Tribune
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Publié le 4 Août 2014

La cécité de l'Occident devant le désastre arabe et islamiste

Par Jacques Tarnero, publié dans le Huffington Post le 31 juillet 2014

L'espace arabe est dans le chaos, mais a fait de la Palestine son drapeau.  

Que le Hamas soit le drapeau de la Palestine constitue un désastre complémentaire.

Que l'islamisme soit le moteur idéologique de l'espace arabo-musulman est un autre désastre et une menace pour tous.

Que des forces de gauche soutiennent une Palestine prise en otage par le Hamas est un naufrage intellectuel et politique.

Ce constat est terrible et mérite d'être regardé en face.

Photo D.R

De l'océan Atlantique aux rivages de la Chine, les islamistes n'instaurent que fureur, chaos et délires. Au sud du Sahel, cette même fureur sème la terreur au Mali, au Niger. Des centaines de jeunes filles ont été kidnappées au Nord du Nigéria, coupables de vouloir aller à l'école. Un nouveau Calife délirant menace la Mésopotamie et le grotesque dispute à l'épouvante la scène de cette tragédie antique. En Afghanistan, les talibans attendent leur heure. Pour le moment ils assassinent les jeunes filles qui elles aussi, osent aller à l'école. En Iran les mollahs font tourner les centrifugeuses pour préparer leur bombe atomique. Dans le même temps ils pendent les homosexuels. En Arabie saoudite on coupe, au sabre et en public, la tête de ceux qui contreviennent à la charia. Dans les Emirats, en Jordanie, en Afghanistan on lapide la femme adultère ou bien la jeune fille violée. L'honneur des tribus ne saurait souffrir une quelconque atteinte. Dans les pays du Golfe, on construit des tours de 800 mètres de haut pour atteindre le paradis et des pistes de ski sous cloche réfrigérée et au Qatar, notre ami le Qatar, des esclaves asiatiques y construisent des stades climatisés pour préparer la coupe du monde football de 2022. Les Etats inventés par les Européens au Proche-Orient, après 1918, se décomposent sous nos yeux. L'Irak, la Syrie, la Libye, le Liban, disparaissent en tant qu'Etats-nations. Les frontières inventées par la colonisation au sud du Sahel fondent de la même manière au profit des Boko Aram et autres salafistes, jihadistes, islamistes. Le port du voile étant devenu quasiment obligatoire dans certaines banlieues de France, des municipalités de gauche de gauche ont décidé d'honorer quelques terroristes islamistes pour faire bonne figure et s'assurer une clientèle électorale. Dans le même temps c'est Israël qui est conspué.

S'agit il d'une caricature inspirée par une islamophobie de mauvais goût? Des "chariaologues" inspirés viennent à la télévision dire que tout cela n'est pas inquiétant et que c'est la présence d'Israël qui a perturbé l'équilibre ancien. De ce jeu planétaire, l'Occident s'en accommodait et rapportait beaucoup de pétrodollars à certains. La décomposition de l'Union Soviétique a bouleversé la donne ancienne. Après avoir espéré la paix universelle dans une mythique "fin de l'histoire" voilà que c'est le "choc des civilisations" qui désormais se profile à l'horizon et c'est tant pis pour tous ceux qui avaient vu dans les "printemps arabes", l'aube d'un nouvel avenir radieux. Hélas, pour les illusions de tous, c'est l'hiver islamiste qui succéda au printemps, mais le déni idéologique du réel est tel, chez certains, en particulier à gauche, que la raison de ce désastre porte le nom d'Israël. Incapables de penser cette exception, ce nom est devenu un nom de trop.

La grille de lecture du monde est longtemps restée de nature économique, nourrie de rapports de force entre blocs d'intérêts et puis voilà qu'à une planétaire lutte des classes succède la lutte des tribus, des ethnies et des religions. L'anthropologie est nécessaire pour comprendre la décomposition libyenne, celle de la Syrie ou celle de l'Irak. On n'ose formuler une hypothèse: et si le désastre arabe était désastreux d'abord parce qu'il est islamiste? N'y aurait il pas un fondement d'un évident bon sens à cette crainte actuelle de l'islam? Ne correspond-elle pas à une réaction, face aux bienfaits de l'islamisme dans le monde contemporain? Bien sûr, il ne faut pas jeter le bébé d'Averroès ou d'Ibn Khaldoun avec l'eau du bain du Calife, mais tout de même n'y a-t-il pas un problème avec cet islam proliférant devenu fou, furieux, intolérant? Pourquoi est-il incapable de se réformer, de se penser? Pourquoi ne lit-on jamais ou très rarement des pétitions d'intellectuels d'origine arabomusulmane pour crier: "Pas en notre nom! Pas au nom de l'islam!" Quelle est cette incapacité arabe à porter un regard critique sur ce que des Arabes ont fait de l'histoire arabe? Le texte sacré coranique aurait été écrit par Allah lui même et serait donc intouchable. Respectons la foi qui inspire la transcendance, mais cela interdit-il de penser à côté? Pourquoi le goulag islamique garrote-t-il les esprits jusqu'en Europe, jusqu'à Sarcelles? Il y a quelque chose d'énigmatique dans cette fossilisation.

