Tribune
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Publié le 12 Octobre 2012

Le rapport qui tord le cou aux idées reçues sur l'immigration

Par Sébastian Seibt

 

Le rapport "Trajectoires et origines : enquête sur la diversité des populations en France" publié par l’Insee et l’Ined mardi 9 octobre 2012 remet en cause certains clichés entretenus sur l'immigration. Mais il dresse aussi un tableau sombre de la situation.

Éducation, accès au marché du travail, discrimination salariale : le volet économique du rapport intitulé "Trajectoires et origines : enquête sur la diversité des populations en France" publié mardi par l’Institut national des statistiques et des études économiques (Insee) et par l'Institut national des études démographiques (Ined) n’évite aucun sujet qui fâche. Il démontre au contraire la persistance de très fortes disparités entre les immigrés et la population "majoritaire", malgré les efforts de plus en plus grands qu'ils fournissent pour s'intégrer. Chercheur à l’Ined, Cris Beauchemin est l’un des co-auteurs du rapport. Il en commente trois des principales conclusions pour France24.com.

 

Les enfants d’immigrés réussissent moins bien que leurs parents

 

À première vue, le rapport est sans appel. Le taux de chômage des enfants d’immigrés, notamment originaires d'Afrique subsaharienne et du Maghreb,  frôle ou dépasse la barre des 20 %, tandis que celui de leurs parents oscille entre 10 % et 15 %. Cette lecture doit toutefois être nuancée. "On ne compare pas ici les descendants à leur parents, mais à des immigrés du même âge qui ont souvent un niveau d’éducation supérieur", relève Cris Beauchemin. En fait, par rapport à leurs ascendants, les enfants d'immigrés ont connu une meilleure situation professionnelle, même si le phénomène reste minime. Dans la plupart des cas, les fils d’immigrés ouvriers vont, eux aussi, devenir ouvrier… mais ouvrier qualifié, souligne le rapport.

 

Les filles d’immigrés s’en sortent mieux que les garçons

 

Dès l’école, les filles d’immigrés s’en sortent mieux que leurs alter ego masculins. Elles décrochent bien plus souvent un diplôme d’éducation supérieur (33 % contre 25 %). "Ce qu’il faut souligner ici, c’est que les filles d’immigrés font même mieux que les filles du groupe 'majoritaire'", reprend Cris Beauchemin. Sur le marché du travail également, celles-ci s'en sortent mieux. "Le taux de chômage des femmes nées de parents issus de l'immigration est souvent inférieur à celui de leurs homologues masculins", peut-on ainsi lire dans le rapport. Une vraie spécificité de cette catégorie de population qui ne se retrouve pas dans le groupe "majoritaire". "Il ne faut cependant pas oublier que, par rapport aux hommes et au reste de la population, les femmes nées de parents immigrés se déclarent plus souvent 'au foyer' lorsqu’elles sont depuis longtemps au chômage", tempère Cris Beauchemin.

 

Les immigrés sont moins bien payés

 

"Il n’y a pas de doute là-dessus : après le chômage, le salaire est un important facteur de discrimination", relève Cris Beauchemin. Pour certaines populations, les écarts avec le groupe "majoritaire" sont particulièrement forts. Ainsi, les immigrés originaires d'Afrique subsaharienne gagnent, en moyenne, 13 % à 15 % de moins que des non-immigrés à des postes similaires. Une situation qui découle probablement du taux de chômage plus élevé parmi les immigrés (11 % des hommes et 16 % des femmes contre 9 % des actifs et 11 % des actives de la population "majoritaire"). Ils seraient alors plus prompts à accepter des salaires moins conséquents.

 

Ces différents constats permettent de remettre en cause deux idées reçues sur l'immigration en France. Le volet économique du rapport apporte d'abord un argument de poids pour combattre le cliché d’un repli identitaire au sein des populations immigrées. Cela est particulièrement vrai pour les femmes : leur réussite scolaire "peut s’expliquer par le désir des mères de voir leur fille s’émanciper par rapport au modèle qu’elles ont elles-mêmes subi", avance Cris Beauchemin.

 

Une autre idée souvent avancée par certains responsables politiques, notamment issus de la majorité présidentielle, est qu’il faudrait établir des quotas pour ne faire venir que les immigrés les plus qualifiés. Une aberration, selon les résultats de cette enquête : en effet, "naturellement déjà, ce sont les personnes les plus qualifiées qui immigrent", souligne Cris Beauchemin. Mieux : les hommes originaires du sud du Sahara sont même plus qualifiés, en moyenne, que leurs homologues issus du groupe "majoritaire"...