Tribune
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Publié le 30 Avril 2014

En France et dans l’Union européenne, les Juifs se sentent menacés

Tribune de Marc Knobel, Chercheur et Directeur des Etudes du CRIF

Les Juifs qui vivent dans l’Union européenne (UE) sont confrontés à des insultes, quelquefois, mais plus rarement, à la discrimination et/ou au harcèlement et même à des violences physiques. Des actes qui, en dépit des efforts concertés de certains États membres, ne semblent pas s’atténuer avec le temps.

En France, il n’existe plus d’antisémitisme institutionnalisé, comme ce fut le cas dans les années 1930-40, mais dans la France des années 2000, l’hostilité à l’endroit des Juifs s’est largement développée chez les jeunes qui vivent dans des quartiers dits sensibles et qui, discriminés et souvent victimisés, sont en quête d’identité. Certains sont motivés par une haine doctrinale et implacable des Juifs et le conflit israélo-palestinien sert quelquefois de détonateur. Cependant, ce conflit sert aussi d’alibi à l’expression de l’antisémitisme dans les milieux socialement plus privilégiés. Bref, le conflit n’est-il pas plutôt un faux prétexte qui a fait sauter et de façon durable le tabou de l’antisémitisme ? Et puis, il y a ces stéréotypes infâmes. Le meurtre tragique en 2006 d’Ilan Halimi est le fruit, le résultat de la survivance d’un antisémitisme structurel qui s’appuie sur de vieux clichés nauséeux, les mêmes qui perdurent depuis des siècles. Ainsi depuis l’an 2000, les Juifs de France sont désemparés. Et ailleurs ? Dans ce court texte, nous essayerons de montrer que cette folie antisémite est bien réelle et que l’inquiétude prévaut au sein des diverses communautés juives. Parce qu’au travers du Net, dans des prêches haineux, dans les programmes racistes qui sont diffusés quelquefois par des télévisions qataries ou iraniennes, les fanatiques se pressent et se lâchent littéralement.

Dans ce document, nous explorons quelques problèmes, les enjeux et nous nous demanderons ce qu’il conviendrait de faire.

Les Juifs d’Europe se sentent menacés.             

L’enquête en ligne de la FRA (agence européenne des droits fondamentaux) sur les expériences de la discrimination et de crimes de haine vécues par des personnes juives dans huit États membres de l’UE met au jour une crainte répandue de l’antisémitisme sur l’internet, un niveau inquiétant de discrimination antisémite, en particulier dans l’emploi et le logement dans certains pays, et des inquiétudes au sujet de la négation et de la banalisation de la Shoah et des crimes de haine (1). L’enquête révèle également des problèmes connexes, comme le non‑signalement de crimes et incidents antisémites par les victimes. Les résultats de cette recherche couvrent l’Allemagne, la Belgique, la France, la Hongrie, l’Italie, la Lettonie, le Royaume‑Uni et la Suède, des pays dans lesquels résident selon les estimations 90 % de la population juive de l’UE. Près de 5 900 personnes qui s’identifient comme étant juives ont participé à l’enquête qui a été réalisée en ligne en septembre et octobre 2012. La méthodologie choisie a permis à toutes les personnes intéressées s’identifiant comme juives dans les pays couverts par l’enquête d’y participer. Elle ne constitue toutefois pas un échantillon aléatoire répondant aux critères statistiques de représentativité.

Que nous apprend cette enquête de la FRA ?

Au cours des 12 mois qui ont précédé l’enquête, 26 % des répondants ont été la cible d’un ou de plusieurs incidents impliquant des insultes verbales ou un harcèlement parce qu’ils sont juifs – 4 % ont été victimes de violence physique ou de menaces de violence. Près de la moitié des répondants (46 %) a peur d’être victime d’agression verbale ou de harcèlement antisémite dans les 12 prochains mois, alors qu’un tiers (33 %) craint une agression physique au cours de la même période.

