Tribune
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Publié le 13 Février 2013

Le prochain retour de l'Iran?

 

Par Ardavan Amir-Aslani, avocat en droit des affaires internationales

 

Ces dix derniers jours ont été des jours particulièrement mouvementés sur la scène diplomatique internationale en ce qui concerne la question iranienne. Encore plus significatif que le voyage historique du Président iranien au Caire, à l'occasion du Sommet de la Conférence Islamique, il faut retenir la valse d'offres et de contre-offres entre les Américains et les Iraniens depuis samedi dernier.

 

 

En effet, lors du Sommet sur la Sécurité de Munich, le vice-président américain, Joe Biden, a tendu la main à l'Iran en proposant la tenue de discussions bilatérales directes entre les États-Unis et ce pays. Cette offre surprise a quelque peu pris de court les dirigeants iraniens qui ne s'attendaient franchement pas à une invitation au dialogue aussi directe qu'inattendue.

 

Ils sont en effet plus habitués à entendre la fameuse phrase belliqueuse "toutes les options sur la table" qu'une invitation à s'asseoir "autour d'une table".

 

Une proposition surprenante, un accueil favorable

 

Le ministre iranien des Affaires étrangères qui assistait à cette même conférence, visiblement surpris, a accueilli favorablement cette offre en déclarant même qu'un vent nouveau semblait souffler sur le deuxième mandat de Barack Obama.

 

Il est vrai que le choix du Président américain réélu pour les postes éminemment stratégiques du Département d'État en la personne de John Kerry et de celui de la Défense de Chuck Hagel, tous deux favorables davantage à la diplomatie qu'aux armes, présageait positivement du dialogue à venir. Dialogue que, au demeurant, les dirigeants iraniens appelaient de leurs vœux avant les élections présidentielles américaines.

 

Or l'offre de Joe Biden est une première depuis plus de trois décennies, même s'il y a eu, de par le passé, des rencontres bipartites entre les représentants des deux pays sur des questions régionales comme celles posées par la guerre de 2003 avec l'Iraq de Saddam et celle de l'Afghanistan.

 

Un pas en avant longuement réfléchi

 

Il est inenvisageable de considérer que l'offre de Biden n'a pas été réfléchie et mûrie longtemps en avance. Les pourtours et les conséquences pesés et analysés.

 

En effet, une proposition de cette nature, qui rompt radicalement avec la politique suivie à ce jour - c'est-à-dire celle qui consiste à cantonner les discussions avec les Iraniens au groupe de 5 +1, les pays membres permanents du conseil de sécurité plus l'Allemagne- est une véritable novation. Joe Biden a même précisé que l'offre tenait dès lors que l'Ayatollah Khamenei, autorité suprême de l'Iran, aborderait avec sérieux ces discussions.

 

Or voilà qu'on a pu lire sur le site web de ce dernier qu'il rejetait en bloc cette offre, déclarant même que seuls les naïfs pourraient croire à la sincérité des Américains alors que le régime des sanctions, chaque jour durci davantage, pèse lourdement sur l'économie iranienne.

 

Mais la réaction du guide est-elle une vraiment inattendue pour les Américains? À mon sens, il serait simpliste de considérer que les Américains n'aient pas envisagé un tel refus de la part du guide suprême.

 

Alors que cherchait à atteindre cette offre?

 

D'abord, montrer au peuple iranien, durement frappé par les sanctions, que l'Amérique était prête au dialogue et que si la main tendue était rejetée, ce n'était pas de leur fait, mais du fait du guide. Ainsi, le Guide, tant vis-à-vis du peuple iranien que des formations politiques hostiles en présence localement, passerait pour celui qui, par son irrédentisme, empêcherait le dialogue qui pourrait aboutir la fin des sanctions.

 

Le refus de dialogue du Guide le place ainsi dans la position délicate de celui qui bloque le retour de l'Iran sur la scène internationale et qui perpétue la souffrance des Iraniens.

 

Car tous les dirigeants iraniens, toutes tendances confondues, ne demandent que ça. Le dialogue direct avec les États-Unis. Le Guide, lui-même, ne déroge pas à ce principe. Ce qu'il veut empêcher par son refus, ce n'est pas tant les discussions bilatérales que la tenue de ces discussions sous le mandat d'Ahmadinéjad à moins de cinq mois des élections présidentielles iraniennes.

 

À Téhéran, le conflit entre le guide et Ahmadinéjad est à couteaux tirés

 

En effet, celui qui renouerait avec les Américains, qui réussirait un accord sur le nucléaire, qui mettrait ainsi fin au régime des sanctions, sans précédent dans l'histoire contemporaine, passerait pour un héros, le sauveur du pays. Un tel cadeau serait du pain béni pour le candidat qu'Ahmadinéjad, lui-même non rééligible, soutiendrait.

 

La question, à Téhéran, n'est pas "s'il" faut dialoguer avec les américains en vue d'un accord sur le nucléaire, mais "qui" va le faire et "quand" va-t-il le faire.

 

L'économie iranienne en ruine

 

Les sanctions ont réduit les exportations pétrolières à une peau de chagrin, à un niveau historiquement bas. Le système financier est coupé du monde. L'inflation est astronomique et la monnaie iranienne perd chaque jour de sa valeur.

 

Le pouvoir à Téhéran sait qu'une telle situation ne saura perdurer sans conséquence pour la pérennité du régime.

 

L'Iran n'est ni une île aux Caraïbes comme Cuba, ni une péninsule protégée par la Chine, comme la Corée du Nord. L'Iran ne peut vivre en autarcie pour encore très longtemps. Tous le savent à Téhéran.

 

Une menace aux frontières du territoire

 

Par ailleurs, les Iraniens voient la menace sunnite salafiste se rapprocher de leurs frontières.

 

Le départ des troupes américaines de l'Afghanistan ramènera les talibans au pouvoir et avec leur retour, la guerre civile. La révolte des provinces sunnites en Iraq présage mal de l'unité territoriale de l'Iraq et amène chaque jour plus près des frontières de l'Iran chiite, la menace sunnite.

 

Les Iraniens n'ont guère le choix. Il leur faut, et vite, aboutir à un accord avec les Américains. Le temps presse.

 

De même, pour les Américains, les perspectives régionales ne sont guère plus brillantes.

 

L'islamisme galopant du printemps arabe ayant remplacé des régimes dociles par des troublions des Frères Musulmans, comme Morsi en Égypte ou Ennahda meurtrier en Tunisie, annonce des jours difficiles pour l'occident.

 

Sans même faire mention du Pakistan, à deux doigts de tomber intégralement dans le camp chinois et qui a d'ores et déjà confié à Beijing la gestion de ses ports.

 

Ainsi, Washington sait très bien que pour contenir la Chine, il faut bloquer son accès vers les gisements miniers d'hydrocarbures du Moyen-Orient. Quel pays pourra faire face à l'essor chinois via le Pakistan, si ce n'est l'Iran?

 

Le cas birman, la sortie de six décennies d'ostracisme en dix-huit mois avec à la clé des manœuvres militaires conjointes avec la marine américaine, est un cas d'école pour le retour prochain de l'Iran. De fait, l'offre de dialogue de Joe Biden est un vote pour celui des candidats aux présidentielles iraniennes qui tiendrait tête au Guide.

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