Tribune
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Publié le 4 Février 2013

Guerre au Mali, des mots déjà entendus ailleurs

 

Par Jacques Tarnero

 

Les frappes des avions français ne sont-elles pas disproportionnées par rapport aux moyens militaires des groupes islamistes? Ne s'agit-il pas d'une guerre trop inégale, d'un conflit déséquilibré ? En quoi la souveraineté de la France était-elle menacée à quatre mille kilomètres de ses frontières par l'avancée des bandes islamistes vers Bamako? Le prétexte de l'appel au secours d'un président intérimaire malien donne-t-il une légitimité à l'intervention française?

 

De quelle soudaine lucidité la bienpensance de gauche serait-elle soudain atteinte à faire silence devant l'action de la France au Mali? Serait-elle ici bienvenue et légitime alors que celle d'Israël à Gaza ne le serait pas et relèverait de l'agression impérialiste? Stéphane Hessel va-t-il soudain reconnaître son erreur et tous les indignés vont-ils frapper leur poitrine pour reconnaître que c'est un même ennemi que les soldats français ou israéliens combattent? Que celui-ci se nomme AQMI ou Hamas, ce sont les mêmes barbus qui veulent égorger les juifs, les croisés et les mécréants. Est-ce trop demander à des esprits formatés par des années de conditionnement idéologique affirmant que la figure du Mal se nomme Israël? Est-ce trop demander que de regarder le réel pour ce qu'il est même si le réel contredit les croyances idéologiques?

 

Ceux que la France nomme terroristes se trouvent-ils dans le seul Mali? N'appartiennent-ils pas à une mouvance commune portant des masques et des noms différents? L'idéologie qui les inspire n'est elle pas partagée au-delà du Sahel? La charia qui coupe les mains des voleurs ou lapide les femmes infidèles ne sert-elle pas de matrice à la loi qui règne à Gaza ou à Téhéran? N'est-ce pas la même inspiration pour un certain nombre de comportements croissants jusque dans nos banlieues?

 

Or voilà que ce qui paraît justifié pour l'intervention française paraît condamnable pour ce que fait Israël quand celui-ci est attaqué à l'intérieur de ses frontières et quand ce sont ses villes qui subissent des pluies de roquettes lancées depuis son voisin. En quoi le Hamas serait-il moins terroriste que les islamistes visant Bamako? En quoi son idéologie serait-elle plus sympathique que celle qui inspire Aqmi? Les femmes lapidées en Iran ou en Arabie seraient-elles moins innocentes que celles qui ont été torturées au Sahel? La conscience morale nationale incarnée par Stéphane Hessel et tous les indignés trouvent des vertus progressistes au Hamas, mais condamnent Israël quand celui-ci défend son propre territoire et affirme son droit à être.

 

Que dit la charte du Hamas: qu'il faut passer tous les juifs au fil de l'épée et ceci au nom de la loi d'Allah. Quand Khaled Mechaal, son leader maximo, vient à Gaza après le dernier conflit, il prononce un discours à côté duquel Mein Kampf est à ranger au rayon de la bibliothèque rose. C'est pourtant ce discours qui est salué comme "pragmatique" en "une" du Monde (9 et 10 décembre 2012) par Benjamin Barthe! Faut-il aussi rappeler les mots de Laurent Fabius parlant de "responsabilités partagées" entre le Hamas et Israël dans le dernier affrontement?

 

La France prend à juste titre appui sur le droit international et les résolutions du Conseil de sécurité pour justifier son intervention. Ce droit n'est-il pas à géométrie variable si tant est que l'ONU est supposée incarner un ordre international fondé sur le droit? Qu'est-ce que ce droit? Quelle est sa validité, sinon sa légitimité? Quand le Conseil des droits de l'homme de l'ONU présidée par la Libye, avec comme distingués membres le Soudan, la Syrie ou Cuba, passait l'essentiel de ses activités à condamner Israël, qui trouvait à y redire? Quand ce même conseil de sécurité est incapable de condamner l'action de Bachar el Assad en Syrie on est en droit de porter sur cette notion de droit international une appréciation nuancée sur ce qu'il représente dans les faits. Qu'est-il sinon la formalisation en terme de droit de rapports de force à un instant donné.