Que signifie cette haine pavlovienne d'Israël? Qu'est ce que représente Israël dans l'imaginaire arabe? Israël humilierait les Arabes par sa seule existence? Ne serait-ce pas plutôt le désastre islamiste qui devrait humilier les arabes? Israël représente le reflet renversé de ce désastre. Regardons une carte. Voilà un pays pas plus grand qu'un confetti qui dame le pion à la moitié de deux continents et à six cent millions d'individus. Dans le même temps, ces six cents millions d'individus traduisent en arabe moins de livres étrangers que n'en traduit la Belgique (rapport du PNUD 1998). Effectivement il y a de quoi être vexé par ce reflet renversé, mais au lieu de relever le défi c'est le porteur du défi qu'il faut anéantir comme s'il avait d'abord et avant tout, dans cet espace de personnes moustachues et/ou barbues, attenté à la virilité arabe humiliée dans ses défaites militaires face à Israël. Est-ce cela la source du malheur arabe? Celui qui enveloppe la femme et la dissimule au regard, au nom de l'islam et de la charia, voit-il dans cet Israël démoniaque la représentation de ses frustrations?

On est porté à penser que le cœur du décalage culturel entre islam et Occident est de cet ordre. Des lors, les esprits éclairés, ceux inspirés par les Lumières, devraient combattre cet obscurantisme régressif. L'idéal d'autonomie, celui de liberté des individus, devrait regarder avec effroi ces sociétés d'enfermement où l'individu n'existe pas. Ce regard lucide, les intellectuels d'Occident l'ont déjà porté sur ces mondes totalitaires qui déjà faisaient de la figure juive l'objet repoussoir. Arthur Koestler, Georges Orwell, Simon Leys, Albert Camus avaient saisi avant tout le monde ce qui du communisme partageait avec le fascisme la haine de la liberté. Avec délectation et aveuglement, déjà, d'autres intellectuels pensaient le communisme juste parce que théoriquement fondé. Au diable la vérité ou la liberté puisque le concept permettait d'élaborer des équations justes. Cet amour erroné de modèles théoriques tordus fonctionne toujours de nos jours: à partir d'une lecture économique fondée (misère des peuples) mais erronée (richesse des potentats, corruption des dirigeants), certains voient dans l'affrontement entre la Palestine et Israël, l'affrontement d'un Sud pauvre contre une puissance coloniale. L'argent que notre ami le Qatar investit dans ses stades réfrigérés aurait de quoi faire vivre dix Palestine.

Que signifie la haine du Juif inculquée depuis l'enfance sinon inventer un objet repoussoir qui interdit de penser sa propre condition. Pourquoi est-ce ici, en France, à Trappes, à Sarcelles ou rue de la Roquette que quelques illuminés se sont battus aux cris de "Allah Akbar!" ("Dieu est grand!")? Quand les islamistes découpent au couteau la tête d'un ennemi, d'un mécréant, d'un Croisé ou d'un Juif, c'est aux cris de "Allah Akbar!" que ce malheureux est égorgé. La décapitation de Daniel Pearl en fut le premier exemple. Il faut regarder ces images atroces diffusées à profusion sur Internet par les auteurs de ces gestes pour prendre la mesure de ce que ces gestes symbolisent. La culture du martyr, la glorification de la bombe humaine (faussement qualifiée "d'attentat suicide" par les médias occidentaux) est l'autre face (sanglante) de ce rapport au monde.

