Tribune
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Publié le 7 Mars 2013

Le long calvaire des zoroastriens d’Iran

 

Par Sandra Ores pour la Mena

 

Ils étaient 300 000 durant les années du Shah, les zoroastriens comptent aujourd’hui moins de 20 000 âmes en Iran. Au mois de janvier 2013, les disciples de Zoroastre célébraient Sadeh, la fête du feu. À cette occasion, nombre d’articles de la presse iranienne et internationale dépeignaient, dans les alentours de Téhéran, des corps dansants, coiffés de visages réjouis illuminés par les flammes. Minorité religieuse au sein de la "République" islamique, quelle vie mènent aujourd’hui les zoroastriens sur leur terre ancestrale ?

 

En Iran, les zoroastriens ont tissé un réseau d’associations ; ils se regroupent également dans les ateshkadeh, les temples où ils se réunissent pour prier et où brille un feu éternel. Cherchant à établir un contact avec des zoroastriens d’Iran, ma démarche se heurta à des obstacles conséquents.

 

Au bout de la ligne, le téléphone sonnait, on décrochait ; mais, le timbre d’une voix provenant de l’étranger, s’exprimant en anglais, occasionnait systématiquement la même réaction : on me raccrochait au nez. Et ce scénario se répétait, à plusieurs reprises, quelle que soit la personne ou l’organisation sollicitée.

 

Je tentais également une approche en envoyant des courriers électroniques. Là encore, tandis que les zoroastriens du reste du monde, d’Inde, des États-Unis, du Royaume-Uni, se faisaient un devoir de me répondre avec courtoisie, mes emails s’apparentaient à des bouteilles à la mer jetées en vain dans le golfe persique.

 

Les zoroastriens d’Inde et d’Occident m’aidèrent à éclairer ma lanterne. Tandis que le responsable d’une communauté établie en Inde me soutenait mordicus que les zoroastriens iraniens se portaient très bien, un prêtre indien, lui, se montrait alarmiste ; il m’affirmait, péremptoire, que les zoroastriens d’Iran étaient persécutés et qu’il ne mettrait jamais les pieds dans ce pays, car c’était bien trop dangereux pour lui.

 

Un autre membre de l’Organisation Zoroastrienne Mondiale, sans trop me fournir de détails, m’indiqua simplement avoir eu vent du fait que les adeptes iraniens de sa communauté s’étaient assimilés au reste de la population.

 

Je ne savais que conclure, jusqu’à ce que je réussisse à parler avec une femme, iranienne d’origine, mais résidant aujourd’hui en Europe. Elle s’ouvrit à moi sans réserve, se montrant à même de me donner des informations plus concrètes sur la vie de ses congénères restés au pays.

 

"Je vous prie de rester discrète, s’il vous plaît", me prévient-elle. "Ce que je dis pourrait mettre en péril la vie de ma communauté en Iran ; je veux lui rendre service et non la détruire".

 

Se souciant ensuite de sa propre vie, elle ajoute : "Si vous pouviez éviter de citer mon nom, je préfèrerais". Elle rapporte en effet que, ces derniers mois, trois personnalités zoroastriennes ont été assassinées à Paris, Madrid, et au Tadjikistan.

 

Selon cette femme, qu’au long de l’article je nommerai Zara, les autorités de la théocratie perse auraient voulu la réduire au silence, la soupçonnant de tenter de "faire connaître sa religion hors de la "République" islamique, ainsi que la situation dramatique dans laquelle sa communauté y survit".

 

En Iran, les zoroastriens forment une minorité tolérée par le régime. Ils disposent, au Majles, le parlement iranien, d’un siège qui leur est réservé, parmi les cinq sur 290 qui reviennent aux communautés non musulmanes du pays, dont, entre autres, les chrétiens et les Juifs.

 

Cependant, dans la vie de tous les jours, afin de vivre selon leur foi, leur culte et leurs traditions, les zoroastriens doivent faire preuve de prudence et de discrétion, au risque de s’attirer les foudres des autorités gouvernementales.

 

Les zoroastriens sont répartis entre Téhéran et Yazd. Yazd, l’une des plus anciennes villes du monde, se situe sur le plateau central iranien, entourée de lacs salés. Cette ville de 420 000 habitants, dont quelque 5 000 zoroastriens, constitue un centre de la culture zoroastrienne depuis l’époque de la domination sassanide (voir article Qui se souvient des zoroastriens ?).

 

C’est également à Yazd que les zoroastriens vivent au plus près des traditions ancestrales, et les femmes s’y distinguent toujours en revêtant des toilettes tissées de fils de coton et de soie multicolores.

 

L’héritage culturel du zoroastrisme, comme les temples, la littérature, les célébrations traditionnelles, attire, pour sa déveine, nombre de musulmans d’Iran.

 

Rappelons que cette religion monothéiste trois fois millénaire fut la religion officielle de l’empire iranien sous la dynastie des Sassanides, avant la conquête islamique de la Perse. Cependant, au cours des siècles, suite à des assimilations ou des conversions forcées, nombre de zoroastriens ont adopté l’islam.

 

Zara me confie : "Certains musulmans souhaitent revenir à des valeurs ancestrales et retrouver une religion plus ancienne, car l’islam ne leur convient plus ; ils reprochent à cette foi la baisse de la qualité de vie en Iran, ainsi que l’avènement de douleurs et de souffrances qui ont remplacé la joie et la gaîté".

 

Pour Zara, cet engouement pour le zoroastrisme s’avère susceptible de créer des ennuis à sa communauté. "Nous pourrions nous voir accusés par le régime de nous livrer à de la propagande ; de tenter d’encourager des musulmans à rejoindre notre religion - ce qui n’est pas le cas".

 

Zara ajoute : "Les mollahs dénoncent le zoroastrisme, car ils le craignent. S’il existait une liberté religieuse en Iran, il est certain qu’un nombre significatif de musulmans souhaiteraient se convertir". Nous de préciser qu’au sein de la dictature islamique, les conversions hors de l’islam sont passibles de la peine de mort.

 

Depuis la révolution de 1979, Zara n’ "ose plus aller en Iran". Femme de lettres, elle n’a jamais gardé ses réflexions et critiques pour elle-même. Elle rapporte : "Si je mettais le pied en Iran, je ne verrais vraisemblablement plus le jour. Comme d’autres journalistes, femmes, zoroastriens de la diaspora venus retrouver leurs racines, je serais emprisonnée, puis portée disparue".

 

Les zoroastriens d’Iran ne bravent toutefois pas le danger au quotidien. "Ils se sont habitués à la vie sous le régime, et ont appris à éviter les ennuis, en restant discrets", m’explique Zara.

 

Toutefois, parce qu’ils ne sont pas musulmans, leur quotidien se complique de maintes difficultés. "Des petites vexations distillées ici ou là", note Zara. "Dans la vie professionnelle, par exemple ; il est de mise, au sein du système des mollahs, afin de se faire embaucher dans certaines professions, de passer un examen d’islam. Or, lorsque l’on n’est pas élevé dans un environnement familial islamique, comment peut-on avoir connaissance de toutes les réponses ?", lâche-t-elle. Pour des raisons identiques, certaines universités demeurent ainsi fermées aux minorités, zoroastriens, chrétiens ou Juifs.

 

Zara regrette, avec ses coreligionnaires, que la joie ne soit pas aussi présente dans leur vie qu’elle devrait l’être. Un crève-cœur pour les zoroastriens, pour qui les fêtes, les célébrations et la gaieté constituent des aspects essentiels de la conception du monde.