Dans l’ensemble, 75 % des répondants considèrent que l’antisémitisme sur internet est un problème dans le pays où ils vivent. Près de trois quarts des répondants (73 %) ont déclaré qu’il s’est développé ces cinq dernières années. Près d’un quart des répondants (23 %) a déclaré éviter, au moins occasionnellement, d’assister à des manifestations juives ou de visiter des sites juifs parce qu’ils ne se sentiraient pas en sécurité en tant que juifs pendant leur trajet ou étant sur place. Plus d’un quart des répondants (27 %) évite certains lieux dans leur quartier, au moins occasionnellement, parce qu’ils ne s’y sentiraient pas en sécurité en tant que juifs. Un tiers des répondants (33 %) a fait l’objet d’une forme de harcèlement antisémite au cours des cinq années précédant l’enquête, tandis qu’un quart (26 %) en a fait l’objet au cours des 12 mois précédant l’enquête. Au cours des 12 derniers mois, plus de la moitié des répondants (57 %) a entendu ou vu quelqu’un affirmer que la Shoah était un mythe ou avait été exagérée. Même si, l’échantillon est aléatoire et ne répond pas aux critères statistiques de représentativité, les perceptions de l’antisémitisme européen dans ces 9 pays convergent pour mettre en exergue une nette montée de l’antisémitisme avec pour corolaire l’aggravation tout aussi nette de l’inquiétude prévalant au sein des diverses communautés juives concernées. Une inquiétude que l’on ressent profondément en France. Dans notre pays, plus de 7600 actes antisémites ont été officiellement recensés depuis le mois d’octobre 2000 à la fois par les services de sécurité de la communauté juive et par le ministère de l’Intérieur.

Cependant, l’antisémitisme comporte plusieurs facettes.

Nous en voyons au moins cinq :

1)         Après la Seconde Guerre mondiale et pendant une quarantaine d'années, l'antisémitisme resta confiné à la sphère privée ; il ne s'exprimait sur la place publique que par les manifestations de groupuscules ou partis d'extrême droite. Depuis quelques années (2000 et 2001), ce tabou est tombé.

2)         La haine envers les juifs passe désormais par la détestation de l'Occident. Autrefois, les racistes européens haïssaient dans le juif celui qu'ils jugeaient extérieur (non chrétien, oriental, sémite...). Aujourd'hui, c'est au contraire en détestant l'Occident qu'on va haïr le peuple juif, car il symbolise désormais ce qu'on veut détruire (judéo-christianisme, capitalisme, libéralisme, impérialisme) (2). Principale conséquence : l'antisionisme - qui accuse l'Etat d'Israël de violence systématique, de racisme, d'apartheid et qui, sous sa forme radicale, veut sa disparition pure et simple en l'accusant de tous les maux du monde - constitue pour le philosophe Pierre-André Taguieff le dernier avatar de l'antique et multiforme haine des juifs. « Le slogan "Mort à Israël ! » a remplacé le slogan « Mort aux juifs ! », écrit-il (3).

3)         Au terme du parcours, on voit combien les discours antisionistes radicaux, depuis certaines franges de l'extrême gauche jusqu'aux islamistes jihadistes, reprennent et réactivent, tantôt à leur insu, tantôt volontairement, une série de thèmes antijuifs forgés de longue date. La diabolisation (Satan, le goût du sang), la conspiration et le complot, le cosmopolitisme financier hantent en effet leurs représentations. A quoi s'ajoute, comme on sait, l'ignominie récente décrétant « nazis » et « racistes » les Israéliens, voire tous les juifs. A ce prix, on aura bonne conscience, avec la haine en prime.

4)         Bref, l’antisémitisme est dû à la rencontre explosive entre des mouvements d'extrême droite et/ou d'extrême gauche. Cette rencontre est aggravée par des actes hostiles commis par des jeunes qui vivent dans des quartiers dits sensibles et qui s’identifient aux Palestiniens. Pour ces jeunes, le juif est un juif imaginaire rencontré par l'intermédiaire de la télévision ou de vidéos antisémites : les juifs sont assimilés aux Israéliens, et aux Américains qui soutiennent Israël et font la guerre en Irak, en Syrie et ailleurs. Or, ces jeunes « beurs » se sentent discriminés par le racisme.