Enfoui dans son confort (tout relatif) l'Occident en paix depuis 70 ans, a fait du rapport production/consommation le noyau dur de ses modes de vie. A côté de lui et désormais chez lui, c'est une autre vision du monde qui s'est installée dans une extraordinaire schizophrénie. Ce sont des musulmans intégrés dans la société qui ont commis les attentats de Londres. Ce sont des jeunes Nigérians présents depuis longtemps dans la société anglaise qui ont massacré au hachoir un soldat britannique à Londres en 2013. A Boston, ce sont deux frères d'origine tchétchène, installés depuis longtemps aux USA qui ont posé les bombes du marathon. Khaled Kelkal, Mohamed Merah présentaient des profils proches. Mal intégrés, shootés à l'islamisme, ils ont trouvé dans une exaltation identitaire une raison d'être autant qu'une raison de tuer.

Ou bien, en Europe et en France on est capable d'intégrer ces données factuelles, de réfléchir sur elles, ou bien on continue à dénier à ce réel sa réalité. C'est donc de logiciel intellectuel qu'il faut changer. Aux catégories des années 50/60 dominées par une grille de lecture politique (dominants/dominés) ou économique (lutte de classe/moyens de production/propriété), il faudrait reprendre et reconsidérer ce que Levi Strauss écrivait déjà dans Tristes Tropiques sur l'étanchéité du monde né de l'islam et des sociétés arabes. Germaine Tillon, pourtant peu suspecte de complaisance coloniale pointait, elle aussi, la spécificité de l'hostilité de la société arabo-musulmane dans sa lutte contre la colonisation française en Algérie. Déjà les prémices d'un projet de purification ethnique sur une base islamique, pointaient sous les discours anti colonialistes. Jusqu'à ce jour, cet aspect-là des choses, cette dimension ethno-religieuse a peu été prise en compte par ceux qui ont travaillé sur les mouvements d'indépendance en Afrique du Nord et la guerre d'Algérie. Celle-ci ne pouvait être que juste et bonne et c'est un regard idéologique bienveillant qui fut d'abord porté sur la guerre faite par le FLN à la France. Les crimes du FLN, le massacre au faciès des Européens, des Français à Oran le 5 juillet 1962 ont été oubliés dans les poubelles progressistes de l'histoire grâce aux bons conseils dispensé par Jean Paul Sartre dans sa préface aux "Damnés de la terre" de Franz Fanon: un bon européen est un colon mort, lui, sa femme et ses enfants, écrivait en l'occurrence l'auteur des "Mains sales".

S'il ne s'agit pas d'essentialiser les cultures nées de l'islam, il s'agit de prendre la mesure du télescopage culturel en cours dont les Juifs constituent la ligne de front et dont la Palestine est le prétexte. Au Proche-Orient c'est la même partie qui se joue. Comment peut on imaginer un accord entre les parties quand l'un des partenaires dénie à l'autre son droit à exister? La majorité politique pilotée par Netanyahu n'est pas prolixe en gestes généreux ni en imagination prospective et il se développe en Israël une frange d'extrémistes ou d'illuminés dangereux pour la démocratie. La nébuleuse du "prix à payer" est un poison pour la société israélienne. Elle est le symptôme d'une perte de sens et de mesure. Elle est le produit des formes les plus obscurantistes de l'intégrisme religieux juif, le même qui a inspiré le bras meurtrier de Yigal Amir, l'assassin de Yitzhak Rabin en novembre 1995 ou celui de Baruch Goldstein à Hébron un an plus tôt. L'assassinat de ce jeune palestinien brûlé vif en vengeance des assassinats des trois adolescents juifs, témoigne de cette pente dangereuse. Malgré la condamnation unanime de la classe politique, ce risque est présent dans la société israélienne. Il est le corollaire de la corruption de certains esprits confrontés à une violence et à une menace infiniment répétée.

L'Europe est elle encore capable de penser cela? Est-on capable de penser ce que signifie vivre dans un pays dont la largeur ne dépasse pas 20kms, entourés par des télévisions qui débitent à longueur de journée des appels à la haine, au massacre. Depuis près de 70 ans, les Israéliens vivent dans ce climat, au rythme des attentats et des guerres, mais depuis 70 ans, ils ont simultanément bâti un pays, développé une culture, composé des musiques, écrit des livres nobélisés, développé des sciences et des techniques pour le bien de l'humanité. Israël aime la vie tandis que le Hamas célèbre la mort et c'est bien l'autre terme de cette tragédie sans fin.

En s'attaquant au Hamas, Israël se défend autant qu'il libère les Palestiniens de ce joug mortifère. Est-on capable de comprendre cet enjeu, ici en France? Est on capable en Europe de mettre en cause sa grille de lecture pré-construite, ses clichés? Et si c'était Israël qui mettait en question nos schémas de pensée? Osons la question en d'autres termes: et si Israël se battait pour NOUS?