Tribune
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Publié le 29 Août 2014

L'antisémitisme en hausse en Europe: où sont les défenseurs des droits de l'homme?

Publié dans le Huffington Post, le 29/08/2014

 

Par Giovanni Matteo Quer

Chercheur au centre de recherche israélien NGO Monitor et au "European Forum", Université Hébraïque de Jérusalem

Inspirées par la solidarité avec le peuple palestinien, les manifestations pro-Gaza se sont transformées en cortèges antisémites: incitations à tuer les juifs, assauts aux propriétés juives, appels au boycott des commerçants juifs, swastikas accolées aux symboles israéliens. Et tout autour des bannières, des manifestants criant contre Israël des slogans inspirés par les fausses accusations de crimes de guerre et d'autres atrocités, formulés par les organisations des droits de l'homme.

 

Il y a quelque chose qui ne marche pas. Si on se propose de critiquer la politique de l'Etat d'Israël, mais on se sert des mêmes critiques et incriminations employées pour manifester la haine antisémite et justifier les agressions contre les juifs, alors on devrait peut-être considérer ce qu'il y a d'incorrect dans un langage pareil ou, du moins, reconnaître ses conséquences sur l'incitation à la haine.

Certes, France, Allemagne et Italie ont résolument condamné les manifestations antisémites qui ont eu lieu en Europe. Mais on attend encore une condamnation des groupes qui ont provoqué cette atmosphère, c'est-à-dire les organisations non-gouvernementales (ONG) actives dans le conflit arabo-israélien. Les manifestants ayant repris les mêmes accusations des ONG, on s'attendrait à une prise de distance de la haine antisémite qui s'est exprimée dans ces manifestations.

Bien que l'antisémitisme soit reconnu comme une catégorie spécifique du racisme, les organisations des droits de l'homme se désintéressent de la lutte contre cette forme de haine, en laissant aux organisations juives le poids de cette responsabilité.

Au moment où l'antisémitisme n'est considéré que comme "une affaire exclusivement juive", comme s'il ne rentrait pas dans la cause de droits de l'homme, on en réduit l'essence intrinsèquement raciste et par conséquent on empêche toute critique aux liens inquiétants entre les positions anti-israéliennes et l'explosion de la haine antisémite liée au conflit au Moyen Orient.

En effet l'usage réitéré des clichés antisémites par les manifestants anti-israéliens est lié à l'activité politique anti-israélienne de plusieurs organisations des droits de l'homme, comme Amnesty International, la Fédération des Droits de l'Homme.

Face à ce problème, l'Union Européenne ainsi que la société civile paraissent inertes. En décembre 2013, la "Fundamental Rights Agency" (FRA), qui s'occupe de droits de l'homme au sein de l'Union Européenne, a éliminé de son site internet la définition d'antisémitisme, élaborée en 2005 par le "European Monitoring Center on Racism and Xenophobia", par la suite remplacé par la FRA. Selon cette définition, associer Israël au régime nazi était une manifestation d'antisémitisme.

S'occupant de racisme et d'antisémitisme, la FRA a révélé dans son rapport de 2009 une hausse de l'antisémitisme en rapport au conflit arabo-israélien, mais a évité d'en enquêter les raisons tant politiques que religieuses, et de formuler des conseils politiques efficaces pour faire face à ce phénomène.

Une autre organisation est sur la même ligne: le groupe "European Network Against Racism" (ENAR) vient de condamner les récents assauts antisémites, sans toutefois perdre l'occasion de censurer Israël, en affirmant dans un communiqué du 31 juillet 2014 que la liberté d'expression "ne devrait d'aucune manière conduire à la haine raciale contre des communautés qui sont liées aux pays dont les politiques violent les droits fondamentaux d'autres populations".

L'ENAR donc évite d'aller au fond de la question où les critiques à Israël, se basant sur des accusations infondées, jointes à la solidarité au peuple palestinien, donnent lieu souvent à des manifestations antisémites.

On peut aussi relever que ce phénomène inquiétant n'est pas vraiment le premier souci des ONG qui devraient lutter contre le racisme en Europe et défendre les droits de l'homme au Moyen Orient. Au contraire, Amnesty International ne cesse pas de discréditer Israël en l'accusant de crimes de guerre, et de conduire en même temps une campagne contre le racisme des politiques européennes en matière d'immigration, sans même se soucier des incidents antisémites à Paris, à la Haie, et dans d' autres villes.

La FIDH a condamné dans le passé la violence antisémite, comme l'attaque au Musée Juif de Bruxelles en mai 2014, et a aussi eu l'occasion de déclarer en 2009, quand le conflit armé entre Israël et le Hamas avait causé les mêmes réactions dans les villes européennes, que

"La vague de colère contre le gouvernement israélien à cause de ses crimes dans les Territoires Palestiniens Occupés incluait clairement des affirmations antisémites".

 En dénonçant l'antisémitisme et, en même temps, en dénigrant Israël, FIDH ne veut toutefois pas reconnaître le lien entre les campagnes contre Israël et les manifestations d'antisémitisme.CCFD-Terre Solidaire arrive même au point de dénoncer une supposée politique française en faveur d'Israël: lorsque le gouvernement français avait interdit d' ultérieures manifestations pro-Gaza à cause du déchaînement de l'antisémitisme, cette organisation a blâmé la prise de position du gouvernement, en soutenant que bien sûr "l'antisémitisme doit être combattu", mais

"Il est essentiel aujourd'hui de prendre en compte la frustration et la colère des citoyens contre la politique des deux poids et deux mesures de la diplomatie française en faveur d'Israël, et leur indignation devant le feu vert donné ... aux dirigeants israéliens pour poursuivre leur campagne de terreur"

 En plus, selon CCDF-Terre Solidaire, la décision du gouvernement serait une tentative « de détourner l'attention générale de la question essentielle: l'occupation israélienne de la Palestine et ses conséquences dramatiques ».

L'idéologie anti-israélienne qui imprègne plusieurs de ces organisations ne fait qu'alimenter l'antisémitisme, exploitant souvent la solidarité pro-palestinienne. La mission de ces organisations étant de promouvoir les droits de l'homme et la lutte contre le racisme, il faut qu'elles prennent une position claire et catégorique contre l'antisémitisme. Il faut également que le réseau des organisations des droits de l'homme commence un procès de critique interne, afin de discerner les raisons pour lesquelles leur agenda politique exaspère la haine anti-juive.

Manquer de faire ça ne signifie que l'échec du mandat qu'elles se sont données, c'est à dire défendre les droits de l'homme.