5)         Justement, pour expliquer la banalisation de l'antisémitisme dans les banlieues, le philosophe Pierre-André Taguieff commente en ces termes la situation qui prévaut dans les quartiers difficiles: « Il faut partir de la jalousie sociale très répandue dans les « quartiers sensibles », une jalousie alimentée par divers stéréotypes, dont celui du « Juif riche », celui du Juif puissant dans la finance, la politique, les médias. D’où le raisonnement-type qu’on rencontre dans certains entretiens semi-directifs avec des « jeunes » issus de l’immigration et marginalisés : « Si nous sommes malheureux, pauvres, exclus, sans travail, c’est de leur faute ». Les Juifs sont accusés de prendre toutes les places (les bonnes), d’occuper tous les postes désirables. S’ajoute l’accusation de la « solidarité juive » : « Ils se tiennent entre eux ». Les antijuifs convaincus voient les Juifs comme une espèce de franc-maçonnerie ethnique, pratiquant le népotisme à tous les niveaux, dans tous les domaines. « Ils sont partout », « Ils ont le pouvoir », « Ils nous manipulent » : thèmes d’accusation fantasmatiques exprimant une paranoïa socialement banalisée. Dans le jeu des passions antijuives, le ressentiment mène la danse : une haine accompagnée d’un sentiment d’impuissance, qui ne cesse de l’aiguiser comme de l’aiguillonner. La jalousie sociale en est la traduction courante (4) ».

6)         Ensuite, l'antisémitisme est porté par l'islamisme radical et la doctrine du jihad contre les Juifs (ou les « sionistes ») et Israël, qui inscrit son action à l'échelle planétaire. Les islamistes savent désigner « l’ennemi ». Dans les prêches ou sur Internet, ils présentent ainsi une vision folle d’un Islam qui serait assiégé, menacé par les Américains, les Européens et les juifs. Par ailleurs, les islamistes érigent, explicitement ou non, le jihad contre les Juifs en sixième obligation religieuse que doit respecter tout musulman (5). Cela s’accompagne, chez les prédicateurs islamistes, d’une vision apocalyptique du combat final contre les Juifs.

Rappelons enfin qu’à force de rabâcher, de lire, d’écouter, de  proclamer que les Israéliens se comportent comme des monstres et à l’inverse d’idéaliser ainsi la cause palestinienne (érigée en nouvelle lutte des peuples et en cause victimaire universelle), des esprits faibles, à défaut de trouver des cibles israéliennes s’en prennent à des cibles juives. Ces malheureuses cibles sont assimilées aux Israéliens, bref aux nazis. 

La haine sur Internet

Justement, c’est sur l’Internet que prolifèrent, notamment en Europe, mais aussi aux Etats-Unis, les sites racistes, antisémites, néonazis, négationnistes et islamistes. L’Internet est donc le lieu idéal pour diffuser de la propagande, de la désinformation ou une information médiocre et non référencée. De plus et grâce à des moteurs de recherches de plus en plus performants, il est possible de voir les principaux sites extrémistes dans le monde et d’avoir accès à des contenus antisémites ou faisant l'apologie du terrorisme.

Ce déferlement de haine sur Internet pose problème. Car, on assiste en Europe à une augmentation inquiétante des tensions religieuses et raciales allant parfois jusqu’à la violence, contre différentes minorités, mais surtout contre les juifs.

1) Or, les sites islamistes notamment prônent le Jihad. L’Internet est devenu non seulement la principale source d’information religieuse, mais aussi le principal pourvoyeur de radicalité. Internet est le principal véhicule de la propagande salafiste, que ce soit celles des Frères musulmans ou celles des wahhabites et même des jihadistes. Cependant et encore aujourd’hui, une sorte d’autisme tente curieusement d’en minimiser la portée, comme s’il fallait s’accommoder de leur existence. Pourtant une simple connexion et une traduction adéquate permettent de mesurer dans toute son intensité et son horreur absolue la dose de fanatisme, d’endoctrinement et de haine qui caractérise les organisations radicales fondamentalistes, qui utilisent le Net. Enfin, l’islamisme est de plus en plus radicalisé et internationalisé par le biais des réseaux sociaux sur le Net. Ces réseaux deviennent des arènes importantes pour la diffusion et la discussion des « thèses » islamistes. Dans la mesure où les personnes d'un autre avis participent rarement aux mêmes forums que ceux qui diffusent de la propagande islamiste, le message qui légitime la violence et glorifie son usage rencontre alors rarement de la résistance.

