humanité. Cet emboitement qui détermine une nature nocive de l’Etat d’Israël trouve son apogée théorique dans un livre qu’il publie en 1996, les « Mythes fondateurs de la politique israélienne » où Garaudy reprend à son compte les thèses négationnistes. Le procès qui lui est intenté voit défiler à la barre tout  ce que l’antisémitisme compte, de l’extrême droite à l’extrême gauche, des intégristes catholiques aux islamistes radicaux, des propalestiniens aux fascistes divers, tous communient en faveur de Garaudy défendu par cet autre fidèle compagnon de route des totalitarismes, M° Jacques Verges. Soutenu par son ami l’abbé Pierre, il dénonce « la puissance du lobby sioniste international », mettant à jour la vieille haine religieuse du « plus populaire des français ». Ainsi éclate cette surprenante coalition islamo-christiano-gauchisto-palestino-fasciste dont les effets sont toujours actifs dans le paysage idéologique actuel.

 

Pour le plus grand malheur du monde arabe, la pensée garaudienne y est accueillie triomphalement. Il faut cependant noter que quelques intellectuels arabes sauveront l’honneur, Elias Sanbar, Samir Kassir, Edward Saïd, dénonceront cette pensée de l’ignoble. Très minoritaires ces intellectuels, dont certains vont payer de leur vie cet esprit critique, ne vont pas peser lourd devant la vague islamiste qui a fait du négationnisme un argument privilégié dans sa lutte idéologique contre Israël.

 

On ne regrettera pas Roger Garaudy et celui ci ne laissera pas une grande place dans l’histoire de la pensée, mais il est à craindre que ses contorsions idolâtres ne déterminent une constante de l’esprit : c’est toujours vers le pire que se tournent ceux qui ont besoin de haïr pour exister.

 

Jacques Tarnero