Tribune
|
Publié le 11 Juin 2012

L’écrivain algérien Boualem Sansal invité au salon des écrivains de Jérusalem : un événement considérable

Par Jacques Tarnero

 

Qu’un écrivain issu du monde arabe accepte de venir dialoguer en Israël, avec d’autres écrivains israéliens, voilà une attitude qui n’est pas fréquente par les temps qui courent. Que cet écrivain soit de surcroit algérien est encore plus étonnant, tant l’Algérie a fait de la condamnation d’Israël un quasi principe de sa politique. Voilà pourquoi la venue et la présence chaleureuse de Boualem Sansal en mai 2012, à Jérusalem constitue un événement considérable à plusieurs titres. 

Symbolique d’abord : en venant  publiquement en Israël l’auteur du « Village de l’allemand » brise un totem solidement installé dans l’imaginaire arabo musulman, celui de donner corps au non-être, au sortilège maléfique, nommé « entité sioniste ». Il brise aussi un tabou : celui de l’interdit d’aller y regarder de près en bravant l’accusation de traitrise. Boualem Sansal a osé venir voir, serrer des mains, discuter, rencontrer des êtres de chair, de sang, d’esprit et d’affects. Il fallait être témoin de l’immense émotion de ces rencontres entre juifs nés en Algérie, ces juifs berbères, ces juifs pieds-noirs avec celui qui est venu de là-bas, du pays abandonné, de la terre de l’enfance, là où demeurent les tombes des parents, des grands parents. « La bas », c’était devenu la terre hostile, celle qui souvent dénie son passé juif. Et puis par la magie de ce geste, par sa seule présence, Boualem Sansal a renoué les fils brisés. Plus fort que mille discours, mille colloques, de sa voix tranquille et douce il a su dire une empathie. Loin de tout discours idéologique il a d’abord regardé le visage de « l’autre » et lui a souri. Cinquante ans de rejet et bien plus de douleurs se sont effacés pendant les quatre jours de cette visite. Pour ce geste extraordinaire, pour cette démarche non dissimulée, publique, connue de tous, du pouvoir algérien, des islamistes du Hamas, Sansal est considéré comme un traitre et comme tel rejette, vilipendé, condamné. Cet homme, dont on ne prend pas à sa juste mesure l’immense capacité à « penser ailleurs » et donc l’immense courage,  a fait au plan intellectuel une démarche qui devrait donner à penser à tous ceux, acteurs ou commentateurs continuent à faire d’Israël l’épicentre du Mal autant que la raison principale du malheur arabe. Ensuite, c’est au plan politique que la venue de Sansal en Israël pourrait faire bouger les lignes. Il pourrait en creux mettre à nu les constantes de ce monde arabe qui préfère toujours attribuer à Israël les responsabilités de son impéritie. « Le village de l’Allemand » racontait la participation nazie au nationalisme algérien. On connaissait déjà l’alliance du grand muphti de Jérusalem Hadj Amin El Huseini avec Hitler, on connaissait aussi les amitiés du banquier nazi suisse François Genoud avec Nasser puis avec Ben Bella, on connaissait moins ce que nous raconte le roman de Sansal. Ces lourdes bavures du « palestino progressisme » n’étaient-elles que des bavures ? Ou bien au contraire n’étaient-elles pas structurellement constitutives des divers nationalismes arabes ayant mené, par ailleurs à la lutte contre la colonisation et la France en particulier ? Avec les succès des Frères musulmans dans le monde arabe aujourd’hui, cette hypothèse de la rencontre triomphale de l’islamisme avec le nationalisme arabe, un temps laïc, renvoie à une autre grille de lecture de ce monde. Ce que les anticolonialistes avaient espéré s’est retourné en son contraire : le progressisme arabe a fait long feu. L’illusion laïque des Baas ou du nassérisme solde son échec : un fascisme islamiste court désormais dans le monde arabe et dans l’espace de l’Islam et Boualem Sansal connaît son sujet : plus de cent cinquante mille personnes ont été tuées en Algérie pendant la décennie sanglante due au succès du FIS et du GIA dès 1988. A l’époque, en France les belles âmes posaient seulement la question : « qui tue qui ? » contrariées par la dissipation de leurs illusions passées. Aujourd’hui, en Syrie plus de 13000 syriens ont été massacrés par un régime qui n’hésite pas à exécuter son propre peuple sans qu’aucun « indigné » français ne vienne dire son indignation. Bien au contraire ce sont des manifestations obsessionnelles de haine d’Israël qui se multiplient dans l’espace public. On ne dira jamais assez que le malheur arabe a pour principal responsable ce que des arabes ont fait de leur histoire et on ne dira jamais assez ce que « l’humiliation arabe » doit a ses propres leaders. Sans être un exégète du texte coranique, c’est bien davantage chez ceux qui parlent en son nom, qu’il faut aller chercher la source du fanatisme islamiste. Ce constat Boualem Sansal l’a fait et l’a dit. Pour le plus grand malheur des peuples de l’espace arabe et de la sphère musulmane une culture de haine, celle de la haine du juif, a servi et sert aujourd’hui de prêt à penser. On reste surpris que cette parole dissidente ait rencontré si peu d’échos dans les médias français On reste surpris par le peu d’intérêt intellectuel pour un tel événement partagé entre l’Institut français de Tel-Aviv et la rencontre de Jérusalem au salon des écrivains. A croire que cette pensée si peu politiquement correcte devait être délibérément  ignorée. Puisse Boualem Sansal être l’ambassadeur, l’avant garde, d’un renouveau intellectuel dans le monde arabe libéré de son aliénation majeure. Sansal qui se présente comme berbère et issu du multiple métissage de l’Afrique du Nord tend une main que tous ceux qui se réclament de l’universalité du genre humain doivent saisir avant qu’elle ne disparaisse.

 

Ne faudrait-il pas aussi désespérer la place Tahrir pour qu’elle ouvre enfin les yeux ?

Maintenance

Le site du Crif est actuellement en maintenance