2) Et l’extrême droite ? Internet est devenu l'un des terrains de jeu privilégié des droites extrêmes. Celles-ci ont très vite investi ce nouveau média pour en faire ce qu'elles appellent un « outil de ré information » afin de contourner « la pensée unique ». En France, deux sites Internet ont compris l’utilisation qu’ils peuvent faire de l’Internet : François Desouche et Novopress, les têtes de pont de la "fachosphère". Le premier produit très peu de contenu qui lui soit propre. Il collecte systématiquement tout ce qui paraît concernant ses sujets de prédilection : insécurité, banlieue, islam… Mais, les faits divers retenus ont à chaque fois une vertu édifiante : ils doivent illustrer le lien supposé entre violence et immigration. Son espace de commentaires lui assure une grande fréquentation. Le second site, Novopress, est quant à lui l'émanation du Bloc identitaire, groupe d'extrême droite radicale. Il prend la forme d’une agence de presse qui relaye les informations, mais surtout le discours des Identitaires. Or, ces derniers se sont fait une spécialité de la présence sur le Net. Cela leur permet d'avoir une visibilité sans commune mesure avec ses effectifs militants restreints (6). D’autres sites, s’en prennent à différentes personnalités comme Bernard-Henri Lévy, Alain Finkielkraut, Bernard Kouchner, Jean-Pierre Elkabach, Michel Drucker… et/ou certains sites dressent une liste de personnalités supposées être « vendues » aux « juifs ». La frontière entre ces différents sites est quelquefois mince, et l’on passe vite vers d’autres supports. Nous distinguons encore et encore la multitude de sites extrémistes dont la violence effrénée, les caricatures obscènes et la haine obsessionnelle sont autant d’insultes. Ces sites sont généralement bien programmés, les graphismes travaillés, et le réseau Internet de cette nébuleuse est assez bien structuré. Et puis, il y a cette multitude de sites négationnistes qui ont foisonné sur le Net. Or on a tendance à oublier l’inventivité des négationnistes, capables de médiatiser jusque-là leurs déclarations ou leurs actions et à trouver de nouveaux canaux de diffusion. Ils s’adressent même à des adolescents. Quand l’outil Internet s’est développé, au début des années 1990, les négationnistes du monde entier ont senti l’opportunité qui s’offrait à eux.

3) Cependant, il convient d’opérer une distinction très nette entre la mise en ligne de contenus politisés, construits, correspondant à une véritable propagande élaborée par des groupes ou des groupuscules plus ou moins hiérarchisés parfois localisés à l’étranger, d’une part, et les expressions d’un racisme plus « ordinaire », œuvre d’internautes se sentant légitimés dans leur discours par le relatif anonymat d’internet, d’autre part. Il est donc possible de conclure à des « pics » d’activité, tant l’expression raciste sur internet se nourrit de l’actualité. Exemple ? Lors des affrontements entre le Hamas et l’Etat d'Israël, les sites Internet d'infos reçoivent des commentaires de toutes sortes, souvent motivés par la haine, surtout par l’antisémitisme et par le racisme, la plupart du temps injurieux. Pour laisser un commentaire, rien de plus simple: pas d'inscription préalable avec une vraie adresse email, pas de nom, des pseudonymes, du coup, pas de traces. Lors de ces conflits, le quotidien Libération.fr avait décidé de fermer ces commentaires en expliquant que ce fut très vite un déchaînement de haine, de tombereaux d'insultes et des injures à n'en plus finir. « La modération a vite craqué. Si Libération se veut un lieu de débats, cet espace n'est pas, et ne sera jamais, le lieu d'aisance des racistes et des antisémites », précise Libé. Toutefois, le site internet avait continué de permettre aux internautes inscrits au préalable sur leur site de débattre sur un forum. LCI.fr en a fait de même en affichant ce message: « En raison de nombreux abus et de propos tombant sous le coup de la loi française, LCI.fr a décidé de ne plus valider aucun avis sur le conflit israélo-palestinien. » Idem pour 20minutes.fr: « Les modérateurs avaient un boulot fou. Il y avait notamment de nombreux commentaires antisémites et en réponse des remarques contre les musulmans », explique la rédactrice en chef du site. A noter d’ailleurs que les commentaires sont postés régulièrement. Nous avons même l’impression qu’il devait exister une sorte de coordination militante. Des internautes ciblent un site, puis un article, et déversent alors et en très grand nombre leurs violentes diatribes. Nous préconisons alors la systématisation de la modération, mais une modération qui doit être adaptée et menée par des gens formés et qui connaissent la législation. Nous rappelons à cet égard qu’il existe des outils spécifiques et techniques.  