 

La France a eu raison d'intervenir au Mali et son action est pleinement justifiée à la fois pour la défense de ses intérêts propres et celles des populations maliennes menacées par le totalitarisme islamiste. Il suffit de prendre connaissance des diverses condamnations proférées par les Frères musulmans là où ils sont au pouvoir pour comprendre l'enjeu du présent conflit. Que cette condamnation s'enrobe de la rhétorique anti impérialiste ne saurait faire illusion. De Tariq Ramadan à Mohamed Morsi ce sont deux voix différentes qui énoncent un même projet. Bien sûr, il y aura toujours en Occident leurs idiots utiles pour dénoncer la sauvage agression néo-coloniale visant à reconquérir l'Afrique et il y aura surement aussi d'autres nostalgiques pour voir du Guy Mollet dans l'action de François Hollande. L'esprit français ne saurait se refaire : toujours préférer se tromper avec Sartre plutôt qu'avoir raison avec Aron.

 

Cependant, l'intervention de la France trouverait sa pleine logique si elle témoignait d'une cohérence plus large. Quelle est la donne géopolitique globale? Pour ne pas parler comme Georges Bush, on feint de ne pas nommer les choses: il ne s'agit pas d'une menace qualifiée seulement de "terroriste" qui menace les démocraties, il s'agit du troisième totalitarisme planétaire auquel l'humanité doit faire face. Que celui-ci avance par coup de boutoirs terroristes ou par offensives culturelles à coup de voile islamique et de "dénonciation de l'islamophobie". Ce droit à la différence est un leurre que l'OCI (Organisation de la Conférence Islamique) a avancé dès l'année 2001 à la conférence de l'ONU à Durban.

 

Depuis 1979 et la révolution islamique en Iran, les deux islams, sunnite et chiite, sont en concurrence. Qui sera le plus offensif, qui sera le plus conquérant. La première ligne de front symbolique et réelle se nomme Israël, la seconde se situe dans les parties faibles où une forte présence islamique peut changer la donne: l'Europe et la France en particulier, l'Afrique sub sahélienne. Faut-il être aveugle pour ne pas voir la cohérence des faits qui se sont déroulés depuis le 11-Septembre? Des tours du World Trade Center à Mohamed Merah, des attentats de Madrid et de Londres, de ceux de Bombay et Mombasa, le sang a coulé pour la gloire d'Allah. Des fatwas contre les Versets sataniques aux menaces contre les caricaturistes de Mahomet c'est la même offensive visant à imposer l'intolérance au nom de la lutte contre l'islamophobie.

 

Ce gramcisme islamiste séduit les aveugles en manque de repentance post coloniale. C'est le grand mérite de François Hollande d'avoir proposé, en Algérie, une sortie, honorable pour tous, des problèmes du passé. Cinquante ans après la fin des guerres coloniales, chacun est désormais comptable de sa propre histoire. Cependant, celle-ci joue de drôles de tours: avec les supposés printemps arabes, les peuples arabes seront passés de la peste des dictatures pro-occidentales au choléra des fanatiques et c'est l'ordre des Frères qui tente de dire la loi. En Tunisie, en Égypte, en Lybie, peut être demain en Syrie, c'est le goulag islamiste qui se profile. Tant que les Arabes et les musulmans ne se seront pas débarrassés de leurs chimères répulsives: les femmes et Israël, leur liberté se fera attendre. Or c'est de ce monde musulman en éruption que nous viennent des voix lucides. Et pour cause, pour en avoir subi les méfaits, eux savent de quoi ils parlent, car ils en ont payé le prix fort.

 

Or l'Occident négocie avec Téhéran et fait des courbettes à l'Arabie et au Qatar estimant que ces faux amis sont aussi des ennemis de nos ennemis. L'Iran prépare sa bombe, à la fois contre Israël, mais aussi contre nous, contre cet Occident maléfique. En quoi signifier aux ayatollahs qu'au-delà d'un certain seuil c'est la guerre qu'ils provoqueraient serait une attitude irresponsable? En décidant du choix des armes, la France a fait preuve de courage et détermination pour sa propre défense. Peut-on faire le même crédit à Israël pour le souci de sa survie? Il n'est jamais trop tard pour ouvrir grands les yeux, car ce sont nos libertés, ici même, qui seront en jeu si nous ne prenons pas la juste mesure de la menace.

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