Les télévisions antisémites

Des chaînes problématiques étrangères et extracommunautaires du pourtour méditerranéen, d’Iran ou du Golfe diffusent en France des programmes qui contreviennent gravement à toutes les dispositions pénales en matière de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, cela dans l’indifférence médiatique, diplomatique et politique. Tout cela frise l’indécence. Pourtant, les infractions relevées sur ces télévisions portent atteinte à l’honneur ou à la considération des personnes visées, stigmatisées, diabolisées par les images diffusées et les commentaires scabreux, haineux. Ce sont les fondements mêmes des principes républicains qui sont touchés par des incitations constantes à la haine et à la violence pour des raisons de race, de sexe, de mœurs, de religion ou de nationalité. Pour comprendre ce sujet, il faut saisir la monstruosité des émissions qui peuvent être captées en France, via un satellite quelconque. Les chaines qataries, par exemple, ne sont pas en reste, avec une vedette qui « s’illustre » sur Qatar TV ou sur Al-Jazeera TV: le cheikh Youssef Al-Qaradhawi, qui dirige le Conseil européen pour la fatwa et la recherche. Il préside  également l’Association internationale des savants musulmans. Surtout, guide spirituel de plusieurs organisations islamistes à travers le monde, y compris des Frères musulmans, il est le théoricien de la réislamisation de l’Europe. Rappelons que dans son ouvrage Le licite et l’illicite  Al-Qaradhawi recommande l’extermination physique des homosexuels (page 175), la possibilité de frapper les femmes (page 207), Qaradhawi proclame également la disposition servile et utilitaire de la femme en matière de sexe : « L’homme, en matière sexuelle, est le requérant et la femme la requise. Celle-ci est tenue de répondre aux désirs sexuels de son mari… »… Concernant l’antisémitisme et Hitler, voici ce qu’affirme Al-Qaradhawi le 28 janvier 2009, sur Al-Jazeera TV: « Tout au long de l’histoire, Allah a imposé aux [Juifs] des personnes qui les puniraient de leur corruption. Le dernier châtiment a été administré par Hitler. Avec tout ce qu’il leur a fait - et bien qu’ils [les Juifs] aient exagéré les faits -, il a réussi à les remettre à leur place. C’était un châtiment divin. Si Allah veut, la prochaine fois, ce sera par la main des musulmans. […] » D’autres prédicateurs enflammés délivrent des sermons enflammés. Ils sont diffusés sur de très nombreuses chaînes. Ainsi, le 11 juillet 2010 sur Al-Nas, le prédicateur égyptien Hassam Fawzi Jabar estime qu’«Hitler a eu raison de faire ce qu'il a fait aux Juifs ». Ce dernier explique que c’est « la nature » des Juifs qui est mauvaise, signifiant qu’il ne faut pas espérer les changer ; il ne reste donc qu’une solution : les exterminer : « L'une des choses les plus étonnantes que j'ai lues est qu'Hitler a dit: ‘J'aurais pu exterminer tous les Juifs du monde, mais j'en ai laissé quelques-uns afin que vous compreniez pourquoi je leur ai fait ça’. Hitler a eu raison de dire ce qu'il a dit et de faire ce qu'il a fait aux Juifs. (…) ». Le summum de la haine anti-juive est atteint sur la chaîne satellitaire Al-Rahma, quand le prédicateur égyptien Al-Ansari, sur la base de véritables images d'archives de la Shoah, en vient non seulement à justifier l'Holocauste, mais encore à espérer un nouvel Holocauste, qui serait cette fois perpétré par les musulmans (7). Ce qui est incroyable et ce qui est insupportable ici, c’est de constater avec quelle facilité les vieux délires de l’humanité et les plus grands fantasmes à l’égard des Juifs se réactualisent. La différence avec Internet tient au fait que ce ne seront pas quelques milliers de personnes qui découvriront toutes ces horreurs, mais des millions de téléspectateurs. La mondialisation progressant, les programmes d’al-Nas ou d’al-Alam seront vus bien au-delà des frontières de l’Égypte, de l’Iran, du Maroc ou de l’Arabie Saoudite. Et toutes ces chaînes pouvaient et/ou peuvent être captées en France.

Que peut-on faire ?

Les réponses sont nécessairement politiques, c'est-à-dire que la réponse doit être citoyenne et «nationale». Seulement, il semble difficilement concevable de faire de la (seule) lutte contre l’antisémitisme un terreau exclusif. Il convient d’associer à cette thématique, la lutte contre le racisme et l’intolérance, tout en promouvant très largement le socle commun des valeurs républicaines. Parallèlement, il est indispensable que les pouvoirs publics continuent de donner de la voix pour contrer la poussée de fièvre raciste et antisémite.

Il est nécessaire de sortir les citoyens de confession juive du «climat d'angoisse» dans lequel ils se trouvent en renforçant par exemple la présence policière - surtout la nuit où cette présence demeure sporadique - aux abords des lieux de culte, mais aussi, dans la journée, auprès des établissements scolaires juifs. Il est également important que les agresseurs soient appréhendés (lorsque cela est possible) et condamnés à de plus lourdes peines qu’ils ne le sont. Les condamnations doivent faire l’objet d’une recension et/ou d’une plus grande communication. La peine peut avoir une valeur dissuasive. Ceci étant, il ne faut pas occulter le fait que des agressions sont commises par des mineurs. Il s’agit là d’une difficulté supplémentaire, les réponses doivent donc être adéquates (il est difficilement concevable de mettre des mineurs de 15 ans en prison). Justement et parce que c’est en milieu scolaire et parascolaire que les tensions sont le plus perceptibles et les violences fréquentes, il importe de former les enseignants (par des stages adéquats, en IUFM, des notes précises…), de mieux encadrer les établissements (création de postes supplémentaires de surveillants, d’éducateurs, de psychologues travaillant en milieu scolaire). Il faut donc soutenir des actions de sensibilisation et de prévention destinées en priorité aux éducateurs et aux élèves des écoles. Dans les établissements, il faut renforcer l’enseignement de l’instruction civique, avec un programme théorique (et pratique) en collège et lycée (de la 6ème à la Terminale). Il faut également permettre aux élèves de comprendre ce qu’est le monde juif (culturellement tout au moins), une approche didactique est souhaitable. Par ailleurs, il ne serait pas inutile de disposer de données fiables dans le temps et la durée, parce qu’il importe de bien mesurer, tout autant que d’analyser et de comprendre tous les phénomènes récurrents, les causes qui peuvent expliquer les résurgences multiples, ainsi que les motivations des agresseurs… Il ne serait donc pas inutile de (re)créer un observatoire de l’antisémitisme. Cet observatoire devrait disposer de larges moyens et pourrait rassembler ceux et celles qui travaillent sur ces questions. Il faut enfin désigner TOUS les vecteurs de haine.

La Lutte contre le racisme et l’antisémitisme est une priorité.

Dénoncer comme nous le faisons l’intolérance, le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie relèvent de l’urgence. Car, l’antisémitisme et le racisme, nous l’affirmons ici, menacent la République et les valeurs fondamentales de l’Union européenne.

Notes :

1. Le rapport de la FRA est disponible à l’adresse url suivante : http://fra.europa.eu/en/publication/2013/discrimination-and-hate-crime-against-jews-eu

2. Il s’agit là de la thèse de Pierre-André Taguieff dans sa Judéophobie des Modernes. Des Lumières au Jihad mondial, de Pierre-André Taguieff, Paris,  Ed. Odile Jacob, 2008, 686 p.

3. Idem.

4. Interview de Pierre-André Taguieff sur le site Surlering.com par Clémence Boulouque, réalisée le 21 mai 2013.

5. Voir à ce sujet l’entretien de Pierre-André Taguieff par Violaine de Montclos : « Taguieff, ces islamistes malades de la haine des Juifs », Le Point, 12 octobre 2012, pp. 36-37.

6. Voir à ce sujet, Marc Knobel, L’Internet de la haine, racistes, antisémites, néonazis, intégristes, islamistes, terroristes et homophobes à l’assaut du Web, Paris, Berg International éditeurs, mai 2012, 184 pages et Marc Knobel, haine et violences antisémites, une rétrospective 2000-2013, Paris, Berg International Editeurs, janvier 2013, 350 pages.

7. MEMRI TV Clip No. 1999 - Egyptian Cleric Amin Al-Ansari Justifies the Holocaust, Airs Footage, and Declares: "This Is What We Hope Will Happen But, Allah Willing, at the Hand of the Muslims" WARNING: Extremely Disturbing Holocaust Footage, 26 janvier 2009 : http://www.memritv.org/clip/en/1999.htm Al Majd TV (Arabie saoudite), le 19 juin 2005, http://www.memritv.org/clip/en/734.htm cité par Nathalie Szerman, « Le Printemps arabe à l’épreuve de l’antisémitisme : Y a-t-il un avant et un après ? », à paraître dans les Etudes du CRIF en mars 2014.

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